Contreparties aux allocations : pourquoi le Premier ministre a tout faux

Contreparties aux allocations : pourquoi le Premier ministre a tout faux

22.02.2019

Action sociale

Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, et Jean Francois Maruszyczak, délégué général d'Emmaüs France, réagissent vertement aux propos récents du Premier ministre qui proposait de conditionner le versement d'allocations sociales à des heures d'activité. Ils expliquent pourquoi cette proposition très médiatisée n'a pas de sens.

Le Premier ministre a exprimé le 15 février dernier sa volonté d’introduire dans le débat national l’idée d’une contrepartie d’activité aux prestations sociales, en se référant à l’initiative engagée en 2016 par le département du Haut-Rhin qui visait à rendre obligatoires des heures de bénévolat contre l’obtention du RSA. Cette idée, qui revient régulièrement dans le débat public n’est pas nouvelle. Déjà en 2011, le rapport de Marc- Philippe Daubresse proposait d’imposer sept heures de travail obligatoires aux  allocataires du RSA en réponse aux déclarations de Laurent Wauquiez sur le « cancer de l’assistanat ».

Méconnaissance de la situation des ménages

Cette polémique alimente la suspicion à l’égard de 1,8 million de ménages allocataires accusés de ne pas faire « d’effort » pour retrouver une activité, justifiant ainsi la nécessité de créer une contrepartie obligatoire. Cette vision qui vise à rendre les personnes pauvres responsables de leur situation n’est pas seulement blessante et stigmatisante :  elle témoigne aussi d’une méconnaissance de la situation des ménages concernés, du droit applicable et de la réalité du marché du travail. Les associations d’insertion qui accompagnent ces ménages vers l’autonomie constatent chaque jour les obstacles au retour à l’emploi des allocataires : problème de qualification, absence d’emplois accessibles et à proximité, difficulté de santé, de logement, de garde d’enfant, réticence des entreprises à embaucher des chômeurs de longue durée…

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Logique « des droits et des devoirs »

Cette proposition accrédite également  l’idée que les prestations sociales, en particulier le RSA, seraient versées sans obligation d’insertion. Pourtant, les allocataires sont bien tenus de s’inscrire dans un parcours d’insertion pour continuer à bénéficier du RSA selon la logique « des droits et des devoirs ». Ils sont soumis de par la loi à des obligations de recherche d’emploi, d’entreprendre des démarches nécessaires à la création d’activité ou encore d’engager des actions d’insertion sociale et professionnelle. Formalisées dans un contrat d’engagement réciproque, ces obligations sont déjà sanctionnées par des mesures de suspension partielle de l’allocation limitée dans le temps. De même, pour les allocataires jugés les plus proches de l’emploi et qui bénéficient d’un accompagnement par Pôle emploi, refuser plus de deux offres « raisonnables » d’emploi  expose les personnes  à des sanctions. Laisser à penser que ses prestations seraient versées sans contrepartie de l’allocataire est donc une contrevérité qui discrédite les politiques de solidarité et stigmatisent leur bénéficiaire.

Loi santé du 26 janvier 2016

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Remise en cause du code du travail

Contraindre les allocataires à des heures de bénévolat obligatoires est également un non-sens absolu tant l’action bénévole procède par essence d’un choix individuel et citoyen en faveur d’une action d’intérêt général qui ne peut être que librement consentie. Quant à l’hypothèse d’une activité rémunérée par l’allocation, elle serait une profonde remise en cause du code du travail et du salaire minimum et entrainerait une concurrence - par le bas - inacceptable entre allocataires « en activité » et salariés à temps partiel.

L'échec britannique

Les réformes du marché du travail menées au Royaume-Uni à partir de 2011 nous prouvent également que les politiques de « workfare » qui conditionnent le versement des allocations à des contreparties d’activité et des contrôles accrus (avec des coupes dans les allocations) ne permettent pas de réduire la pauvreté et les inégalités. Car la diminution mécanique du taux de chômage s’accompagne dans ce pays d’un développement massif des emplois précaires et à temps très partiel (dont les fameux contrats zéro heure) avec comme corolaire un accroissement sensible du nombre de travailleurs pauvres.

Universalité des minima sociaux

La remise de ces questions au centre du débat risque de masquer l’incapacité de l’Etat, de Pôle emploi et des départements, à proposer un accompagnement social, professionnel, et des emplois d’insertion réellement accessibles à toutes les personnes les plus éloignées du marché du travail. D’autant que la suppression de plus de 200 000 contrats aidés en deux ans a fortement réduit les possibilités de reprise d’emploi des allocataires tout en faisant progresser le nombre de chômeurs de longue durée.

Plutôt que de stigmatiser les chômeurs et les allocataires du RSA en renforçant les contrôles et les logiques « punitives » à l’égard des plus pauvres,  nous défendons l’universalité des minima sociaux pensés comme un minimum vital insaisissable, dont les montants doivent être revalorisés et le taux de recours amélioré.

Miser sur l'insertion par l'activité économique

Nous proposons aussi un plan d’investissement massif en faveur de l’insertion par l’activité économique des personnes éloignées de l’emploi autour du triptyque remise en activité-accompagnement-formation. Ces chantiers d’insertion, entreprises d’insertion, associations intermédiaires, régie de quartier, qui profitent aujourd’hui à près de 140 000 personnes en activité sont efficaces et doivent être développés, comme le préconise la Cour des comptes dans un récent rapport de janvier 2019. Cet investissement d’avenir amorcé dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté vaut mieux qu’une polémique malsaine qui porte atteinte à la dignité des personnes et menace l’universalité des droits sociaux.

 

Les propos de cette tribune n'engagent nullement la rédaction de tsa.

Florent Guéguen Co-auteur : Jean-François Maruszyczak
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