À l’occasion de la présentation de la stratégie nationale E-santé 2020, dévoilée par Marisol Touraine le 5 juillet dernier, la fédération hospitalière de France (FHF) a rappelé la nécessité d’aller plus loin dans le développement de la télémédecine. David Gruson, délégué général de la FHF, revient sur l’importance de l’enjeu pour le secteur social et médico-social.
La stratégie E-santé 2020 évoque, entre autres développements du numérique dans le système de santé, celui de la télémédecine. Pourtant, sur ce dernier point, l’accueil de la FHF a été pour le moins critique. Pourquoi ?
Nous avons accueilli avec satisfaction les orientations de cette stratégie qui vise à accompagner la révolution numérique de notre système de soins. Néanmoins, nous avons aussitôt fait observer sa limite, c’est-à-dire la nécessité de changer le modèle économique de la télémédecine. C’est fondamental, car la télémédecine, et avec elle la téléconsultation et la télé-expertise représentent des outils essentiels au décloisonnement des champs du sanitaire et du médico-social.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
De nombreuses expérimentations d’usage de télémédecine et de téléconsultation ont déjà eu lieu entre l’hôpital et les structures sociales et médico-sociales. Avec la capacité de faciliter l’accès des personnes âgées ou handicapées à des spécialistes hospitaliers sans qu’elles aient à se déplacer. Nous ne sommes donc plus dans l’innovation.
Le droit est lui-même bien fixé. La France dispose depuis plusieurs années d’un régime juridique sur la télémédecine, téléconsultation et téléexpertise bien avancé. Celui-ci définit très clairement les activités de télémédecine par un principe d’assimilation à l’activité médicale servie. Autrement dit, la télémédecine n’est pas considérée comme une médecine particulière, mais comme une modalité d’exercice à distance de la médecine.
Malheureusement, cette assimilation juridique à l’exercice d’un acte médical reste sans traduction au niveau financier. Les expérimentations sont essentiellement financées par des dotations forfaitaires et non reconductibles des agences régionales de santé [ARS]. C’est pourquoi nous estimons qu’il est temps de franchir le pas et de déverrouiller ce modèle économique.
Comment pourrait être financé la télémédecine, selon vous ?
Nous avons mis en place une mission de propositions, à la fin du mois de mai dernier (1). Celle-ci vise à proposer un modèle économique pérenne – à la fois pour le champ sanitaire et pour le champ médico-social – reposant sur une logique de financement à l’activité.
Il n’y a pas de problème particulier sur la technique financière. Enclencher le virage numérique de la télémédecine pourrait se faire selon des principes assez similaires à ceux suivis lors du virage de la chirurgie ambulatoire. Pour inciter les acteurs, les pouvoirs publics ont progressivement fait baisser les forfaits des séjours d’hospitalisation complète, en réévaluant à proportion les séances de chirurgie ambulatoire. On pourrait très bien imaginer un même scénario pour la télémédecine, en abaissant progressivement les tarifs des activités susceptibles d’être mise en œuvre sous cette forme, tout en valorisant la séance de téléconsultation. Ce serait en outre très responsabilisant pour les acteurs hospitaliers.
Alors que les premières expériences de télémédecine remontent à plus de 15 ans, on peut s’étonner qu’un modèle économique fasse encore défaut ?
Il subsiste des craintes. Du côté des financeurs, on redoute que ce modèle de financement à l’activité pour la télémédecine et la téléconsusltation génère un flux d’activités complémentaires, sources de dépenses nouvelles pour l’assurance maladie.
En réalité, au vu des expérimentations et des travaux de recherche déjà menés, ce déverrouillage devrait plutôt se traduire par un gain d’efficience pour l’assurance maladie. Ne serait-ce que par le nombre de transports, de transferts ou d’évacuations sanitaires évités. Et si des signaux de dérives apparaissaient, nous comptons sur la sagacité de nos financeurs ou des autorités de tutelle pour réguler au coût réel ces débordements. Il y a un parti pris de confiance dans l’engagement des acteurs qui doit guider le déverrouillage du modèle économique de la télémédecine.
Comment les acteurs sociaux et médico-sociaux se situent-ils dans ce débat ?
Les dynamiques de recomposition de l’offre de soins dans le nouveau cadre des groupements hospitaliers de territoire [GHT] modifient la donne. On constate un mouvement d’adhésion beaucoup plus large qu’anticipé des établissements sociaux et médico-sociaux à ces groupements. Il y a une vraie demande des soignants, mais aussi des responsables d’établissement d’avoir un meilleur accès à l’offre hospitalière. L’objectif de la FHF est d’aider à la recomposition de cette offre, en veillant surtout à ne pas bunkeriser les hôpitaux publics et à ouvrir le dispositif. Dans ce contexte, le développement de la télémédecine a du sens.
Là encore, la voie est déjà bien balisée. Il s’agit d’organiser des processus qui permettent à la demande de télémédecine de partir de l’institution médico-sociale, avec le cas échéant un dispositif de formation des personnels ou des professionnels paramédicaux. Simplement, il manque encore le stimulus économique.
Quel est votre calendrier ?
La mission de proposition rendra ses premières orientations aux universités d’été de la FHF, les 6 et 7 septembre prochains. Cela constituera le point de départ d’un travail de sensibilisation. Nous considérons que la concrétisation d’une avancée sur cette question majeure doit pouvoir constituer l’une des priorités de la loi de financement de la sécurité sociale [LFSS] pour 2017.
La stratégie E-santé 2020
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Visant à accompagner le virage numérique du système de santé, la stratégie E-santé 2020 se décline en quatre axes :
- mettre le citoyen au cœur de l’e-santé ;
- soutenir l’innovation ;
- simplifier les cadres d’action ;
- moderniser les systèmes d’information du système de santé.
Elle bénéficie d’une enveloppe de 2 milliards d’euros, dont 750 millions consacrés au soutien à l’investissement dans le numérique. |
(1) Confiée à Pierre Simon, ancien président de la société française de télémédecine, Elodie Hemery, directrice de l’institut national des jeunes sourds, et Celine Wasmer, directrice du pôle Neuro Sainte-Anne.
Retrouvez nos précédents articles sur le défi des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communation) dans le travail social :
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