Déloyauté de la preuve : vivement demain !

Déloyauté de la preuve : vivement demain !

20.12.2023

Gestion du personnel

Eric Manca et Marie Huard, respectivement avocat associé et avocate senior au sein du cabinet August Debouzy présentent les enjeux des deux décisions de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation attendues demain sur les éléments de preuve obtenus de manière "déloyale".

Ce vendredi 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rendra deux décisions très attendues au premier chef par les travaillistes. Décisions qui, quel que soit leur sens, ne manqueront assurément pas de faire couler de l’encre, tant les intérêts en présence sont clivants.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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L’Assemblée plénière aura en effet à se positionner sur la recevabilité en droit du travail, d’éléments de preuves obtenus de manière dite "déloyale" par l’employeur (enregistrements "pirates" et utilisation de messages Facebook), au soutien de mesures de licenciement.  

Eu égard à la formation de la Cour de cassation retenue, et aux moyens déployés par cette dernière pour assurer une publicité optimale aux débats qui se sont tenus le 24 novembre dernier (retransmission intégrale via le site de la Cour de cassation), il ne fait guère de doute que les décisions à intervenir seront marquées du sceau de l’éternité par l’adjonction de la fameuse mention PBRI.

L’observateur averti mais néanmoins candide pourrait alors s’étonner de cet emballement judiciaire, faisant savoir, qu’il lui semblait bien pourtant que ce débat était tranché depuis le siècle dernier puisque la Cour de cassation, le 20 novembre 1991, est venue affirmer que "si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite".

L’enregistrement (vidéo-surveillance) à l’insu du salarié était alors déclaré "illicite" au visa de l’article 9 du code de procédure civile (1). La Cour de cassation présumait alors un peu trop des textes applicables puisque précisément il n’existait, et n’existe toujours pas de texte proscrivant le recours à un procédé déloyal. La preuve pouvait donc être entendue, comme pouvant se faire librement. Ce que viendra d’ailleurs valider l’article 1358 du code civil (2) à son entrée en vigueur, le 1er octobre 2016.  

C’est donc plutôt la qualification de moyen de preuve déloyale qui aurait dû être retenue par la Cour suprême, sur la base d’une exigence de moralité, garante pour ses partisans de l’œuvre de justice.          

Décision de principe du 20 novembre 1991, qui amènera à la panthéonisation du principe de loyauté de la preuve, consacré le 7 janvier 2011 par effet de deux décisions de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Décisions portant les armes PBRI, pour ceux qui viendraient encore à douter du message adressé.

Message reçu cinq sur cinq par les juges du fond qui s’emploieront dès lors à rejeter sans examen préalable, ces preuves qui n’ont pas leur place dans le débat judiciaire, peu important alors que celles-ci soient de nature à révéler ou à approcher au plus près la vérité. Seule la vérité judiciaire, issue de la loyauté / moralité de la mise en état des dossiers sera de mise dans les prétoires.          

A la parole succéda aussitôt l’acte.

Se retrouvent ainsi censurées les preuves obtenues :

  • au moyen de stratagèmes (arrêt du 4 juillet 2012) ;
  • au moyen de dispositifs de surveillance illicites non déclarés auprès de la Cnil ou n’ayant pas fait l’objet d’une information-consultation des instances représentatives du personnel et dont les salariés n’avaient pas connaissance (arrêt du 10 janvier 2012) ;
  • à l’encontre du salarié au moyen de l’organisation d’une filature de ce dernier réalisée dans le cadre de sa vie privée (arrêt du 26 septembre 2018).

Ou encore :

  • les preuves constituées à base de moyen d’informations ou des messages obtenus via le compte Facebook privé d’un salarié (arrêt du 20 décembre 2017) ;
  • l’exploitation des courriels communiqués par un salarié en violation du secret des correspondances, dès lors que ce dernier n’était pas destinataire ou en copie desdits e-mails qui ne lui avaient pas été remis volontairement et dont il n’avait pas eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions (arrêt du 27 novembre 2019).

Si en l’état de ce droit applicable, la paix semblait régner au royaume de la preuve, un vent de discorde se formait au niveau de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.  CEDH qui se refuse à inclure dans le droit à un procès équitable, toute référence à la thématique de la déloyauté de la preuve. Prenant le contrepied de notre juridiction suprême, la CEDH s’en allait à ce titre rappeler le principe de l’admissibilité de toutes les preuves quelles qu’elles soient, pour confier ensuite au juge du fond le soin d’apprécier si la preuve dite déloyale présente un intérêt certain et essentiel à la manifestation de la vérité en considération des intérêts en présence (CEDH, 5 septembre 2017CEDH 17 octobre 2019, n°1874/13 et n°8567/13).

Le juge du fond se voyait donc investi du pouvoir tenant au contrôle de proportionnalité. Il lui appartient alors, pour les besoins de sa décision, de confronter le droit à la preuve et la violation d’un droit également garanti (droit à la vie privée) à l’origine de l’obtention de la preuve. La preuve dite déloyale l’emportera si elle représente le seul moyen de parvenir à l’établissement de la vérité. A défaut, elle sera mise au ban probatoire.              

Sous l’effet de la position de la CEDH, un certain infléchissement de la position de la Cour de cassation s’est fait ressentir, visant à rapprocher à petits pas le droit de la preuve en droit civil (dont le droit social procède), de celui en vigueur en droit pénal, où la preuve est libre.     

Ainsi a-t-on vu apparaitre de-ci, de-là des décisions admettant, sous certaines conditions, la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale, remettant ainsi en cause les arrêts du 7 janvier 2011 (Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et n° 09-14.667).

C’est notamment le cas de l’arrêt majeur dit "Petit Bateau" rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 30 septembre 2020.

Dans cette espèce, un salarié travaillant pour la marque de vêtements "Petit Bateau" a été licencié pour avoir diffusé, sur son compte Facebook personnel et en violation de sa clause contractuelle de confidentialité, les photographies de la nouvelle collection qui n’avait pour l’instant été transmises qu’aux commerciaux.

La Cour juge la production des photographies recevable, considérant que l’atteinte portée à la vie privée du salariée était proportionnée au but poursuivi et indispensable à l’exercice du droit à la preuve :  "Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi".

La brèche est ouverte par celle-là même qui avait bâti l’édifice par ses décisions du 7 janvier 2011, et qu’elle ne cessera depuis lors d’alimenter en jugeant que : "L’illicéité d’un moyen de preuve [issue d’un système de vidéosurveillance installé dans l’entreprise et dont l’objectif était de veiller à la sécurité et à la prévention des attentes aux biens et aux personnes], au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi" (arrêt du 10 novembre 2021).

Ici encore, la décision était publiée lui conférant valeur d’arrêt de principe.

Ce qui conduisait ensuite la Cour de cassation à livrer à l’attention des juges du fond, par décision du 8 mars 2023, également publiée, un "petit manuel à l’usage de la preuve dite déloyale" (arrêt du 8 mars 2023).

Il s’agit ici de livrer aux juges du fond, l’art et la manière de procéder au contrôle de proportionnalité qui lui revient, en conformité avec les règles posées par la CEDH.      

Bilan des courses

A la position solennelle de la Cour de cassation posée le 7 janvier 2011, en faveur du rejet pur et simple des éléments de preuves obtenus de façon déloyale, s’est peu à peu à substitué un courant dissident, voulu "progressiste", œuvrant en faveur de la liberté de la preuve.

Cette situation de concours de jurisprudences au niveau de la Cour de cassation, n’a pas manqué de créer et d’alimenter une insécurité juridique en fonction du courant adopté par les juges du fond.

Ainsi, un dossier portant la problématique d’une même preuve dite déloyale, peut se voir réserver un sort différent en fonction de la juridiction de fond (CPH, cour d’appel) qui aura à en connaître.

Situation des plus inconfortable et aux enjeux conséquents pour les parties qui, dans ces conditions, peuvent éprouver, lorsqu’elles succombent, une incompréhension certaine quant à l’œuvre de justice. Or, une décision qui n’est pas comprise, voire pas acceptée dans ces conditions, signe l’échec de son objet à savoir l’apaisement du conflit.

Raison pour laquelle, l’Assemblée plénière a été saisie afin de remettre "l’église au milieu du village".

Elle aura ainsi la charge soit de confirmer sa position telle qu’exprimée le 7 janvier 2011, soit d’abandonner sa position au profit d’une nouvelle solution brevetée PBRI assurant le principe de recevabilité des pièces dites déloyales, tout en contraignant le juge du fond à se livrer à un office de contrôle d’opportunité.                         

Etat des forces en présence

A l’occasion de l’audience du 24 novembre 2023, les parties (avocats et avocats généraux) sont rentrées dans l’arène judiciaire pour livrer leurs religions.

Ainsi, du côté des forces de la "réaction", la confirmation de la jurisprudence du 7 janvier 2011 s’imposerait aux motifs que cette position serait respectueuse de l’exigence constitutionnelle (Conseil constitutionnel, QPC, 18 novembre 2011, n°181/194/195/196/197) selon laquelle il appartient au juge de veiller au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve. Sus donc à la déloyauté probatoire au motif selon lequel "la loyauté est à la justice ce que la dignité est à la personne".

Il s’agirait ici de faire œuvre de moralité, ce dont le juge ne pourrait en aucune manière se départir dans son office. Moralité dont il serait le garant et qui constituerait l’essence même de la décision judiciaire qui, si elle devait se retrouver offerte à tous les vents probatoires, y perdrait de sa légitimité.

L’objet de la décision serait donc de coller à une vérité judiciaire qui ne rencontrerait certes pas toujours la vérité vraie, mais qui resterait irréprochable en tenant à l’écart la déloyauté probatoire.         

Du côté des forces de "progrès", c’est tout au contraire un revirement de jurisprudence qui devrait s’opérer par abandon de la position exprimée le 7 janvier 2011 qui entraverait la recherche de la vérité et, partant, priverait la partie qui apporte la preuve de son bon droit, de la justice qui lui serait due.

Entrave à la recherche de la vérité qui ne reposerait de surcroit sur aucune base légale, aucune disposition légale ne venant prohiber la preuve déloyale. De sorte que la preuve devrait demeurer libre. L’article 1358 du code civil ne dispose-t-il d’ailleurs pas que "la preuve peut être apportée par tout moyen" ?

Raisons pour laquelle il serait malvenu, sauf à ajouter à la loi, ce qui serait alors "contra legem", de maintenir une position qui porte atteinte au droit à procès équitable garantie par l’article 6§1 de la CEDH, en conférant au juge un pouvoir de rejet de la preuve déloyale, pouvoir que ne lui accorde pas la loi, le débat judiciaire étant la chose des parties. Il n’appartiendrait donc pas au juge de le limiter.         

Lourde charge qui pèse donc sur les épaules de l’Assemblée plénière. Il n’y aura pas de match nul. Il a fort à parier que quelle que soit la décision rendue, celle-ci n’apaisera pas nécessairement les intérêts en présence, qui dépassent largement le clivage salariés/employeurs, et qu’une troisième mi-temps se jouera en doctrine et en appels à la résistance ou à la dissidence devant les juges du fond.

Coup de sifflet attendu ce vendredi 22 décembre.

Vivement demain !

 

(1) "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", article 9 du code de procédure civile. 

(2) "Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen", article 1358 du code de procédure civile.

Éric Manca et Marie Huard
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