Electrolux : les ex-salariés protégés FO tentent un ultime pourvoi devant le Conseil d'Etat

Electrolux : les ex-salariés protégés FO tentent un ultime pourvoi devant le Conseil d'Etat

26.11.2024

Représentants du personnel

Plus de dix ans qu'ils poursuivent la procédure, se relevant après chaque revers judiciaire pour continuer de réclamer une meilleure indemnisation. Depuis 2012 et l'annonce de fermeture de leur usine Electrolux à Revin dans les Ardennes, les ex-mandatés FO croient à leur bon droit et poursuivent leur recours. Ils ont décidé de former un nouveau pourvoi devant le Conseil d'État sur leur reclassement et le motif économique de leur licenciement.

"Faut voir la misère que ça a amené", regrette l'un. "Ça me fait encore mal d'y penser", confie l'autre. "On a fait le job, on a défendu les salariés et voilà ce qu'on a en retour", se désole un troisième. Ils forment une poignée d'anciens salariés de l'usine Electrolux de Revin, réunis dans le local de l'union départementale Force Ouvrière des Ardennes par ce matin glacé de novembre. Qu'importe, on lance une troisième fournée de café.

Défendre les salariés de l'usine 

 

Autour de la table, les ex mandatés FO de l'usine qui produisait des lave-linges : Jean-Pierre Villeret, Sébastien Garnier, Éric Bolotti, Vincent Rogissart et Philippe Payen. Ils ont aujourd'hui entre 44 et 61 ans, et adhèrent toujours à FO. Sur les cinq que nous avons rencontrés, deux restent au chômage, deux ont retrouvé une activité, un est passé en retraite. Tous portaient des mandats de titulaire au comité d'entreprise, d'élu au CHSCT, de trésorier du CE, de délégué du personnel ou de délégué syndical. Embauchés chez Electrolux entre 1986 et 2002, tous ont rejoint la section syndicale FO lors de sa création en 2014 "pour défendre les salariés de l'usine" et "leur dire la vérité sur le plan de sauvegarde de l'emploi".

Un dédale de procédures et "une guerre d'usure"

Il faut remonter à 2012 pour comprendre ce dossier devenu labyrinthique. 2012 et le premier coup de massue : la direction d'Electrolux annonce la fermeture de son site ardennais et menace 419 emplois dans une région déjà balafrée par les friches d'industries jadis florissantes dans la métallurgie, la sidérurgie, la céramique, le textile. A l'époque, les syndicats dénoncent des bénéfices en hausse de 19 %. Ils sollicitent ministères, préfectures, cabinets d'experts, montent un projet alternatif.

Deux ans plus tard, en 2014, un repreneur se présente. Le groupe Selni (et la SAI, Société ardennaise industrielle, puis l'entreprise Delta Dore) sauve 184 emplois, dont 160 pour fabriquer des moteurs électriques de machines à laver, et 24 des moteurs de volets roulants. Malheureusement, l'activité ne persistera pas mais à cette occasion, certains salariés bénéficient de préretraites, de départs volontaires et d'indemnisations liées à des créations d'entreprises très avantageuses (dont certaines feront polémique). 2014 c'est aussi la contestation en justice du premier PSE (un autre suivra en 2018) et le nœud du dossier : les ex-salariés protégés FO se disent mal indemnisés de plusieurs dizaines de milliers d'euros par rapport aux salariés non protégés.

 L'adversaire compte sur l'épuisement

 

"A quoi bon porter des mandats et aller jusqu'au bout si au final c'est le message qu'on reçoit ?", s'agace Sébastien Garnier, 44 ans, ancien opérateur sur presse à injection. Autour de la table, les autres partagent son amertume. Il faut dire qu'ils n'ont pas manqué de détermination et ont porté leur dossier, parfois plusieurs fois par l'effet des renvois, devant le conseil des prud'hommes de Charleville-Mézières, la Cour d'appel de Reims, la Cour d'appel d'Amiens, la Cour de cassation, le tribunal de commerce de Compiègne, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, la Cour administrative d'appel de Nancy… sans compter l'administration du travail. Certaines juridictions leur ont donné raison, d'autres leur ont donné tort, d'autres se sont déclarées incompétentes et Electrolux n'a pas manqué de participer par ses propres recours à ce fouillis juridictionnel qui tranche tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Selon l'avocate des salariés protégés, Mélanie Touchon, "ce type de dossier est une guerre d'usure, l'adversaire compte sur un épuisement moral et économique, car ces procédures il faut aussi les financer. Or, ces anciens salariés protégés n'ont pas la même surface financière qu'Electrolux…".

© actuEL CSE / MAG

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Compétence juridictionnelle et motif économique du licenciement

Aujourd'hui, les salariés non protégés ont obtenu gain de cause devant les prud'hommes de Charleville mais réclament encore des intérêts de retard à la Société ardennaise industrielle (d'autres procédures se poursuivent côté CGT et CFDT). Dossier ouvert également devant la Cour administrative d'appel (CAA) de Nancy pour les cinq salariés protégés qui contestent devant le juge administratif les autorisations de licenciement émises par l'inspection du travail. Cette partie de la procédure est cruciale car son succès conditionne la recevabilité des demandes indemnitaires devant les juridictions de l'ordre judiciaire (la Cour d'appel de Reims). Avec cette difficulté supplémentaire que les deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire, n'adoptent pas nécessairement le même point de vue sur le dossier, la Cour de cassation se montrant souvent plus exigeante. Ce qui explique en partie les différences de montants alloués entre salariés protégés et non protégés.

La CAA de Nancy a rendu son arrêt le 26 septembre 2024. Elle donne tort à l'un des requérants, Philippe Payen, fondateur de la section FO de l'usine en 2014. Dans un premier temps, le syndicat fera moins de 5 % aux élections professionnelles et ne sera pas représentatif. Il bondira à 33 % de représentativité aux élections suivantes. En dehors d'un point sur les catégories professionnelles, les autres arrêts de la Cour qui concernent les autres salariés protégés sont sensiblement identiques. Sur le motif économique de licenciement, la Cour estime que pour considérer le motif économique comme avéré, l'inspection du travail s'appuie sur le jugement du tribunal de commerce de Compiègne qui avait autorisé la suppression de 157 postes. Or, ce jugement dispose de l'autorité de la chose jugée qui empêche l'administration du travail d'apprécier sa régularité. Pour l'avocate Mélanie Touchon, "la Cour administrative d'appel botte en touche sans répondre à notre demande et sans regarder qui du tribunal de commerce ou du juge commissaire était compétent pour autoriser les licenciements".

Une distinction inquiétante sur les recherches de reclassement

Sur les reclassements, la CAA de Nancy considère que les recherches ont été suffisamment ciblées par l'employeur qui a montré des démarches sérieuses. Elle adopte également une motivation étrange en ces termes : "Au titre du contrôle qui lui incombe, l'inspecteur du travail doit uniquement vérifier si l'employeur a satisfait à son obligation procédurale en matière de recherche de reclassement (…). En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier le respect par l'employeur de son obligation substantielle de reclassement externe, et notamment le caractère suffisant des recherches accomplies à ce titre".

La Cour semble adopter une distinction selon laquelle l'inspection du travail doit s'en tenir à des éléments de forme, mais pas à des démarches de fond. Ainsi, selon ce raisonnement, justifier de démarches de pure forme sans réelles recherches de reclassement pourrait suffire à Electrolux pour se dédouaner de son obligation. De plus, selon Mélanie Touchon, le PSE requiert des accusés réception de courriers qu'Electrolux ne parvient pas à fournir. L'avocate déplore également que la Cour se déjuge par rapport à son premier arrêt (que la Cour de cassation a cassé pour défaut de motivation et non sur le fond des règles de droit) et considère qu'Electrolux pouvait ne pas respecter son propre PSE. Elle persiste et signe : "Cela pose un vrai problème juridique et moral, c'est un argument choquant".

Aucun lien allégué avec le mandat ?

Selon la CAA de Nancy, "l'application des critères d'ordre des licenciements a permis à six salariés protégés de bénéficier d'un transfert de contrat de travail (…). M. Payen ne justifie pas que la détermination de la catégorie professionnelle révélerait une volonté de permettre son licenciement pour un motif inhérent à sa personne, à l'exercice de ses mandats représentatifs ou à son appartenance syndicale. Par suite, le moyen tiré d'une discrimination doit être écarté". Mélanie Touchon confirme que des ratios sont réalisés dans le cadre de projets de reprise partielle pour savoir si l'employeur a exclu la totalité des salariés protégés. "Il s'agit d'un indice parmi un faisceau d'indices. Mais nous prétendons que les salariés protégés ont été exclus de l'offre de reclassement proposée à d'autres salariés, et c'est encore plus parlant pour ceux qui ne figurent pas dans une catégorie professionnelle unique. La question n'est pas de savoir s'ils ont été reclassés ou pas mais de déterminer s'ils ont bénéficié des mêmes opportunités de reclassement ou pas".

 FO soutiendra ses représentants, quoi qu'il en coûte !

 

De ce fait, la CAA ne répond pas à cette question d'un éventuel ciblage des salariés protégés exclus de certaines propositions de reclassement. Or, d'après l'avocate, tous ceux qui n'ont pas été repris sont d'anciens élus des instances représentatives du personnel. Ils étaient donc particulièrement en prise avec le plan social du groupe suédois.

Ce pourvoi constitue le dernier recours possible devant les juridictions administratives. La Cour d'appel de Reims restera encore résiduellement compétente sur la validité des licenciements mais pas sur le reclassement. C'est donc probablement le pourvoi de la dernière chance et selon l'avocate des salariés protégés, le dossier tel qu'il apparaît aujourd'hui justifie pleinement de saisir le Conseil d’État. Ils sont également soutenus par Jean-Pierre Glacet, secrétaire général de l'union départementale des Ardennes : "FO sera toujours derrière ses représentants, 'quoi qu'il en coûte ' ! Ils ont été courageux de porter ces procédures, ils ont exercé leurs missions pour le bien de tous les salariés, ils ont respecté leur mandat. C'est devenu un caillou dans la chaussure de cette multinationale. Si on peut le transformer en pierre, on ira jusqu'au bout". Après avoir porté le dossier seule, "sans subvention et en toute indépendance", l'UD des Ardennes a sollicité le soutien de la confédération qui pourrait participer au financement de cette procédure. L'arrêt du Conseil d'État devrait intervenir d'ici deux ans, peut-être un an et demi avec un peu de chance… 

Marie-Aude Grimont
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