Entre les femmes et les hommes, les préjugés retardent l'égalité

Entre les femmes et les hommes, les préjugés retardent l'égalité

19.02.2019

Représentants du personnel

L'annonce d'un index mesurant les écarts salariaux entre les femmes et les hommes ne doit pas faire oublier que les différences de traitement et de carrière entre les deux sexes s'expliquent aussi par des facteurs culturels. Des stéréotypes qu'il n'est pas facile de faire évoluer.

Diplômée d'une école d'ingénieur il y a 25 ans, Bettina Hortal est une battante qui a soif d'apprendre et de renouvellement. "J'ai changé sept fois de poste", dit cette manageuse de GRTgaz. Elle a eu aussi trois enfants. "Et trois fois, j'ai eu droit à la même réflexion : "Mais comment allez-vous faire avec un enfant en bas âge ?", raconte-t-elle, toujours scandalisée par "cette question qu'on ne pose jamais aux hommes !"

Ce propos, cette militante CFE-CGC l'a livré lors d'un colloque organisé le jeudi 7 février en soirée à Paris par Semaphores et Secafi, les cabinets de conseil et d'expertise du groupe Alpha, sur le thème de l'égalité professionnelle. Un colloque où la dimension culturelle a été avancée comme une explication à la persistance des inégalités professionnelles entre les sexes par de nombreux participants. "Nous les femmes, nous osons moins que les hommes demander des augmentations de salaire. Nous avons été socialisées comme ça", a par exemple lancé Nawel Hadjadj, déléguée CGT chez ADP.

La direction a admis que l'entreprise connaissait un problème d'inégalités F/H lorsque l'expert du CE a mis les données sur la table

 

Dans cette entreprise de 2 000 salariés spécialisée dans la gestion de la paie, cette déléguée syndicale a tâtonné avant de maîtriser les enjeux de l'égalité professionnelle. Elle dit s'être heurtée à une forme de déni de la part de son employeur : "Lors d'une réunion de CE, la direction a refusé de voir en face la réalité des inégalités F/H, comme si elle se sentait mise en accusation. Le DRH répétait que l'entreprise ne faisait pas de discrimination". Pour que le dialogue s'instaure, il a fallu que ce soit un tiers, en l'occurrence l'expert de Secafi, qui expose dans son rapport la situation de façon objective. "Par exemple, il y a chez nous deux grandes familles de métier, les gestionnaires de paie et les ingénieurs d'application. En moyenne, il y a 40% de rémunération en plus pour les ingénieurs d'application, le métier où il y a beaucoup moins de femmes", nous explique Nawel Hadjadj.

La présence d'un tiers décortiquant les nombreux "biais" qui amènent les femmes à avoir une rémunération inférieure à celle des hommes dans l'entreprise peut donc s'avèrer précieuse : les salaires aujourd'hui encore inférieurs à l'embauche, y compris avec un diplôme comparable, les stéréotypes qui ont la vie dure et qui conduisent par exemple un recruteur à choisir, à compétences égales, un homme plutôt qu'une femme, une mauvaise définition des fiches de poste qui peut écarter les femmes de certains métiers et conduire à une évolution de carrière défavorable, etc. Tout un ensemble de domaines que les négociateurs de l'égalité professionnelle dans une entreprise doivent s'efforcer de traiter systématiquement et patiemment, étape par étape, selon Michel Le Bret, directeur général délégué de Sémaphores.

L'accord peut prévoir un plan d'actions sur 3 ans

Ce dernier observe du reste que seulement 40% des entreprises de plus de 50 salariés ont signé un accord sur l'égalité professionnelle, pourtant obligatoire depuis 2012 (*). Pour éviter "les accords Pinocchio" qui ne font que répéter la loi ou les décrets, Michel Le Bret suggère de négocier une action allant crescendo dans le temps.

Une enveloppe triennale de résorption des écarts peut être négociée

 

"Les entreprises sont soumises à des objectifs élevés, à des contraintes réglementaires nouvelles. Il ne me semble pas possible de tout arrêter pour règler ces problèmes tout de suite, car la situation résulte de pratiques culturelles ancrées dans le corps social depuis des décennies. Pour autant, il n'est pas possible de laisser aller le cours des choses car rien ne se fera naturellement", soutient le consultant. 

Les trois ans laissés par la loi aux entreprises pour se mettre en conformité avec l'index doivent être, selon lui, employés à concevoir et mettre en oeuvre un plan ambitieux. "Une enveloppe triennale de correction des écarts peut être négociée, préconise-t-il. Une mesure peut concerner dès la première année la politique RH, comme la promotion des femmes, avant d'aborder l'année suivante le recrutement. Une action de sensibilisation des managers et des IRP à ces questions peut aussi être envisagée dès la première année, puis étendue à tous les salariés la deuxième année. A plus long terme, l'enjeu d'une plus grande mixité dans l'entreprise doit être abordée, en s'interrogeant sur les raisons de la situation actuelle".

Chez ADP, donc, la négociation sur l'égalité F/H va reprendre en avril, et les négociateurs syndicaux pourront s'appuyer sur les résultats d'un questionnaire diffusé aux salariés sur le thème de l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. "Ce qui remonte massivement de la part des salariées, c'est les problèmes de garde d'enfant, notamment en cas de déplacements professionnels. Il y a une demande de prise en charge", relaie la déléguée syndicale CGT. 

La résistance au changement est réelle

C'est aussi en réaction à une forme d'indifférence à ces questions, voire de déni, dans un milieu largement masculin, qu'Aurore Martin, DS CFDT chez Engie, a cofondé le collectif CFDT'Elles, qui s'adresse aux femmes du secteur des industries électriques et gazières (IEG). Le collectif regroupe 204 femmes et 30 hommes qui s'engagent à s'entre-aider, pour des questions relatives au travail mais pas seulement : "Nous nous soutenons, nous avons une charte qui met en avant la bienveillance".

Par exemple, une femme confrontée à un divorce difficile peut ainsi recevoir le soutien d'une militante ayant elle-même vécu cette situation. Pour Aurore Martin, aujourd'hui détachée à temps plein après avoir été assistante de direction, il y a encore une certaine "invisibilité" des femmes dans l'entreprise. Comme, observe-t-elle, "les hommes minimisent souvent les faits", les femmes vivant des problèmes graves au travail, tels que du harcèlement, ne vont pas forcément se confier à des délégués syndicaux masculins.

La parole des femmes est parfois niée, on leur demande de se taire

 

La déléguée prend l'exemple d'une affaire de harcèlement dans une filiale du sud de la France : "Les femmes qui ont été victimes de ces faits ont écrit au CHSCT. On a fait pression sur elles pour qu'elles se taisent. Leur parole a été niée, et une première plainte a même été classée sans suite, avant que l'évidence des faits conduise à une nouvelle action au pénal". La déléguée syndicale raconte avoir demandé dans son entreprise que les formations internes des managers comprennent une sensibilisation à l'égalité professionnelle et à la prévention du harcèlement. En vain.

Se pose aussi, souligne-t-elle, la question de l'application des accords signés, notamment dans les établissements distants du siège : "Par exemple, nous avons un bon accord européen sur l'égalité. Il prévoit un affichage pour lutter contre les propos sexistes ou misogyne. Mais ce n'est pas toujours appliqué". Qu'importe cette inertie et ces lenteurs, Aurore Martin entend "ne rien lâcher" : "Il nous faut occuper le terrain, d'autant plus que le télétravail risque de ramener les femmes chez elles et de les isoler, et que l'intelligence artificielle peut menacer les emplois d'exécution souvent occupés par des femmes".

Le CSE devra être vigilant sur les groupes de comparaison de l'index F/H

L'indicateur imposé par le gouvernement pour mesurer les écarts salariaux et les inégalités F/H permettra-t-il de faire évoluer la situation des femmes dans les entreprises ? "Il est très difficile de prévoir les effets de cet outil, car un grand chemin culturel reste à faire. Mais il s'agit bien, pour la première fois, d'une obligation de résultat imposée aux entreprises, qui devront publier leur note globale sur leur site internet. Cela peut avoir un effet viral en cas de mauvais résultat. Le CSE se verra aussi communiquer les résultats, il y aura le contrôle de la Direccte", répond Michel Le Bret, directeur général délégué de Sémaphores.

Les élus du comité social et économique (CSE) auront un rôle important à jouer, notamment dans les entreprises entre 250 et 999 salariés qui ne disposent pas, contrairement aux plus grandes, d'une catégorisation des emplois déjà établie : "Pour la mesure des écarts salariaux entre les femmes et les hommes, il va leur falloir établir des groupes de comparaison en regroupant certaines qualifications peu nombreuses. Le CSE devra veiller à ce que ces groupes soient cohérents" (**). Rappelons que, pour la tranche 250-999 salariés, la publication de l'indicateur est obligatoire dès le 1er septembre 2019, ce qui signifie que le CSE devra être informé et consulté auparavant, le délai étant repoussé au 1er mars 2020 pour les moins de 250 salariés, alors qu'il s'impose quasi-immédiatement (1er mars 2019) pour les grandes entreprises.

 

Le calendrier de publication du résultat de l'index F/H

 

Chez ADP, le CE a déjà été consulté, l'employeur souhaitant recourir à la grille de la branche pour l'indicateur n°1 mesurant les écarts salariaux F/H. "Nous avons demandé une simulation pour voir si cela est pertinent, mais nous n'avons pas encore de réponse", dit Nawel Hadjadj, déléguée CGT.

L'égalité F/H devient aussi un sujet pour les directions financières

 

Cette dernière estime néanmooins que l'index, et surtout son 1er indicateur sur les écarts salariéux F/H, peut permettre d'objectiver les différences de traitement entre les sexes et donc pousser à leur correction : "Ce n'est plus seulement un sujet RH mais cela devient potentiellement un sujet pour la direction financière en cas de pénalité". Et la déléguée syndicale d'inviter les autres représentants du personnel à prendre le temps de se former sur le sujet : "Il faut trouver des ressources dans son syndicat, comme chez nous dans la branche ou à l'Ugict-CGT, en interne, ou auprès de cabinets et d'experts".

Chez Siemens, le CCE doit aborder la question de l'index le 25 février. Dans cette entreprise de 4 000 salariés comptant 75% d'hommes et 25% de femmes, Lydia Bernet, DS CFDT, attend de voir ce que donnera cet outil. Elle reste prudente car des indicateurs existent déjà dans sa société, mais ils produisent parfois un effet paradoxal en valorisant la situation de quelques femmes minoritaires : "Il faudrait rentrer davantage dans le détail mais l'entreprise nous oppose qu'il ne faut pas rendre les salariées identifiables".

Chez nous, il n'y a pas de suivi réel de l'accord 

 

La déléguée explique que son syndicat a d'ailleurs refusé de signer l'accord triennal sur l'égalité F/H au motif qu'il n'est guère contraignant : "Il n'y a pas de suivi réel, pas de contraintes réellement de nature à faire changer les choses". La déléguée observe que la proportion de femmes dans l'entreprise stagne. "Les 35% d'alternantes que nous avons ne restent pas, car elles ne se sentent pas très à l'aise dans un milieu masculin. C'est un cercle vicieux," se désole la représentante du personnel.

La petite incitation mise en place par l'entreprise pour la cooptation (2 500€ pour coopter une femme, 2 000€ pour coopter un homme) ne suffit pas à ses yeux. La DS aimerait donc que soit appliquée une discrimination positive pour les femmes à l'embauche. Ce n'est légalement pas possible, lui objecte Michel Le Bret, qui lui conseille de tenter de négocier un objectif de mixité, "mais cela suppose aussi de travailler en amont sur les filières professionnelles qui mènent aux métiers où les femmes sont peu nombreuses". Autant dire que l'égalité, pour ne pas rester qu'une simple devise, doit devenir un vaste chantier...

 

(*) Faute d'accord, les entreprises doivent élaborer un plan d'action. 

(**) Le CE ou CSE n'a cependant pas à être consulté si l'entreprise choisit, pour les groupes servant à l'établissement de l'indicateur n°1, de se baser sur les catégories socioprofessionnelles des ouvriers, employés, techniciens-agents de maîtrise, ingénieurs et cadres (notre article).

 

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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