EPRD : quelques gouttes de goudron peuvent gâcher le baril de miel…

EPRD : quelques gouttes de goudron peuvent gâcher le baril de miel…

30.01.2017

Action sociale

Dans sa chronique, Jean-Pierre Hardy nous explique que CPOM et EPRD peuvent être des outils stratégiques au service du nouveau paradigme du secteur social et médico-social : les parcours dans le cadre de plateformes coopératives. Les textes réglementaires laissent ouvertes deux conceptions : l'une conservatrice, l'autre au service d'une nouvelle culture professionnelle.

L'état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) n’est pas qu’un simple outil technique neutre et un simple outil financier d’un ou de plusieurs contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). C’est un outil stratégique en matière de gouvernance par l’organisme gestionnaire et en matière de pilotage des politiques publiques par les autorités administratives au travers du choix du compte de résultat prévisionnel principal (CRPP), du regroupement d’entités trop nombreuses et balkanisées dans quelques comptes de résultats prévisionnels annexes (CRPA) « territoriaux » et « par filières de parcours », la création de services communs favorisant la mutualisation, la coopération et la coordination.

Les textes réglementaires sur l’EPRD laissent ouverts deux conceptions de l’EPRD.

L’EPRD conservateur et corporatiste

Ce modèle d’EPRD oblige à retenir comme CRPP l’établissement historique, le plan ancien et comme CRPA chacun des ESSMS avec un numéro FINESS. Aussi dans le secteur du handicap, une ADAPEI ou une APAJH pourraient donc avoir plusieurs dizaines de CRP. On est donc loin du « choc de simplification » promis.

Cet EPRD refuse que le siège social agréé soit le CRPP lorsque la grande majorité des ESSMS sont sous CPOM.

Cet EPRD refuse d’inclure dans un ou des CRP, les « services communs » à créer pour permettre de réaliser les objectifs de mutualisation du CPOM, et préfère donner une nouvelle vie aux tableaux de répartition des charges communes et aux tableaux des mouvements des comptes de liaison que l’EPRD devait rendre inutiles.

Les décisions budgétaires modificatives en cours d’année entre CRP de l’EPRD sont soumises à l’accord explicite ou tacite des financeurs en contradiction avec les discours sur la responsabilisation des gestionnaires et au risque de voir les oppositionnels aux objectifs de mutualisation et de recomposition de l’offre du CPOM, instrumentaliser lors de ces occasions des remises en cause d’objectifs et de fragiliser la gouvernance du CPOM.

En matière de décisions budgétaires modificatives entre CRP de l’EPRD, les nouveaux articles R. 314-43-1 et R. 314-230 du code de l'action sociale et des familles (CASF) créés par le décret n° 2016-1815 du 21 décembre 2016 sont en recul par rapport aux circulaires et préconisations de la DGAS en 2007.

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés
L’EPRD permettant au nouveau paradigme du secteur social et médico-social de prospérer

Cet EPRD permet au siège social agréé d’être le CRPP.

Cet EPRD permet le regroupement d’ESSMS dans un même CRP, compte tenu de modes similaires de prises en charge des publics accueillis, de leurs sources de financement ou de leur proximité territoriale…

Cet EPRD permet la création de « services communs » mutualisant des moyens financés par des quotes-parts de services gérés en commun (compte 755) prélevés sur les autres CRP (comptes 655) sans passer par des tableaux de répartition des charges communes et en rendant inutile le tableau des mouvements des comptes de liaison. Ces « services communs » peuvent aussi réceptionner les financements complémentaires du FIR de l’ARS ou ceux de la conférence départementale des financeurs.

Alors que des politiques publiques encouragent des dispositifs comme les « pôles de compétences et de prestations externalisées » (PCTE) pour mettre en œuvre les propositions du rapport de Denis Piveteau « Zéro sans solution » et de la mission « Desaulle », et les plateformes territoriales d’appui (PTA) voulues par la loi réformant notre système de santé pour mieux assurer la continuité des parcours des « cas complexes », un type d’EPRD peut rendre difficile, voire impossible le fonctionnement de ces dispositifs.

Le tableau de répartition des charges communes n’est pas la solution mais le problème. En effet, ces dispositifs nécessitent de la souplesse et de la réactivité. Il est impossible et contre-productif de geler en amont dans des clefs de répartition des bouts de poste sur des ESSMS avec le risque de rigidifier les interventions et de laisser des angles morts. Il vaut mieux dans le cadre d’un « service commun » avec son CRP, les répartir en aval avec des quotes-parts. Par exemple, des infirmières de nuit communes à plusieurs EHPAD, voire d’autres ESSMS, doivent-elles être pré-affectées avec des fractions d’ETP entre EHPAD, SSIAD et autres ESSMS, ou relever d’un service commun afin d’intervenir de façon différenciée et modulable dans le temps et dans l’espace…

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement
Conforter de nouvelles cultures professionnelles dans les organismes gestionnaires et les administrations

L’EPRD est l’outil financier pour sortir de la fausse alternative entre le « tout domicile » et le « tout établissement », au profit de plateformes de services coopératives territorialisées. Un type d’EPRD peut les faciliter, un autre les rendre impossible.

L’EPRD n’est pas qu’un outil technique, c’est aussi un outil politique qui peut ossifier une offre balkanisée ou faciliter son adaptation et sa transformation.

La question est bien de savoir si l’EPRD est un outil au service des politiques publiques affichées (mutualisation, coopération, plateforme de services) ou s’il va restreindre, voire empêcher, le plein déploiement de ces politiques.

Il y a bien un EPRD qui s’inscrit dans le nouveau paradigme des plateformes de services permettant des parcours et accepte d’accueillir dans un CRP des activités complémentaires ou connexes comme dans le secteur de personnes en situation de handicap les dispositifs d’emplois accompagnés. Et, un EPRD qui ne voudra voir que les ESSMS « historiques » de la nomenclature FINESS.

Le choix d’un type d’EPRD ne relève pas de querelles picrocholines et byzantines. En la matière, selon le proverbe russe : « Une cuillère de goudron peut gâcher le baril de miel ».

Le refus de créer dans le plan comptable des ESSMS, les comptes 655-2 et 755-2 : quotes-parts de résultat des services communs du CPOM, ajoute « une cuillère de goudron », même si l’on peut par défaut utiliser à cet effet les comptes 655-9 et 755-9.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 reconnaît mieux l’articulation entre siège social agréé et CPOM. Le décret d’application devrait d’une part, modifier l’article R.314-215 pour permettre au siège social d’être le CRPP d’un CPOM et d’autre part, reprendre les dispositions du projet de décret de 2010 sur le libre prélèvement des quotes-parts de frais de siège dans les CRP des CPOM dans la limite de la dotation globalisée commune et sachant que des prélèvements excessifs ou injustifiés relèvent des récupérations prévues à l’article L. 313-14-2 du CASF.

CPOM et EPRD se doivent de conforter de nouvelles cultures professionnelles dans les organismes gestionnaires et les administrations en remettant en cause les corporatismes et les conservatismes, en particulier celui de certains directeurs d’établissement (« moi, mon établissement, ma vie, mon œuvre… et mon inspecteur ») et de certains tarificateurs (« mes établissements et mes directeurs »).

CPOM et EPRD sont les outils politiques, stratégiques et techniques du nouveau paradigme du secteur social et médico-social, à savoir, les parcours dans le cadre de plateformes coopératives et territorialisées de services s’inscrivant dans une économie circulaire de l’économie sociale et solidaire.

 

Jean-Pierre Hardy, co-auteur avec Jean-René Loubat et Marie-Aline Bloch (préface Denis Piveteau) de l’ouvrage : « Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale », éditions Dunod 2016.

Jean-Pierre Hardy
Vous aimerez aussi

Nos engagements