Éradiquer la pauvreté en Europe, une urgence sociale et démocratique

Éradiquer la pauvreté en Europe, une urgence sociale et démocratique

21.05.2019

Action sociale

A l'approche des européennes, Florent Guéguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, et Freek Spinnewijin, directeur de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA), appellent dans une tribune à une Europe solidaire. Il y a urgence : 86 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté [*].

Un spectre hante l’Europe : celui de l’urgence sociale, avec ses 86 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et ses inégalités de revenu et de patrimoine croissantes dans le continent le plus riche du monde. La grande pauvreté et l’exclusion demeurent voire progressent. 16 millions d’Européen.ne.s, dont 4 millions d’hommes, de femmes et d’enfants en France, dépendent du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) pour manger à leur faim, un chiffre glaçant. Chaque année la Fondation Abbé Pierre et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA) montrent que le nombre de personnes sans-abri ou mal logées progresse dans tous les pays de l’Union à l’exception de la Finlande qui a mis en œuvre une politique ambitieuse du logement d’abord.

Sentiment d’abandon des plus fragiles qui alimente le nationalisme et la xénophobie

Cette Europe sociale « en panne », sur un continent qui compte chaque année plus de milliardaires, s’éloigne de son projet initial, ce qui explique en partie le sentiment de rejet ou d’indifférence vis-à-vis du projet européen parmi les classes populaires et moyennes qui se sentent abandonnées ou craignent le déclassement. Ce sentiment d’abandon des plus fragiles alimente aussi le nationalisme et la xénophobie, la tentation du repli identitaire et de la fermeture des frontières. L’absence de solidarité entre les pays de l’Union à l’égard des personnes migrantes et exilées qui fuient la guerre et l’extrême pauvreté est également coupable. Des dizaines de milliers de personnes sont mortes ces dernières années en tentant d’atteindre notre continent, et des milliers d’autres y vivent dans des conditions indignes. Fort heureusement de nombreuses associations et citoyens s’investissent au quotidien pour proposer à ces personnes un accueil digne.

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Un manifeste pour une Europe solidaire

Pour remettre la question sociale au centre du débat politique européen, la Fédération des acteurs de la solidarité, l’Uniopss, EAPN France et la FEANTSA, ont souhaité interpeller les candidat.e.s des différentes listes aux élections européennes sur la base d’un manifeste pour une Europe solidaire signé par 40 associations nationales de lutte contre l’exclusion. Nous demandons la mise en œuvre effective du socle européen des droits sociaux adopté en novembre 2017, qui n’a aujourd’hui qu’une valeur déclarative.

Concrètement, cela veut dire que l’UE a le devoir et la responsabilité d’assurer et de faire respecter aux Etats membres un ensemble de droits sociaux tel qu’un revenu minimum pour les personnes sans emploi, des allocations chômage, des pensions de retraite permettant à toutes et tous de vivre dignement. Nous souhaitons que la protection sociale et les minima sociaux soient harmonisés par le haut pour faire cesser le dumping social aujourd’hui à l’œuvre en Europe. L’accès aux soins des plus fragiles, figure également dans notre manifeste, au moment où les politiques d’austérité mises en œuvre en Europe menacent les services publics de santé. Le socle européen des droits sociaux prévoit que « toute personne a le droit d’accéder à des prix abordables et dans des délais raisonnables à des soins de santé préventifs et curatifs de qualité ». La désertification médicale, le non-recours aux soins et les discriminations qui touchent d’abord les plus précaires doivent être combattus au sein de l’Union Européenne.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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Lutter contre le mal logement

La lutte contre le mal logement doit devenir une grande cause de l’Union Européenne au moment où le nombre de sans-abri ne cesse d’augmenter : + 160 % en Irlande entre 2015 et 2019 ; + 71 % en Angleterre entre 2010 et 2018 ; + 150 % en Allemagne entre 2014 et 2016. La situation est telle que certains pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne réinvestissent, à la différence de la France dans le logement social public. Les associations demandent que les financements européens (FSE, Feder) dédiés à la production de logements sociaux, leur rénovation thermique, et l’accompagnement social soient renforcés en complément de l’investissement des Etats. L’Europe doit aussi s’accorder sur un système d’encadrement des loyers et des plateformes en ligne de locations dans les grandes métropoles.

Combattre les politiques de criminalisation

Les personnes sans-abri sont aussi trop souvent victimes de politiques de criminalisation et d’interdiction d’occupation de l’espace public menées par certains Etats membres. Des communautés de citoyens européens, notamment les personnes Rom, sont également victimes de politiques discriminatoires quant à l’accès aux biens essentiels : logement, emploi, éducation, prestations sociales minimales. Ces pratiques nationales sont clairement contraires la charte européenne des droits fondamentaux : elles doivent être dénoncées par l’UE et faire l’objet le cas échéant de sanctions financières dissuasives.

Répondre à la crise de l’accueil des personnes migrantes

L’Europe doit aussi organiser avec les Etats membres une politique d’accueil digne et solidaire et répondre à la crise de l’accueil des personnes migrantes. Nous ne pouvons accepter que la mer Méditerranée devienne un cimetière, ni que des milliers d’exilé.e.s soient condamné.e.s à vivre à la rue en Europe. Cette situation nécessite une réaction forte de l’UE qui doit faire respecter dans chaque Etat membre des conditions matérielles d’accueil dignes, l’accès à la procédure d’asile et une juste répartition territoriale de l’accueil. Le règlement Dublin qui oblige les personnes à demander l’asile dans le pays d’entrée dans l’UE ne fonctionne pas et alimente les campements indignes. Il doit être remplacé par un système qui tienne compte de la volonté des demandeurs d’asile, de leurs attaches familiales et personnelles ainsi que leur culture linguistique dans leur répartition territoriale.

Promouvoir les services publics et le modèle associatif

Enfin, réduire la pauvreté suppose de protéger et de promouvoir les services publics et le modèle associatif, aujourd’hui fragilisé par la baisse des financements publics et des règles européennes qui les mettent en concurrence avec le secteur lucratif. Ces services doivent être considérés comme des « biens communs » protégés des règles de libéralisation car ils sont une composante essentielle de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités.

 

[*] Les propos tenus dans la rubrique "Vos chroniques" sont rédigés sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction.

Florent Guéguen Co-auteur : Freek Spinnewijin (Directeur de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri - FEANTSA)
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