Le département de l’Essonne veut étaler ses créances d’aide sociale 2015 sur 5 ans ce qui soulève une émotion au niveau national. Force est de reconnaître que la quasi-totalité des départements ont des créances d’aide sociale à l’égard des ESSMS. Les fédérations employeurs (FEHAP, FEGAPEI-SYNEAS, SYNERPA) ont raison de vouloir contractualiser avec les départements.
Les décrets d’application qui doivent être publiés dans les prochains mois en application de la généralisation des CPOM dans les secteurs du handicap et des personnes âgées peuvent permettre de réformer l’aide sociale à l’hébergement (qui date de 1954) et mettre fin à un système à bout de souffle.
Les créances départementales d’aide sociale relèvent du droit tarifaire des ESSMS
Les prix de journée 2015 facturés par les ESSMS accueillant des Essonniens bénéficiaires de l’aide sociale, mais non encaissés par ces derniers au 31 décembre 2015 constituent des créances des ESSMS sur le département et des dettes à court terme pour le département à l’égard des ESSMS.
Les analyses financières des ESSMS mettent en évidence que le département 91 a, depuis de nombreuses années, des retards de paiements (ratio de rotation des créances de prix de journée) de 90 à 110 jours.
Le département 91 est loin d’être le seul département francilien et métropolitain à avoir des retards de paiement. France Horizon (ex-CEFR) qui accueille des rapatriés relevant de l’aide sociale de l’Etat dans ses EHPAD est bien placée pour savoir que l’Etat est aussi un très mauvais payeur. Les délais de paiement de la protection judiciaire de la jeunesse sont aussi très importants.
Le département 91, comme beaucoup d’autres départements, aurait donc pu continuer à avoir des retards de paiement, voire les aggraver, sans que cela n’entraîne une prise de conscience et les réactions collectives actuelles.
Les créances d’aide sociale de la fin d’un exercice budgétaire N-1 sont donc payées en année N. Mais en fin d’année N de nouvelles créances sont générées (90 à 110 jours de prix de journée) et seront payées en N + 1… et ainsi de suite les années, voire les décennies, suivantes, comme c’est le cas pour les ESAT et les CHRS depuis 1986.
Ce mécanisme financier est appelé « créances glissantes ». Il a été institué et réglementé lors du passage des hôpitaux, des ESAT et des CHRS du financement par prix de journée à la dotation globale. Il n’y a par contre aucune base légale et réglementaire pour le faire dans les ESSMS relevant de la compétence tarifaire des départements.
La faiblesse, voire l’absence, de « créances glissantes » au 31 décembre peut cacher des délais excessifs en cours d’année, compte tenu de pratiques des administrations sociales et de celles de la comptabilité publique au niveau départemental, de suspension des paiements, de gel et dégel de crédits au premier semestre et, de liquidation en catastrophe de ces crédits en fin d’année, les crédits non-consommés étant alors définitivement perdus et sachant que la fin de l’année pour la comptabilité publique départementale c’est le 15 novembre.
Des dettes « boules de neige »
Pour les départements, il s’agit de dettes « boules de neige » puisqu’elles grossissent chaque année du fait de l’inflation prix-salaires et, le cas échéant d’une aggravation, plus ou moins contrôlée, des délais de rotation des créances des ESSMS et des délais des procédures d’admission à l’aide sociale.
La réglementation tarifaire des ESSMS a pris en compte les délais de rotation des créances en permettant la constitution de provisions et réserves réglementées pour la couverture des besoins en fonds de roulement – BFR- (nouvelles appellations des comptes de « réserves de trésorerie »).
L’article R. 314-48 du CASF prévoit la reprise de ses réserves de trésorerie lorsque le BFR est couvert ou baisse, mais ce, pour uniquement renforcer la capacité d’autofinancement (CAF) des investissements des ESSMS.
La réglementation tarifaire permet à un ESSMS de rendre opposable au tarificateur les agios bancaires si les réserves de trésorerie ne couvrent pas son besoin en fonds de roulement (BFR).
Si le département 91 reconduit en 2016 les produits de la tarification 2015 (il a été annoncé un taux d’évolution des dépenses autorisées proche de 0 %) et verse aussi 1/5 des créances 2015, sans créer de nouvelles créances 2016, la situation financière des ESSMS sera meilleure fin 2016 que fin 2015.
Si à terme (les 5 ans d’un CPOM), le département 91 solde ses dettes 2015 aux ESSMS et met fin aux « créances glissantes » de ces dernières décennies, les ESSMS du 91 seront au final en meilleure situation de trésorerie et enviés par les ESSMS des autres départements.
C’est sans doute un paradoxe et une « ruse de l’histoire », mais c’est la réalité. Il me semble que le PCD 91 s’est fait piéger par le rapport d’audit d’un grand cabinet spécialiste des finances locales dont la renommée incontestable est inversement proportionnelle à ses compétences en matière de droit tarifaire des ESSMS.
Cependant, cet engagement politique du CD 91 de régler toute l’année 2016 en 2016 est techniquement irréalisable si la facturation se fait « à terme échu » à savoir, le début du mois suivant, avec en plus un délai de paiement de 30 à 45 jours… Aussi, les prix de journée de décembre 2016 seront facturés en janvier 2017 et encaissés fin février 2017. Les prix de journée de novembre 2016 seront, eux, encaissés fin janvier 2017.
La généralisation des CPOM
Pour une sortie de crise par le haut « gagnant-gagnant », il faut contractualiser.
Le code de l’action sociale et des familles (CASF) permet de régler cette question parmi d’autres dans le cadre, soit d’une convention d’aide sociale, soit d’un CPOM qui, d’ailleurs, vaut aussi convention d’aide sociale pour les EHPAD.
La situation de trésorerie des ESSMS dans les secteurs du handicap et des personnes âgées va s’améliorer avec la généralisation dans les 6 prochaines années des CPOM comme le prévoit la loi d’adaptation de la société au vieillissement (loi ASV) et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
En effet, un CPOM entraîne :
- un financement aux forfaits versés par douzième le 20 de chaque mois ;
- des tarifs afférents à l’hébergement en « net » et non plus en « brut » avec versement « à terme à échoir » ;
- le passage du ratio de rotation des créances de plusieurs mois à quelques jours.
Il conviendrait d’aller vers des CPOM tripartites PCD-ARS-Gestionnaire. Il a été conclu dans les EHPAD 9 000 conventions tripartites en France, il n’y a aucune raison de ne pas le faire dans le secteur du handicap et même de l’ASE compte tenu notamment des liens entre MECS et ITEP…
France Horizon qui gère quatre EHPAD dans le sud francilien a manifesté sa volonté de conclure sur ces bases un CPOM unique avec l’ARS et les PCD du 91 et du 77.
L’actuel dispositif de tarification, d’admission, de facturation et de paiement de l’aide sociale départementale est à bout de souffle.
Soulager la trésorerie des départements
Nos différentes propositions [1] nous semblent équilibrées dans le sens où elles vont permettre de :
- soulager la trésorerie du département et lui permettre de mieux maîtriser ses dépenses d’aide sociale ;
- simplifier et d’alléger les tâches administratives et financières du département et du trésorier-payeur général ;
- éviter les ressauts tarifaires en cours de séjour du fait des retards dans la fixation des tarifs « aide sociale » (article R. 314-35) et des reprises des résultats qui sont politiquement ingérables pour les élus locaux et socialement insupportables pour les résidents et les familles ;
- éviter que les contentieux de la tarification qui étaient en voie « d’assèchement », prospèrent de nouveau ;
- garantir aux EHPAD leur équilibre budgétaire et la poursuite des investissements qui ont été approuvés par les départements ;
- éviter aux ESSMS d’être amené à demander une déshabilitation partielle de l’aide sociale afin d’éviter les dépôts de bilan que le secteur de l’aide à domicile habilité à l’aide sociale connaît depuis 10 ans.
[1] Voir en pièces jointes : les propositions pour le secteur personnes âgées et les propositions pour le secteur handicap (le CPOM pourrait décliner la fiche ADF UNAPEI de bonnes pratiques publiée en mars 2015).