Européennes (2) : la Once, le jeu gagnant des aveugles et malvoyants espagnols

Européennes (2) : la Once, le jeu gagnant des aveugles et malvoyants espagnols

17.05.2019

Action sociale

A l'occasion des élections européennes, nous poursuivons nos présentations d’initiatives intéressantes en matière de politiques sociales. En Espagne, le groupe Once peut servir de modèle, non seulement pour l’économie sociale, mais aussi pour l’inclusion des personnes handicapées. Son succès repose sur des billets de loto…

Ses kiosques pullulent sur les trottoirs des villes espagnoles. Sur leurs vitrines, s’alignent tous les billets des prochaines loteries : pour ce vendredi, par exemple, il est encore temps de miser sur le Cuponazo XXL (« gros billet »), garni de 15 millions d’euros, ou sur le plus modeste Cupón du jour, et espérer jusqu’à 35 000 euros. Derrière le guichet, le vendeur, immanquablement, présente un signe distinctif : il vit avec un handicap.

Ces innombrables kiosques, il est vrai, sont tous tenus par l’Organisation nationale des aveugles espagnols (Once, en espagnol). Si en France, la Loterie nationale a été créée en 1933 au profit des « gueules cassées » et autres invalides de la Première guerre mondiale, en Espagne, c’est en pleine Guerre civile, en 1938, que la structure a été fondée, avec la bénédiction de Francisco Franco. Depuis, la démocratie est heureusement revenue, et la Once est devenue un mastodonte de l’économie sociale, chargé de « l’inclusion sociale des personnes aveugles et avec déficience visuelle grave ».

3 milliards de budget

Le budget du « Grupo social Once », à lui seul, est remarquable, avec pas moins de 3 milliards d’euros recueillis annuellement, principalement grâce aux loteries, mais aussi grâce aux entreprises sociales de sa filiale, Ilunion – qui visent « l’intégration au travail des personnes handicapées », à travers des activités aussi variées que le tourisme, les commerces de détail, l’information sociale, les services d’aide à domicile, ou les résidences pour personnes âgées !

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Un but non lucratif

Et le groupe étant à but non lucratif, il peut ainsi employer près de 70 000 personnes, dont près de 58 % sont handicapées. Et surtout, il peut consacrer des services sociaux fort généreux à ses quelque 72 000 adhérents aveugles ou malvoyants. La Once peut notamment œuvrer à leur autonomie, par exemple en offrant des chiens guides ; elle construit une éducation pleinement inclusive, dans les écoles ordinaires ; elle ouvre l’accès à l’emploi, non seulement avec ses kiosques, mais aussi dans les entreprises classiques ; elle accompagne enfin vers la culture, les loisirs, les sports, ou les nouvelles technologies… A vrai dire, sur ce plan, la Once dépasse le champ du privé non lucratif : « Pour les personnes aveugles et malvoyantes, nous exerçons une délégation de l’administration publique », comme le souligne Ana Peláez, conseillère exécutive aux relations internationales à la Once.

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Solidaire avec les autres handicaps

Mais le Grupo social a même pu échafauder une nouvelle fondation, pour accompagner, cette fois, tous les autres handicaps. Il y consacre 3 % des revenus bruts de ses jeux de hasard – soit 1 euro pour 3 autres alloués à ses propres services sociaux. « C’est notre esprit de solidarité », poursuit la responsable, également vice-présidente du Forum européen des personnes handicapées. Lancée en 1988, cette Fundación Once soutient la formation, l’emploi et l’accessibilité universelle pour près de 4 millions d’Espagnols concernés. Le groupe, par ailleurs, a aussi lancé une fondation pour les aveugles en Amérique latine, une autre pour les chiens-guides, et encore une pour les personnes sourdaveugles.

Desinstitucionalización

Ce géant de l’économie sociale, en revanche, ne se mêle pas directement au militantisme politique. « Nous nous y investissons à travers le Comité espagnol de représentants de personnes avec handicap (Cermi), que nous avons activement contribué à construire », explique Ana Peláez, également vice-présidente de la Fondation des femmes du Cermi. Le groupe social n’en milite pas moins par l’action. Ainsi la "desinstitucionalización" ne fait, ici, plus débat : « Nous avons fermé tous nos centres spécialisés dès les années 80, et nous sommes tout à fait en faveur de la convention relative aux droits des personnes handicapées. » La Once s’investit d’ailleurs à l’Onu au sein du Comité des droits des personnes handicapées, qui a déjà critiqué la France pour ses manquements en matière d’inclusion.

Un référent pour Sophie Cluzel

Désormais l’influence du groupe espagnol dépasse largement ses frontières nationales. Il a été qualifié de « véritable référent pour son travail inclusif » par Sophie Cluzel, la secrétaire d’Etat française chargée des Personnes handicapées, qui est venue découvrir l’institution à Madrid dès février 2018. Et il s’investit dans différentes fédérations et instances européennes, aussi bien qu’en Amérique latine ou encore à la Banque mondiale…

A plus de 80 ans, le groupe Once peut donc tirer une certaine fierté, « de l’unité, de l’autodétermination et de la pleine inclusion qu’elle permet aux personnes en situation de handicap », comme le formule Ana Peláez. Et de l’autre côté des Pyrénées, son modèle pourrait être envié par bien des organisations.

 

Lire aussi notre premier article pour les Européennes : Les Gallois donnent l'exemple contre le sans-abrisme

Olivier Bonnin
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