Évoqué à l'Assemblée, le classement du Covid-19 en maladie professionnelle fait débat

Évoqué à l'Assemblée, le classement du Covid-19 en maladie professionnelle fait débat

24.04.2020

Représentants du personnel

Lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a indiqué que le Covid-19 serait reconnu comme maladie professionnelle pour tous les personnels soignants. Plusieurs associations et syndicats réclament que le classement comme maladie professionnelle soit élargi à tous les salariés exposés dans les secteurs essentiels comme l'alimentaire. Au travers de ce débat, les modalités d'indemnisation des salariés sont en jeu.

Le débat sur le Covid-19 qualifié de maladie professionnelle remonte en réalité à fin mars, quand Olivier Véran l'a évoqué sur Twitter sans autre précision (lire notre brève). Depuis, la question n'avait pas été vraiment tranchée. Une question au gouvernement a remis le sujet sur le tapis mardi 21 avril. 
Le Covid-19, maladie professionnelle automatique pour les soignants seulement
"S’agissant des soignants (…), nous avons décidé une reconnaissance automatique comme maladie professionnelle, avec indemnisation en cas d’incapacité temporaire ou permanente" a déclaré le ministre de la Santé. Cela concernerait non seulement les soignants hospitaliers (qui sont déjà inclus dans le régime des maladies professionnelles) mais aussi les professions libérales, travaillant en Ehpad ou en cabinet indépendant. Ces propos ont été vivement commentés dès la fin de l'intervention d'Olivier Véran, les réactions posant immédiatement la question des autres travailleurs exposés à la maladie car non confinés en raison de leurs missions dans un secteur essentiel : alimentaire, sécurité, transports par exemple. Car la maladie professionnelle automatique présente l'avantage d'alléger les procédures en raison de sa définition juridique : une maladie est considérée comme professionnelle lorsqu'elle est la conséquence de l'exposition du travailleur à un risque lors de l'activité professionnelle (exposition à des agents toxiques, par exemple) ou qu'elle résulte des conditions dans lesquelles ce travailleur a effectué son travail. Pour faire reconnaître que sa maladie est professionnelle, la pathologie doit figurer dans les tableaux publiés en annexe du code de la sécurité sociale. Si la maladie du salarié correspond au descriptif des tableaux, alors elle est présumée d'origine professionnelle.
Les soignants n'auront pas à réaliser cette démarche : s'ils contractent le Covid-19, la reconnaissance comme maladie professionnelle sera automatique. De même, ils n'auraient pas à respecter la condition du délai de prise en charge fixé dans les tableaux. Ce délai correspond au délai maximal entre la cessation d'exposition au risque et la première constatation médicale de la maladie. En d'autres termes, il s'agit du délai pendant lequel la maladie doit, au plus tard, être médicalement constatée.
Les procédures pour les soignants seront donc considérablement allégées. Depuis longtemps décriées comme archaïques, elles peuvent en effet nécessiter plusieurs années. Les soignants seront indemnisés bien que le Covid-19 ne figure pas encore au tableau des maladies professionnelles puisqu'il s'agit d'une affection nouvelle. Ils éviteront donc les procédures de reconnaissance d'une maladie "hors tableau" qui n'est possible que dans deux cas : soit la maladie figure dans un des tableaux de maladies professionnelles, mais toutes les conditions fixées par ce tableau ne sont pas remplies, soit la maladie ne figure pas dans les tableaux de maladies professionnelles et elle a entraîné le décès ou une incapacité permanente de 25 %. Cette procédure se mène devant un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. En un mot, grâce à la reconnaissance automatique, les soignants atteints du Covid-19 n'auront pas à "lutter" pour se faire indemniser. 
La maladie professionnelle : une indemnisation avantageuse ?
Le classement en maladie professionnelle du Covid-19 permettra aux bénéficiaires d'obtenir la prise en charge totale des soins médicaux et le versement d'indemnités journalières pendant la période d'incapacité temporaire qui oblige le salarié à interrompre son travail. Si le salarié est atteint d'une incapacité permanente de travail, il se voit attribué une indemnité en capital lorsque le taux de l'incapacité est inférieur à 10 % ou une rente au-delà. Et en cas de décès, les ayants droit reçoivent à une rente et bénéficient d'une prise en charge des frais funéraires. L'indemnité journalière est égale à 60 % du salaire journalier de base pendant les 28 premiers jours d'arrêt de travail puis 80 % de ce salaire à partir du 29e jour.

Comparées à un arrêt de travail classique (50 % de votre salaire journalier de base), l'indemnisation pour maladie professionnelle est donc plus avantageuse. Elle demeure cependant forfaitaire donc limitée. Par ailleurs, le coronavirus étant une maladie nouvelle, aux conséquences et séquelles à long terme totalement inconnues, on peut aussi se demander si l'indemnisation pour maladie professionnelle sera adaptée aux victimes. Pour autant, plusieurs associations et syndicats demandent que la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle soit élargie aux salariés qui ont travaillé pendant le confinement, notamment dans les secteurs essentiels comme l'alimentaire, les transports ou la sécurité, ou faute de pouvoir télétravailler.

Syndicats et associations demandent l'élargissement du dispositif ou la crédtion d'un fonds d'indemnisation

Dans un communiqué de presse publié mercredi 22 avril, Force Ouvrière a demandé l’élargissement, au-delà des soignants, du dispositif de reconnaissance automatique en maladie professionnelle du Covid-19 pour tous les salariés exposés dans le cadre de leur activité. "Distribution, logistique, éboueurs, travailleurs sociaux, postiers, personnels de sécurité… De nombreux métiers, jusqu’ici très largement dévalorisés, contribuent aujourd’hui à maintenir notre pays en fonctionnement (...). La reconnaissance en maladie professionnelle est une mesure de justice sociale (...), Les efforts consentis ne peuvent être récompensés par de simples remerciements", conclut le communiqué.

L'UNSA Fonction publique a pointé quant à elle qu'"un ensei­gnant accueillant des élèves, un poli­cier pro­cé­dant à un contrôle, un hos­pi­ta­lier exer­çant à l’hôpi­tal doit pouvoir bénéficier des dis­po­si­tifs liés aux mala­dies pro­fes­sion­nel­les dans la fonc­tion publi­que".

Depuis le 3 avril 2020, l'Académie de médecine apporte de l'eau au moulin de la reconnaissance du Covid-19. Dans l’attente de l'inscription du virus au tableau des maladies professionnelles, elle recommande "que les cas de maladie liée à une contamination professionnelle puissent être déclarés comme affection imputable au service pour les agents de l’État et des collectivités, en accident du travail pour les autres".

Mais d'autres voix s'élèvent pour réclamer un régime différent, au premier rang desquelles la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH). L'association demande la création d'un fonds d'indemnisation spécifique afin de pallier aux inconvénients liés au régime des maladies professionnelles, notamment dans son mode d'indemnisation et son exclusion de la fonction publique (lire notre brève). Après la prise de parole d'Olivier Véran à l'Assemblée nationale, la FNATH et l'ANDEVA (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) ont publié un communiqué commun où elles qualifient la reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle de "jeu de dupes". Il s'agit selon elles d'une "indemnisation au rabais". Elles déplorent également que le gouvernement ne détermine pas précisément qui entre dans la définition de personnel soignant, et que les autres professions exposées doivent engager des procédures longues et coûteuses.

Enfin, dernière réaction en date, celle de la CFDT. Comme la FNATH, les secrétaires nationales du syndicat Catherine Pinchaut et Jocelyne Cabanal réaffirment la nécessité de la mise en œuvre "d’un dispositif ad hoc, pour tous les travailleurs mobilisés dans cette période et qui participent à la continuité sociale de l’activité". 

 

L'avis de Morane Keim-Bagot, Professeur de droit privé à l’Université de Bourgogne : "Les maladies professionnelles, un système centenaire et inadapté"
Lors d'un colloque virtuel organisé sur Youtube par l'Institut régional du travail de Nancy le 15 avril 2020 (donc avant l'intervention d'Olivier Véran), Morane Keim-Bagot, professeur de droit à l'Université de Bourgogne, a tenu une vidéoconférence gratuite et très claire sur le sujet "Le Covid-19, un nouveau risque professionnel ?". Elle y explique que le régime des maladies professionnelles est "centenaire et inadapté". L'indemnisation forfaitaire des séquelles y présente peu d'avantages. Si les séquelles ne sont pas permanentes, leur réparation est limitée au préjudice subi pendant la période traumatique. L'inscription du Coronavirus au tableau des maladies professionnelles est selon elle peu probable car elle nécessite de réunir l'instance paritaire qui en décide. Quant à la reconnaissance comme accident du travail, elle a été bornée par la Cour de cassation : la cause de la maladie doit se trouver dans un traumatisme soudain survenu pendant le temps de travail, la contagion étant insuffisante. De plus, la preuve de la matérialité de l'accident incombe au salarié. Enfin, la solution d'un fonds d'indemnisation a déjà été adoptée lors des crises du sang contaminé et de l'amiante. "L'avantage, c'est qu'il canalise les demandes. De plus, les victimes peuvent obtenir rapidement leur indemnisation sans rapporter la preuve du lien de causalité entre le dommage et le fait dommageable. Enfin, le fonds neutralise les différences de droits entre salariés, fonctionnaires et travailleurs indépendants". Il restera cependant à en déterminer les bénéficiaires, et par hypothèse, toutes les victimes du Covid-19 n'y auront pas accès...

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Marie-Aude Grimont
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