Face à la montée de la défiance et au délitement du lien social, l'Observatoire national de l'action sociale a organisé une rencontre au Sénat sur "Les maires et le pacte républicain". L'occasion de présenter des initiatives concrètes comme celle de ce maire alsacien qui, depuis sept ans, propose aux habitants de participer à une journée citoyenne au service de la commune.
tsa : Quel a été le point de départ de cette journée citoyenne organisée à Berrwiller?
Fabian Jordan : J'ai été élu en 2008 maire de ce village de 1 200 habitants qui fait partie de l'agglomération de Mulhouse, dans le Haut-Rhin. Je suis arrivé à cette fonction en constatant que les habitants se parlent de moins en moins, qu'ils disent ne plus en avoir le temps. Deux ans plus tôt, j'avais pourtant observé qu'à l'occasion de chutes massives de neige qui avaient bloqué les gens chez eux, une grande solidarité s'était manifestée, les gens s'étaient entraidés pour déblayer. Ils s'étaient mis à discuter, à s'inviter les uns chez les autres. Je me demandais comment prolonger cet élan.
Et c'est sur cette base que vous avez inventé le principe de cette journée citoyenne…
Elle répondait à deux objectifs : remettre du dialogue dans la commune ; réaliser des petits travaux que les finances ne permettaient pas forcément de prendre en charge. Mon idée était simple : demander aux habitants de se mobiliser un samedi par an au service de la commune. Ma proposition a été accueillie de façon diverse, certains craignant qu'elle n'intéresse peu de monde. Erreur : dès la première édition, en 2008, 150 personnes se sont mobilisées pour cette journée citoyenne. Et pour la 7e édition, en mai dernier, elle a rassemblé 380 personnes qui se sont impliquées sur une trentaine de chantiers.
Comment s'organise-t-elle concrètement ?
Les habitants proposent, les mois précédents, des idées de chantiers à réaliser sur la commune. Une fois la liste arrêtée, toute la préparation se met en marche : la commune fournit tous les matériaux ; des groupes de travail se réunissent pour chacun des chantiers sous la conduite d'un responsable bénévole. Les enfants sont également associés à cette journée, avec des projets spécifiques, comme la création de nichoirs pour les oiseaux.
Au bout de 7 éditions, quels changements avez-vous observé ?
Indéniablement, la commune s'est embellie, a amélioré son cadre de vie avec les dizaines de chantiers conduits. Mais d'une certaine manière, le plus important n'est pas là. Le regard qu'on porte sur l'autre a changé. Les gens ont appris à se parler, ne serait-ce que pour préparer les travaux en amont. Je constate que les habitants s'impliquent quand on leur demande de le faire. En même temps, je veille à ne pas stigmatiser ceux qui, par impossibilité ou par choix, ne participent à cette journée citoyenne. Il ne s'agit pas de diviser la commune en opposant les uns et les autres.
Et plus concrètement, cela a-t-il eu des débouchés concrets ?
Un projet est né de cette dynamique : un local intergénérationnel a été aménagé lors de ces journées citoyennes à partir d'une ancienne agence bancaire et sera géré à terme conjointement par un conseil des anciens et un conseil des enfants qui décideront ensemble des activités. Cela ne se répercute pas pour autant sur le vote de la population : aux Européennes, le Front national a réalisé près de 30 % des suffrages exprimés : j'observe un découplage, au sein d'une partie de la population entre une vision très négative de la politique nationale et une adhésion aux politiques de proximité.
Votre initiative a-t-elle essaimé ?
Depuis plusieurs années, des communes de l'agglomération de Mulhouse ont repris à leur compte cette journée citoyenne. Cette année, 29 des 34 membres de celle-ci y ont participé, impliquant environ 5 000 personnes. Cette démarche a fait également des petits dans d'autres régions, comme en Bretagne, dans le Jura, la Savoie, le Nord, etc. Tout cela permet également de créer des liens, d'avoir des échanges entre la cinquantaine de communes parties prenantes de cette journée.
Vous avez participé à la rencontre organisée par l'Odas sur "Les maires et le pacte républicain". Quel sens lui donnez-vous ?
Face à la crise que nous vivons, il faut jouer pleinement la carte de la proximité, être vraiment à l'écoute des citoyens qui, dans ce cas-là, peuvent être acteurs et se mobiliser, contrairement aux idées reçues. Il faut vraiment essayer d'avancer ensemble en revenant à des actions simples, proches des gens. À cet égard, les journées citoyennes apportent sans doute plus de résultats positifs que bien des réformes ambitieuses qui n'aboutissent pas.
Le sursaut par l'échelon local |
---|
Le 4 juin, l'Odas et le Collectif Vivre ensemble et Fraternité ont organisé un symposium au Sénat sur le thème "Les maires et le Pacte républicain : du fronton à l'action", avec le témoignage notamment de quelques élus engagés dans des dynamiques participatives. "La crise de confiance des Français envers les responsables politiques s'est considérablement accentuée ces dernières années. Et même les maires n'y échappent pas, comme le laisse entrevoir l'important taux d'abstention des dernières élections municipales. C'est pourtant au niveau municipal que peuvent se développer des relations de confiance entre les habitants et entre les habitants et leurs responsables", explique le texte appelant à cette mobilisation. |