Formation des élus, VAE militante : un paysage en pleine recomposition

Formation des élus, VAE militante : un paysage en pleine recomposition

19.11.2019

Représentants du personnel

Plus courtes, davantage techniques, les formations destinées aux représentants syndicaux et élus du personnel évoluent alors que se développe, très lentement, la validation des acquis de l’expérience des mandats, parfois qualifiée de VAE militante. Echos d’un colloque organisé le 15 novembre dans la cité phocéenne par l’institut régional du travail d’Aix-Marseille à l’occasion de ses 60 ans.

Depuis les années 80 et les lois Auroux s’est créé un marché de la formation des instances représentatives du personnel. Concurrentiel, investi par les sociétés privées, ce marché propose des formations de plus en plus techniques, note le sociologue Karel Yon. Et plus courtes, ajoute le chercheur Jacques Freyssinet : «Dans les années 60, les IRT, les instituts régionaux du travail (1), avaient l’ambition de délivrer des formations de base importantes pour des syndicalistes qui mettaient pour la première fois les pieds dans une université : il y avait des sessions de 15 jours. Ensuite, les formations sont devenues plus compactes, et davantage liées à des changements législatifs ».

La monétisation du CPF est antinomique avec la construction d'un projet de formation 

 

Cette évolution s’explique notamment par la baisse des effectifs militants et par la recherche accrue de performance au travail qui exerce une forte pression sur les salariés, leur absence étant plus difficile. Cette situation aboutit aujourd’hui à ce que certains syndicats demandent aux IRT de prévoir pour leurs militants des formations économiques sur…une journée seulement, constate Yann Leroy, le directeur de l’IRT de Nancy-Lorraine. Et tous les orateurs présents de critiquer d’une même voix la conception marchande de la formation des salariés et des élus, symbolisée par l'évolution du compte personnel de formation (CPF). Une tendance dénoncée ainsi par Mario Correia, le directeur de l'IRT Aix-Marseille : «La monétisation du CPF est antinomique avec la construction d’un projet de formation. Cliquer sur une offre catalogue, ce n’est pas construire un projet de formation, c’est de la simple consommation ».

L'avènement de la négociation collective et des savoirs techniques qui y sont associés

Pour Karel Yon, cette évolution vers des formations techniques et courtes coïncide avec la baisse d’influence de la CGT et de son modèle de lutte des classes et d’opposition à l’employeur, via un engagement militant très fort. La montée en puissance de la négociation collective, notamment depuis les années 2000 avec une institutionnalisation croissante du dialogue social d’entreprise, va de pair avec cette valorisation des savoirs-faire techniques des représentants du personnel, ajoute le sociologue. « Cela présuppose que le syndicalisme et les mandats de représentant du personnel constituent une profession avec ses savoirs et ses compétences », estime le chercheur.

Le rapport de forces, inhérent à la négociation sociale, est peu présent dans les formations communes IRP-RH 

 

Ce dernier inscrit dans cette mutation la récente promotion des formations communes entre, par exemple, RH d'un côté et, de l'autre, élus du personnel et négociateurs syndicaux. Des formations qui touchent encore peu de monde, pourrait-on nuancer. Mario Correia souligne d’ailleurs avec malice qu’en dépit du rapport de Jean-Dominique Simonpoli préconisant leur développement, les grandes écoles ne se sont pas précipitées pour lancer ces formations communes, tandis que se créent des diplômes universitaires (DU) dans ce domaine, parfois également investi par les IRT (2). « Le travail lié au conflit et au rapport de forces, inhérent à la négociation collective, est très peu présent dans ces formations », critique du reste Karel Yon. C’est donc dans ce contexte de forts changements, autour du travail et de la représentation du personnel, qu’apparaissent des dispositifs de reconnaissance de l’expérience syndicale, « les employeurs cherchant ainsi à échapper à des poursuites pour discrimination syndicale », interprète le chercheur.

La VAE militante ne borne-t-elle pas l'action syndicale dans un registre étroit ?

 

Que penser de cette validation des acquis de l'expérience (VAE) consistant à faire certifier les savoirs-faire acquis lors de mandat de représentant du personnel ? « C’est bien sûr une bonne chose que soient pris en considération les acquis de l’expérience syndicale, cela dénote pour partie une volonté de favoriser l’engagement syndical, commente le juriste Antoine Jeammaud. Il faudra regarder si cela marche ou non. Mais cela pose une question fondamentale, celle de l’institutionnalisation. Ce droit de VAE syndicale n’inscrit-il pas l’action syndicale dans un cadre d’action limitée, loin de l’activité revendicative et de lien avec les militants et les salariés ?».

Validation des acquis des mandats : des débuts poussifs

A la question « est-ce que ça marche ? », il est bien sûr trop tôt pour répondre. Mais les débuts de la VAE militante sont poussifs. Sur les 56 militants syndicaux que l’institut régional du travail d’Occitanie a sensibilisé à cette question (dont 57% d’hommes, 38% de militants CGT, 34% de CFDT et 20% de FO), 7 ont effectivement poursuivi une démarche de validation des compétences issues de leurs parcours militants, « mais seulement trois ont obtenu une promotion de leur entreprise à la suite de cette VAE » (3).

Signe révélateur du défi que représente pour un élu du personnel cette démarche, le passage devant le jury a été ressenti par tous comme un moment très fort, certains le vivant comme une reconnaissance, d’autres comme une humiliation, rapporte Yannick Lequentrec, la directrice de l’IRT Occitanie (lire quelques témoignages dans notre article 25/4/2019). Et Yannick Lequentrec d’avouer son scepticisme : « Il est douteux que la VAE militante puisse combler le manque de reconnaissance des parcours syndicaux. Il me semble qu’il faut d’abord lutter contre la discrimination syndicale ».

Si je ne me forme pas sur des sujets complexes, ma parole n'est pas crédible

 

A la deuxième question posée par le juriste Antoine Jeammaud, celle d’une institutionnalisation des compétences liées aux mandats, une évolution qui pourrait être dangereuse pour l’activité syndicale elle-même, les réponses et avis divergent. « Professionnalisation ? Mais en tant que responsable régional CFDT en charge de l’emploi et de la formation, si je ne m’étais pas formé à ces dossiers, ma parole ne serait pas crédible !  Ce sont les employeurs qui sont, eux, très éloignés du travail réel », considère Frédéric Pelleing. La CGT, elle-même, semble évoluer sur la question, si l’on en croit le secrétaire du comité régional Paca, Gilles Fournel : « A la CGT, la crainte était qu’en faisant reconnaître des compétences dans le cadre d’un engagement syndical, on risquait d’en rabattre sur nos revendications. Du fait de la persistance des discriminations syndicales dans les entreprises, c’est en train de changer ». Le syndicat réfute néanmoins toujours toute idée de professionnaliser les mandats si cela doit signifier se couper du travail vécu par les autres salariés en étant accaparés par réunions et négociations.

Utiliser la reconnaissance des acquis comme un levier d'acceptation du syndicalisme

Reste que la VAE militante ne concerne toujours qu’une poignée de représentants du personnel, souvent expérimentés, parfois sur le départ ou en reconversion, quand il ne s'agit pas de dirigeants syndicaux. Ne faudrait-il pas plutôt, suggère Claude Emmanuel Triomphe, un ancien inspecteur du travail qui œuvre dans l’engagement civique (4), utiliser la VAE militante pour attirer les jeunes vers les mandats d’élus du personnel et représentants syndicaux, étant donné la très forte crise du syndicalisme en France ? « La valorisation et la certification des compétences des mandats ont pleinement leur place dans cette recherche d’acceptabilité des syndicats en France. Car en France, nous avons la culture du diplôme et des certificats », ironise-t-il en remarquant qu’à l’étranger, les syndicats se sont saisis eux-mêmes de la question et ne l’ont pas déléguée à l’Etat ou à l’université.

La représentation du personnel n'est pas un métier

 

Mais le débat est-il bien posé ? Pour Mario Correia, si l’on considère que la représentation du personnel est un métier, il y a maldonne : « Un représentant du personnel n’est pas un expert qui donne son avis, mais quelqu’un qui porte la représentation collective ». Cela n’est nullement contradictoire, ajoute-t-il, avec la nécessité de se former pour rendre un avis éclairé ou pour négocier : « Pour négocier sur le thème, par exemple, de la formation, il y a un ticket d’entrée à présenter, il faut s’être emparé du sujet, être monté progressivement en compétence ». Et le directeur de l’IRT d’Aix-Marseille d’ajouter que la VAE militante peut constituer une perspective de sortie par le haut pour des militants ayant fait reconnaître les compétences issues de leur expérience militante. A l’en croire, les ordonnances Macron, qui vont provoquer une forte baisse du nombre d’élus et donc un besoin accru de formations, représentent donc une opportunité historique de faire aboutir la VAE militante, « un sujet que nous essayons de lancer depuis vingt ans ».

 

(1) La France compte 10 instituts de ce type, 2 nationaux avec Paris et Strasbourg, et 8 régionaux, avec Bordeaux, Rennes, Nancy, Toulouse, Aix-Marseille, Grenoble, Lyon et Saint-Etienne. Partie intégrante de l’université et cofondé par les syndicats CGT, CFDT et FO, l’institut régional du travail d’Aix-Marseille est, comme les autres, placé sous la tutelle conjointe de l’enseignement supérieur et du ministère du Travail. Ces instituts ont porté dès l'origine une ambition d'émancipation sociale en offrant aux représentants du personnel et militants syndicaux un accès à l'université pour compléter leurs connaissances. Nous publierons prochainement une interview du directeur de l'IRT d'Aix-Marsille, Mario Correia.

(2) Comme, par exemple, le DU de l'université de Rouen, lancé avec l'appui de la Direccte. Voir notre article du 16/7/2019 : "A 54 ans, DS et DP, elle décroche un DU dialogue social et relations collectives au travail".

(3) Au départ,  les motivations des militants intéressées par la VAE étaient variées : 47% avançaient la volonté de valoriser leur syndicat, 36% cherchaient une valorisation professionnelle, 28% préparaient une sortie du mandat, etc.

(4) Claude Emmanuel Triomphe a notamment cofondé et dirigé Astrees, un laboratoire d'idées sur les transformations du travail en France et en Europe, et le site Metis.

 

Pas assez de formations pour les élus du personnel ?

Voici les différentes possibilités de formation existantes pour les élus du personnel :

  • La formation économique, sociale et syndicale

Dispensée par les centres de formation des organisations syndicales et par les instituts du travail, financée par l’Etat, une formation économique, sociale et syndicale d'une durée pouvant aller jusqu'à 12 jours par an (en un ou plusieurs congés) est ouverte de droit aux militants syndicaux et, plus largement, à tous les salariés, adhérents ou non à un syndicat (art. L.2145-11 du code du travail). Mais ce droit peut rester virtuel, nuance Yann Leroy, le directeur de l’IRT de Nancy, car l’employeur peut la refuser en motivant sa décision, le salarié devant alors saisir les prud'hommes pour contester ce refus.

  • La formation économique des élus CSE

Une formation économique d’une durée maximale de 5 jours est ouverte aux élus titulaires des CSE, et renouvelable au bout de 4 ans (art. L. 2315-63 du code du travail). Il s’agit de former les élus du personnel aux prérogatives économiques du comité. Dispensée par les centres des syndicats, par les IRT (celui de Nancy forme une centaine d’élus par an), par des organismes agréés par l'Etat (voir les sites des différents Direccte), cette formation est financée par le CSE sur son budget de fonctionnement. Attention, la durée de cette formation s'impute sur les 12 jours du congé de formation économique, sociale et syndicale.

  • La formation santé-sécurité des élus CSE

Une formation sur la santé et la sécurité d’une durée de 3 jours (jusqu’à 299 salariés) ou de 5 jours (à partir de 300 salariés) est ouverte aux élus titulaires et suppléants (art. L.2315-18). Dispensée par des organismes agréés par l'Etat (voir les sites des différents Direccte), cette formation est prise en charge par l'employeur .

  • La formation des conseillers prud'hommes

Une formation initiale est désormais dispensée par l’Ecole nationale de la magistrature aux conseillers prud’hommes (art. L.1442-1), ceux-ci devant obligatoirement la suivre. Elle dure 5 jours dont 3 jours à distance (e-formation). Sont abordés l'organisation judiciaire, le statut, l'éthique et la déontologie du conseiller prud'hommes, le procès, la tenue de l'audience et la rédaction des décisions. Au 30 avril 2019, l'ENM indique avoir formé 7 150 conseillers.

 

Yann Leroy juge ce dispositif incomplet. Il déplore l'absence d'une formation à la négociation pour les salariés (les ordonnances ayant accru les cas et les enjeux des négociations), d'une formation spécifique pour les conseillers du salarié et d'une formation pour les défenseurs syndicaux.

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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