François Chérèque, militant du compromis social, est mort

François Chérèque, militant du compromis social, est mort

03.01.2017

Représentants du personnel

Secrétaire général de la CFDT de 2002 à 2012, François Chérèque est mort hier. L'ancien syndicaliste, qui avait accepté la réforme des retraites de Raffarin de 2003 en contrepartie d'une avancée sur les carrières longues, avait notamment négocié la réforme de la représentativité syndicale.

Une imposante stature de rugbyman, sport qu'il pratiqua et appréciait, un débit parfois saccadé mais capable d'envolées et de coups de gueule : François Chérèque est décédé le 2 janvier à l'âge de 60 ans d'une longue maladie. "François est et restera une très grande figure de notre organisation. La CFDT et ses militants sont en deuil et de tout coeur avec sa famille et ses proches. Le syndicalisme perd une grande figure, la CFDT un responsable déterminant et moi un ami très cher", a réagi Laurent Berger, le successeur que François Chérèque s'était choisi.

Né en 1956 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), François Chérèque a été secrétaire général de la CFDT de 2002 à 2012 après avoir milité au sein de la fédération santé sociaux (il était travailleur social) et à l'Union départementale CFDT des Alpes-de-Haute-Provence pour la défense de l'hôpital public. Il aura défendu bec et ongles un syndicalisme de compromis social et estimait avoir "rapproché la CFDT du terrain" . Il est l'un des artisans de la position commune de 2008, avec le MEDEF et la CGT, qui aboutit à la réforme de la représentativité syndicale. Un changement important susceptible, pensait-il, de doter les syndicats d'une légitimité électorale incontestable, une rupture qui va continuer sur la durée à produire ses effets et qui pourrait permettre à la CFDT de ravir à la CGT la première place des organisations syndicales. François Chérèque a également posé les fondements de l'accord interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi, signé après son départ en janvier 2013, qui a entraîné la négociation des plans sociaux et l'instauration des délais préfix pour le comité d'entreprise, des évolutions combattues en vain par la CGT.

Les recalculés et les retraites

S'il épargna par la suite à la CFDT les divisions qui déchirèrent le syndicat lors du soutien par Nicole Notat du plan Juppé, François Chérèque, qui se décrivait comme "affectif et impulsif" et "très coléreux de nature", connut aussi des déconvenues avec l'épisode des recalculés, ces chômeurs qui perdirent leurs droits à indemnités du fait d'un accord Unedic négocié par la CFDT en 2004. Il avait d'ailleurs fait son mea culpa sur ce sujet en 2013 : "Nous avons fonctionné comme un gestionnaire froid, sans nous préoccuper des conséquences sur les personnes". Nul mea culpa en revanche au sujet du dossier des retraites, sujet qui valait hier soir à l'ancien syndicaliste de virulentes réactions sur les réseaux sociaux et qui amena des militants à quitter la centrale : François Chérèque revendiquait haut et fort son ralliement à la réforme des retraites de 2003 conduite par François Fillon mais négociée in fine par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin lui-même. Un ralliement perçu comme une trahison par la CGT et FO mais qu'il justifiait inlassablement au nom de l'intérêt des salariés : il se disait fier d'avoir réussi à faire prendre en compte les carrières longues, c'est à dire le départ anticipé pour les salariés ayant commencé à travailler jeunes.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Une enfance protégée, une adolescence difficile

François Chérèque s'était livré dans un livre en 2008 (*). Il racontait une enfance relativement protégée, intellectuellement stimulée et bercée par les idées de la deuxième gauche dont le mentor, Michel Rocard, vient aussi de disparaître. C'est que François Chérèque était d'abord le fils de Jacques Chérèque, un ouvrier métallurgiste qui fut secrétaire général adjoint de la CFDT avant de devenir préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine (1984) puis ministre délégué à l'aménagement du territoire et à la reconversion industrielle de 1988 à 1991. Mais François Chérèque s'était aussi forgé seul : il témoigne dans son livre d'une adolescence difficile due notamment à sa dyslexie."J'ai travaillé avec un orthophoniste (..) J'ai suivi une thérapie centrée sur le langage et le comportement pour améliorer mon élocution", confiait-il. Cela l'amena sans doute à son métier d'éducateur social.

Comme son père, François Chérèque aura été attiré par l'exercice du pouvoir, tout en niant, lors de son départ, toute ambition politique. Il est pourtant nommé en 2013 inspecteur général des affaires sociales puis chargé du suivi du plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté. Tout en assumant à partir de janvier 2013 la présidence de Terra Nova, un club de réflexion réformiste de centre gauche, il fut également propulsé à la présidence de l'Agence du service civique, dont la maladie l'éloigna définitivement en juin 2016. Ce parcours, qui est loin d'être unique (**), pose toutefois la question de la reconversion des responsables syndicaux à l'issue de leur mandat et de l'indépendance des syndicats par rapport à la puissance publique.

Une succession réussie et des hommages de la classe politique

A la différence de Bernard Thibault à la CGT, François Chérèque aura en tout cas su réussi à passer le relais sans mettre en danger son organisation : il a démissionné en cours de mandat pour transmettre le flambeau au jeune Laurent Berger, qu'il aura préparé à cette tâche pendant trois années (notre article). Les positions prises par ce dernier, notamment son soutien à la loi Travail, paraissent de fait en phase avec l'action de son prédécesseur. Hier soir,  les hommages rendus par les personnalités politiques à François Chérèque  -"un homme dont le courage a éclairé l'action" selon François Hollande"- insistaient tous sur cette figure "du syndicalisme réformiste" (M. Valls), "ce grand défenseur du progrès social" (B. Cazeneuve), "ce militant convaincu de l'émancipation individuelle" (M. Touraine), cette "grande figure de l'engagement qui a oeuvré toute sa vie pour faire du dialogue social un moteur de l'intérêt général dans notre pays" (M. El Khomri), "ce militant hautement respectable" (F. Bayrou), "un homme avec lequel le dialogue social prenait tout son sens" (G. Larcher), "l'un des fers de lance d'un syndicalisme d'ouverture" (B. Accoyer). Mais aucun n'a repris ce que disait, dans son livre paru en 2008, l'ancien patron de la CFDT du patronat français, qualifié d'un des plus conservateurs d'Europe, "le seul à ne pas avoir encore compris qu'avoir des syndicats forts est la condition d'un dialogue apaisé". Une phrase qui ne semble toujours pas démentie huit ans plus tard...

 

(*) "Si on me cherche" : voir notre article du 30 septembre 2008 intitulé : "Quand François Chérèque se livre".

(**) D'autres personnalités de la CFDT sont passés du côté gouvernemental comme Laurence Laigo, secértaire nationale qui fut un temps conseillère de Najat Vallaud-Belkacemau ministère des Droits des demmes. Chez FO, Stéphane Lardy, l'ancien secrétaire confédéral chargé de la formation et de l'emploi, est devenu inspecteur général des affaires sociales. A la CGT, l'ancien secrétaire général Thierry Le Paon a été reclassé par Manuel Valls à la tête de l'agence de lutte contre l'illettrisme.

Bernard Domergue
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