François Hommeril (CFE-CGC) : "Certaines consignes liées au télétravail sont totalement inadaptées"

François Hommeril (CFE-CGC) : "Certaines consignes liées au télétravail sont totalement inadaptées"

05.01.2021

Représentants du personnel

Dans la nouvelle version que le gouvernement doit publier ce mercredi, le protocole sanitaire recommande toujours le maintien du télétravail pour les postes qui s'y prêtent, mais suggère de permettre aux salariés de revenir au moins un jour par semaine dans l'entreprise. Des consignes nationales qui n'ont, pour François Hommeril, président de la CFE-CGC, pas grand sens hors des grandes métropoles. Interview.

La ministre du Travail a réuni lundi soir les partenaires sociaux. Que pensez-vous de l'évolution du protocole qui vous a été présenté ? 

Elisabeth Borne a repris ce que faisait Muriel Pénicaud pendant le premier confinement, à savoir des échanges réguliers en visioconférence avec les partenaires sociaux, et c'est d'ailleurs une très bonne chose. Lundi, jour de la rentrée, la ministre du Travail a abordé pas moins de 9 sujets : le plan jeunes, les transitions collectives, le protocole sanitaire et le télétravail, etc. Au sujet du protocole et du télétravail, le message qui nous a été donné, c'est, en substance : on va desserrer un peu l'étau, donc à partir du 7 janvier, on reste en télétravail autant que possible mais en donnant la possibilité aux salariés volontaires de revenir un jour par semaine dans les locaux de l'entreprise. A mon avis, c'est une consigne inopérante.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Inopérante ?

Bien sûr ! D'abord parce que les protocoles sanitaires sont déjà adaptés par les entreprises qui les mettent en oeuvre. D'autre part, parce qu'il me paraît contestable d'imposer le télétravail à toutes les entreprises.

Imposer de façon générale le télétravail me semble inadapté 

 

Je pense par exemple aux entreprises qui ne sont pas dans les grandes métropoles urbaines, des entreprises où les salariés se rendent en voiture, pas en transport en commun. Dans ces cas, nous ne sommes pas sur une problématique sanitaire lié au transport, mais "simplement" sur la problématique du respect des gestes barrières en milieu professionnel. Et sur ce dernier sujet, nous savons que les entreprises ont pris leurs responsabilités de façon très efficace. Imposer à ces entreprises le télétravail, quasiment par solidarité avec ceux qui travaillent en région parisienne, pour lesquels on peut comprendre que cette obligation de télétravail soit justifiée sur le plan sanitaire, cela me semble totalement inadapté.

 On a toujours l'impression d'être pris pour des enfants

 

Le télétravail est une organisation qui n'est pas sans conséquence sur les individus, on ne l'impose pas par simple solidarité avec ceux qui ne peuvent pas faire autrement, cela n'a pas de sens. Ce qui me déplaît dans cette approche et dans ces consignes, c'est qu'on a toujours l'impression d'être pris pour des enfants, d'être face à un maitre d'école qui nous dit : "Vous avez été sévèrement punis mais les résultats ne sont pas si mauvais, alors je fais une concession, j'ouvre une journée supplémentaire au travail sur site". Mais pour la majorité des entreprises, cette évolution des consignes ne va pas changer grand chose. 

Pourquoi estimez-vous que cette évolution du protocole n'aura que peu d'effets ?

Parce que le protocole sanitaire n'a pas de caractère contraignant, et que les entreprises l'ont déjà adapté en responsabilité. A la confédération CFE-CGC, nous sommes nous-mêmes une entreprise de 70 salariés, et nous avons adapté ce protocole. En décembre, nous avons ouvert la confédération trois jours par semaine, pour permettre aux salariés de venir y travailler, sur la base du volontariat. Nous avons des salariés qui sont des jeunes diplômés de master de droit de moins de 30 ans. Et bien, ils deviennent un peu dingos à force de tourner en rond dans leur petit appartement. Venir de temps en temps à la confédération leur permet de sortir, de voir du monde, etc. 

Mais un lieu collectif fermé expose aussi aux contaminations, comme l'a montré une étude de l'institut Pasteur qui pointait les cantines et les bureaux partagés...

A la confédération, toutes les contaminations que nous avons enregistrées sont des contaminations qui ont été faites à l'extérieur de l'entreprise, et pour lesquelles nous avons mis en place les mesures de confinement des cas contacts. Concernant l'étude dont vous parlez, on a observé en effet des comportements contradictoires avec des personnes se réunissant masquées à 4 dans un grand bureau, prenant donc toutes les précautions nécessaires dans les locaux de travail, mais qui, à peine la réunion terminée, se retrouvent en tête à tête sans masque au resto à rigoler !

Il n'était pas nécessaire d'édicter une règle générale de télétravail 

 

Dans le contexte que nous vivons, beaucoup de choses échappent à la logique, notamment parce que le gouvernement prend trop de dispositions verticales car il ne fait pas assez confiance aux acteurs. Pour moi, il n'était pas nécessaire d'édicter une règle générale en matière de télétravail, l'entreprise doit prendre ses responsabilités en s'accordant avec les représentants des salariés. L'accord national interprofessionnel signé en décembre sur le télétravail prévoit justement la mise en place du télétravail en cas d'urgence sanitaire. 

Le risque de rebond de l'épidémie n'impose-t-il pas la prudence ?

Honnêtement, il me paraît très difficile d'établir des liens de corrélation entre les mesures prises et leur impact sur l'évolution de l'épidémie. Le Portugal, qui a connu un très faible impact au printemps, a appliqué les mêmes mesures cet automne mais se retrouve avec une deuxième vague très forte.

Que pensez-vous du couvre-feu imposé dans l'Est dès 18h ? 

Je n'ai pas encore de retours des équipes syndicales mais cela complique les déplacements, même si l'on bénéficie de dérogation quand on travaille. Sur cette mesure, je reste dubitatif. D'autant qu'Elisabeth Borne nous a parlé lundi de l'ouverture des magasins le dimanche et donc du travail dominical dans ces départements, comme s'il fallait rattraper le dimanche les heures perdues en semaine avec l'avancée du couvre-feu. Comme l'a indiqué FO, le chiffre d'affaires n'est pas extensible à l'infini...

Vous avez échangé avec la ministre sur les transitions collectives, l'idée étant de favoriser la reconversion des salariés par la formation...

Je soutiens cette initiative de transitions collectives (lire notre article dans cette même édition). Il faut reprendre, au niveau collectif, le principe qui existait, à l'état individuel, avec le CIF, le congé individuel de formation, qui a été supprimé.

 Le CIF ayant été supprimé, il faut remettre en place un dispositif

 

Aujourd'hui, il est quand même drôle de constater que c'est le Medef qui demande de revenir à ce principe ! Mais tout cela est difficile à mettre en place. D'une part parce que la réforme de la formation a fait disparaître des dispositifs et structures qui permettaient ce type d'action, ensuite parce qu'aujourd'hui, ce sont les grandes entreprises qui sont en mesure de mettre en place ces dispositions, alors que cela est beaucoup plus difficile pour les PME.  

Comment voyez-vous les prochains mois ? Redoutez-vous une avalanche de PSE du fait de la baisse programmée du soutien à l'activité partielle ? 

De très nombreux PSE ont déjà été lancés cet automne et cet hiver, j'en ai plusieurs centaines sur mon bureau ! Non seulement des PSE, mais aussi des ruptures conventionnelles collectives. Et pour beaucoup de ces plans, la justification économique liée à la crise me paraît douteuse.

A la fin de l'hiver, les défaillances des entreprises vont se multiplier 

 

Par ailleurs, nous vivons un paradoxe avec des défaillances d'entreprises moins nombreuses en 2019 que l'année précédente. Ce paradoxe va se résoudre cette année : nous allons connaître à la fin de l'hiver une avalanche de cessations d'activité, notamment dans les PME. Elles vont se retrouver au pied du mur malgré l'activité partielle et les prêts garantis par l'Etat, je pense aux hôtels cafés restaurants, au secteur de la culture, etc.

2021 est l'année de tous les dangers 

 

Au passage, c'est une grande injustice. Les grandes entreprises, qui ont les moyens d'affronter la crise du fait de leurs structures internes et de leurs fonds propres, ne se gênent pas pour autant pour pomper de l'argent public et mettre des gens sur le marché de l'emploi ! 2021 est l'année de tous les dangers, comme après une inondation : on voit le niveau monter, et ça déborde partout. On peut craindre un million de chômeurs supplémentaires, et on va se retrouver aussi face au mur de la dette. 

Comment les élus de CSE et les délégués syndicaux pourront-ils agir efficacement en 2021 ?

Partout où se pratique un télétravail massif, l'éloignement du lieu du travail pose problème car une section syndicale, c'est un lieu de travail. Il faut réagir très rapidement pour constituer, comme le dit chez nous Jean-François Foucard, "un local syndical virtuel", un endroit où les salariés peuvent prendre contact avec leur syndicat et délégués, s'informer, un endroit où des échanges puissent avoir lieu.

Un représentant du personnel a le droit d'aller voir un salarié sur son poste de travail. En télétravail, pourquoi ne pourrait-il pas communiquer avec lui par mail ? 

 

 

 

Mais pour reconstituer cette activité syndicale de façon dématérialisée, encore faut-il disposer de moyens, et à cet égard, tout le monde ne joue pas le jeu. Dans de nombreuses entreprises, par exemple, les représentants syndicaux n'ont pas accès aux mails professionnels des salariés. En temps normal, si l'on peut dire, le code du travail interdit d'empêcher un représentant du personnel d'accéder à un lieu de travail pour avoir un échange avec un salarié, dès lors que cela ne perturbe pas le travail. Pourquoi en irait-il différemment avec le télétravail ? Par simple parallélisme des formes et du droit, un représentant syndical devrait donc accéder à la liste des mails professionnels des salariés de façon à pouvoir communiquer avec eux.

Pensez-vous que l'exécutif veuille faire voter sa réforme des retraites avant la prochaine présidentielle ?

Cela demeure pour moi une réforme inutile, injustifiée et imposée par un agenda politique extérieur à la France. Ce projet est soi-disant porteur d'un système plus juste et plus solidaire mais ce n'est pas le cas. Que va-t-il maintenant se passer ? Je vois mal l'exécutif pouvoir se prévaloir, au titre de son bilan politique, d'une telle réforme si elle était votée définitivement. Pourquoi ? Parce que contrairement aux réformes Balladur et Juppé où l'on nous disait "ce sont des réformes douloureuses mais il faut les faire" ce qui peut s'entendre dans l'opinion, ici l'exécutif n'a pas tenu ce discours de vérité.

Compte tenu de l'hostilité de l'opinion, je ne crois pas à la possibilité de poursuivre cette réforme 

 

 

Il n'a pas dit, comme c'est pourtant le cas, que cette réforme des retraites vise à diminuer la masse des retraites et qu'il s'agit d'une réforme dictée par l'Union européenne qui l'a intégrée dans le plan des réformes que les États doivent suivre (1). Je ne crois donc pas du tout à la possibilité de faire cette réforme compte tenu de l'hostilité de l'opinion. Je suis d'ailleurs très fier d'avoir participé au mouvement d'éducation populaire qui a permis d'informer le plus grand nombre sur le caractère nocif de cette réforme.

Concernant la réforme de l'assurance chômage, que pensez-vous des dernières décisions ?  

Le gouvernement, quoi qu'il en dise, abandonne le bonus malus (2). Même si je crois à la nécessité de dispositifs qui régulent la précarité et les contrats courts, le bonus malus me semblait être une usine à gaz inopérante. Ils l'abandonnent, soit. Mais pourquoi dès lors maintenir la dégressivité des allocations qui sera imposée aux cadres ? C'est une honte ! Quel est le sens aujourd'hui d'une telle dégressivité alors que l'Apec, l'association pour l'emploi des cadres, enregistre une hausse du chômage des cadres, et qu'il faut entre 350 et 400 jours à un cadre pour retrouver un travail ? On voit pourtant bien que les cadres vont être touchés par les PSE, comme le montre le dernier PSE engagé par Danone, les 400 à 500 suppressions de postes concernant surtout des cadres.

 

(1) Sur "le programme national de réforme" ou "programme de stabilité" transmis régulièrement par la France à la commission européenne, voir par exemple ce document du gouvernement.

(2) Le bonus-malus, mécanisme faisant varier le taux de cotisations des entreprises selon la proportion des contrats précaires qu'elles utilisent, ne fait en effet pas partie des dispositions du dernier décret pris par le gouvernement sur l'assurance chômage, texte qui a décalé au 1er avril l'entrée en vigueur de certaines dispositions de la réforme comme le calcul du salaire de référence ou la dégressivité (lire notre article). La ministre du Travail a indiqué mardi 5 janvier sur France Info que le bonus malus, censuré par le Conseil constitutionnel, n'était pour autant pas abandonné, Elisabeth Borne précisant que le bonus malus, le mode de calcul de l'indemnisation et "les périodes d'ouverture des droits" faisaient partie des sujets discutés avec les partenaires sociaux "durant la deuxième quinzaine de janvier".

 

Bernard Domergue
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