Géolocalisation des sans-abri : une idée en débat

Géolocalisation des sans-abri : une idée en débat

27.05.2016

Action sociale

L’apparition des premiers réseaux sociaux collaboratifs lancés pour venir en aide aux personnes à la rue rebat les cartes de la veille sociale. Professionnels, bénévoles et riverains se retrouvent désormais côte à côte. Que faut-il attendre de ce mouvement ?

Vous croisez une personne à la rue ? Géolocalisez-la sur votre smartphone, choisissez un smiley pour indiquer son humeur, cochez quelques cases pour renseigner ses besoins, et validez. Vous venez de participer à un acte de solidarité !

À l’heure du développement des réseaux sociaux, l’urgence sociale n’échappe pas à la règle. Plusieurs applications téléchargeables ont pris place dans la panoplie des aides aux personnes sans abri. En ravivant au passage la question lancinante de la définition du travail de rue.

Deux applications dont on parle beaucoup

Homeless plus, par exemple, une application lancée en janvier 2016 par une association à but non lucratif, se propose de « créer un élan de solidarité tout en luttant contre le gaspillage. » L’application permet à un utilisateur de géolocaliser une personne et d’indiquer ses besoins. Les informations saisies apparaissent sur une carte virtuelle consultable par tous les possesseurs de l’application, qui pourront apporter un soutien moral ou matériel à la cible désignée : argent, nourriture, café, couverture ou « simple sourire ».

Une autre application, Entourage, propose ce même réseautage grand public, mais le complète par un second volet, Open Maraude, destiné à l’ensemble des acteurs de la veille sociale. Trois fonctions sont proposées : géolocaliser les maraudes du secteur en temps réel, assurer la circulation entre maraudes des comptes-rendus audio ou écrits des rencontres avec les sans-abri, éditer des plans des circuits effectués. Développé par une start-up fondée en novembre 2014 par Jean-Marc Potdevin, ancien vice-président de Yahoo Europe, avec le soutien de plusieurs fondations, Entourage se définit comme « une technologie positive au service des humains » visant à « changer le regard du citoyen sur les personnes sans-abri. »

Un sens aigu de la communication

Révolution ? Énième assimilation de la veille sociale à de la bienveillance ? Les analyses ne manquent pas de diverger. Aucune donnée n’existe sur le nombre de téléchargements grand public. Côté professionnel, Entourage fait état d’une vingtaine d’associations ayant adopté la plateforme Open Maraude. Les avis de leurs responsables sont relayés sur Twitter, Facebook ou YouTube avec un sens aigu de la communication. Stéphane Gemmani, fondateur de Vinci Codex, une association qui participe au Samu social de Grenoble, explique ainsi que « le lien doit être démocratisé, car les travailleurs sociaux sont dépassés par le nombre de cas à traiter. » Laure Bosman, coordinatrice des maraudes sur le centre et l’est de la capitale, voit quant à elle une réponse à « un besoin des équipes d’avoir une vision d’ensemble du territoire sur lequel elles interviennent, sur les interventions des partenaires ainsi que sur les complémentarités entre acteurs. » Sur le plan citoyen, Antoine de Labarthe, fondateur des Enfants de Don Quichotte, anticipe « un impact concret » sur la vie des sans-abri. « Cela permet à des gens qui n’osent pas venir vers les personnes à la rue de communiquer au sein d’un réseau pour voir comment les aider », explique-t-il.

Quelles incidences à long terme ?

Mais des voix s’élèvent, comme à la Croix Rouge, pour mettre en garde contre « le risque d’un fichage des sans-abri ». L’alerte n’est pas anodine : aux Etats-Unis, une application ouvertement répressive, New York Map the Homeless (New York, localise les sans-abri), permet déjà de photographier les sans-abri et de les localiser sur une carte.

Plus virulente encore, l’association les Enfants du Canal dénonce le développement de dispositifs de géolocalisation et d’échanges de données « déployés sans le consentement des premiers intéressés, ni même sans que la personne sache la nature des informations recueillies sur elle. » Dans un communiqué récent, l’association a même invité les responsables associatifs et les élus « à réfléchir et à reconsidérer » l’utilisation de tels dispositifs. Pour Christophe Louis, directeur des Enfants du Canal, la géolocalisation et la mise en réseau « charment » le monde majoritairement bénévole des maraudes, car elles offrent un accès rapide à l’information et une structure à des cadres d’intervention fragiles. « Pourquoi pas, admet-il, mais il faudrait avant cela qu’on mette des barrières sur un certain nombre d’utilisations et qu’on construise ces outils en associant véritablement les personnes de la rue et les travailleurs sociaux. Et, surtout, qu’au lieu de répondre aux nouveautés présentes dans l’air du temps, on se demande quelles incidences elles auront, à terme, sur le travail de rue ? »

Les professionnels devront se prononcer

D’autant que ces premières applications solidaires, nées à l’extérieur du travail social, ne font que précéder une longue série d’autres à venir. Faut-il alors craindre une forme d’ubérisation de la veille sociale mettant en concurrence travailleurs sociaux et grand public ? Didier Dubasque, spécialiste des nouvelles technologies au sein du Conseil supérieur du travail social, n’y croit pas. « Le travail social reste la mise en mouvement de la personne avec le professionnel pour produire du changement. Ce qui nécessite du temps et de l’expertise. Si ubérisation il y a, elle se posera d’abord sur le mode caritatif », assure-t-il. Les professionnels devront néanmoins se prononcer. Le pire des scénarios, estime Didier Dubasque, serait un développement sauvage de ces applications sans qu’un « cadre éthique » ait pu être mis en place.

 

Pourquoi une série sur les NTIC ?
La « révolution » du numérique n’est pas un mot creux dans le champ social et médico-social. Pour la première fois de leur histoire, les travailleurs sociaux sont confrontés à un ensemble de technologies qui influencent leurs relations avec les usagers. Dans les services, la diffusion des objets connectés s’accompagne de nouvelles formes de médiations éducatives. L’habileté des personnes souffrant de déficiences intellectuelles à maîtriser ou non l’ordinateur brouille toutes les classifications traditionnelles du handicap. La réalité virtuelle ouvre sur des modes d’apprentissage inédits, tant auprès des professionnels que des usagers et des familles. C’est jusqu’à la façon de concevoir l’intervention sociale sur les territoires qui, en quelques années, s’est modifiée. Comment se pensent les usages du numérique dans des institutions et des services où prime la relation d’aide ? Quelles perspectives offrent-ils ? Avec cette série « Le travail social à l’heure du numérique », TSA entend alimenter le débat.

 

Retrouvez nos précédents articles sur le défi des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communation) dans le travail social :

Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement
Marc-Michel Faure
Vous aimerez aussi

Nos engagements