Grille de classification : L’heure des ajustements dans la métallurgie

Grille de classification : L’heure des ajustements dans la métallurgie

19.11.2023

Gestion du personnel

Si les entreprises de la métallurgie entrevoient le bout du tunnel avec la fin des cotations des emplois-repères qui vont figurer dans la nouvelle grille de classification au 1er janvier 2024, elles ne sont pas au bout de leurs peines : elles doivent aujourd’hui étudier les recours des salariés mécontents de leur classement. Le dialogue professionnel est plébiscité mais les risques de contentieux existent.

C’est l’heure de vérité pour la métallurgie : les salariés de la branche découvrent depuis quelques semaines leur fiche-emploi et leur positionnement, déterminé en fonction de leur coefficient, sur la nouvelle grille de classification qui doit s’appliquer dès le 1er janvier 2024. Un big bang lancé voilà deux ans, dans le cadre de la nouvelle convention de la branche professionnelle, conclue en février 2022. Et un travail colossal qui concerne 1,5 million de salariés. Les entreprises avaient deux ans pour mettre en musique ces nouvelles règles. Mais sont-elles tout à fait prêtes ?

Schneider Electric France a commencé ses travaux, un mois après la signature de la convention, en mars 2022. Elle a publié, le 6 novembre, son catalogue d’emplois-repères à l’ensemble des collaborateurs. 660 emplois-repères, déclinés en 15 familles de fonctions, y sont répertoriés, décrivant par le menu la réalité de chaque emploi. Chez Airbus, "les salariés connaissent leur nouveau positionnement sur la grille depuis mars dernier", assure Fabrice Nicoud, le président de la fédération métallurgie CFE-CGC, ex-délégué syndical central de l’avionneur.

Chez Renault aussi, le timing est respecté. "Malgré un retard au départ, le travail est terminé, indique Bruno Azière, secrétaire national de la CFE-CGC métallurgie et ex-délégué syndical central de l’entreprise au losange. Toutes les informations ont été transmises aux salariés". Idem chez Sagemcom où la DRH a remis en main propre les fiches-emplois aux 800 collaborateurs concernés et chez Safran qui a aussi "tenu son calendrier", en donnant "le détail de la cotation pour chaque fiche-emploi, dans un souci de transparence".

Côté PME, le sujet est moins fastidieux. "Il y a moins d’emplois, ils sont connus par le dirigeant", assure Pierre Marco, directeur du développement et des métiers de Secafi. Mais l’affaire peut vite devenir chronophage dans les entreprises de 200/250 salariés qui n’ont pas les moyens de se payer un conseil RH pour préparer les fiches-emplois".

Déconvenues

Reste que cette dernière étape est cruciale. Car c’est de ce nouveau référentiel que découleront désormais l’évaluation des emplois des salariés, la fixation des minima conventionnels voire la rémunération ou le temps de travail et la progression de carrière. Or la remise de la fiche-emploi fait parfois figure de douche froide. Tous ne s’y retrouvent pas.

"Certains salariés, notamment des cadres, ont le sentiment d’être rétrogradés, leur emploi étant positionné à un degré inférieur par rapport à l’ancienne grille, déplore Patrick Potacsek, coordinateur national CFE-CGC pour Safran et délégué syndical central de la société Safran Aircraft Engines. A ce stade, il ne s’agit pas d’une fronde directe mais d’un mal-être qui risque de générer une forte démotivation…". Un motif d’inquiétude qui a poussé des CSE de certains établissements à saisir l’inspection du travail de peur des risques psychosociaux.

Même écho de la part d’Anthony Perrocheau, coordinateur CFDT InterThales, qui a, lui, observé un petit début de grève à Vélizy début novembre. "Le malaise est palpable. Le mécontentement grandit. Certaines personnes ne se retrouvent pas dans leur fiche-emploi dégradée".

Pour calmer les inquiétudes, Safran organise des réunions avec les organisations syndicales au niveau des filiales pour étudier "les cas d'insatisfaction". Chez Thalès, une réunion extraordinaire du comité de pilotage de la nouvelle convention s’est tenue la semaine dernière avec les représentants du personnel au niveau du groupe pour procéder à des ajustements.

Identité professionnelle

"On touche ici à un sujet sensible, celui de l’identité professionnelle, analyse Pierre Marco, de Secafi. Les salariés vont pouvoir se comparer avec leurs collègues, découvrant que leur emploi est moins valorisé dans la hiérarchie des emplois-repères, suscitant une forte incompréhension".

A charge pour les managers de justifier le nouveau positionnement du salarié. Une tâche délicate et ingrate. D’autant qu’ils "n’ont pas été forcément intégrés au projet de cotation des emplois. Ils ne maîtrisent pas tous les enjeux de cette nouvelle convention".

Surtout, "toutes les entreprises n’ont pas respecté à la lettre le guide paritaire de la métallurgie, poursuit Pierre Marco. Lequel prévoyait un délai d’un mois pendant lequel un salarié pouvait discuter avec son manager du contenu de sa fiche-emploi, avant que celle-ci ne soit validée et ne débouche sur une cotation". Or, dans l’urgence, les entreprises ont transmis un package. Qualifié par certains syndicalistes de "brutal".

"Il y a de l’émotion à la réception de la fiche-emploi, confirme Fabien Gillen, VP HR & communication et coordinateur RH France de Nexans. C’est un changement important de philosophie. Historiquement, la convention collective accompagnait le salarié pendant toute sa carrière professionnelle. Dès qu’il gagnait en expérience, en ancienneté, il pouvait prétendre à des coefficients supplémentaires tout en ayant un poste équivalent. C’était une forme de reconnaissance. Dans le nouveau référentiel, on valorise l’emploi. Et celui-ci peut être le même que l’on ait un an ou 30 ans d’expérience pour des activités strictement identiques. Ce qui peut entraîner un nivellement de l'expérience. Nous cherchons donc à valoriser différemment l'expérience acquise ou la polyvalence".

Service après-vente

Certaines entreprises pourraient, d’ailleurs, jouer les prolongations. "On a décidé de laisser la possibilité aux 15 000 collaborateurs de saisir la direction jusqu’à juin 2024. Le temps prévu par la convention, un mois, était trop limité, insiste Christian Lambert, directeur des affaires sociales de Schneider Electric France. Nous souhaitons organiser des points techniques, en début d’année, avec les organisations syndicales pour prendre en compte les remontées de terrain. Pendant ce laps de temps, aucune modification ne sera faite sur les fiches-emplois. Nous adapterons notre grille en fonction des premiers retours".

Airbus et Renault devraient emboîter le pas du groupe d'équipements électriques. "L’entreprise laisse du temps aux salariés pour s’approprier le sujet et faire des ajustements en favorisant le dialogue professionnel", assure Bruno Azière.

L’accord de déploiement d’Orano (ex-Areva) prévoit également le maintien du projet dédié à la classification jusqu’au 31 mars 2024 pour rectifier le tir.

Chez Nexans, tout sera calé le 1er janvier. Mais Fabien Gillen ne souhaite pas figer le processus. "On s’autorise à faire les corrections nécessaires dans les mois à venir s'il faut ajuster notre cartographie des emplois". Safran a aussi fait le choix de la flexibilité. "On ne va pas mettre des dates-butoir. Si un salarié demande des explications dans un mois, dans six mois, nous lui répondrons", explique Vincent Mackie, directeur des affaires sociales au niveau groupe. Ce qui ne signifie pas que nous lui donnerons satisfaction. Nous devons maintenir la cohérence d’ensemble notamment pour favoriser la mobilité inter-sociétés. Deux postes identiques doivent être cotés de la même façon".

Des changements importants

En réalité, la nouvelle grille bouscule les repères. "Aucune correspondance n’existe entre l’ancienne convention et la nouvelle, rappelle Christian Lambert. On ne cote pas la personne mais l’emploi. Par exemple, avant, on tenait compte du diplôme pour déterminer la compétence du salarié. Deux personnes qui occupaient le même poste pouvaient avoir une classification différente. Demain, si elles sont affectées au même emploi-repère, elles auront la même cotation quel que soit l’expérience ou le diplôme".

De même, les frontières entre les statuts cadre et non-cadre deviennent plus poreuses. Chez Schneider Electric (15 000 collaborateurs en France), 800 personnes vont passer d’un statut d’OATAM (Ouvriers-agents techniques-agents de maîtrise) à un statut cadre avec la nouvelle grille de classification, quand les autres années, une cinquantaine étaient susceptibles de devenir cadres.

A l’inverse, au 1er janvier, 105 personnes vont basculer dans la catégorie des non-cadres. Ces nouveaux niveaux de classification ne peuvent pas avoir d’effet sur le niveau de rémunération. De plus, un salarié qui occupe un emploi aujourd’hui classé cadre conservera les dispositions conventionnelles applicables à cette catégorie (durée de préavis de démission, durée de préavis de licenciement, indemnités légales de licenciement…) tout le temps qu’il continue à occuper le même emploi, en vertu de l’article 69 de la convention collective. Mais à son départ, le poste s’intègrera dans la nouvelle grille et le nouveau coefficient.

Christian Lambert l'affirme : "il n’y aura pas d’impact sur la masse salariale en termes de cotisations sociales". "Schneider Electric a d’ores et déjà harmonisé ses taux de cotisation retraite complémentaire ; les prélèvements sont effectués sur la tranche A ou B en fonction du niveau de salaire et non du statut. En somme, hormis la cotisation Apec qui est minime, il n’y a pas d’incidence, nous n’avons pas de salariés relevant des articles 36 et 4-4 bis de la convention collective nationale de l’encadrement qui avaient droit jusqu’ici aux mêmes garanties que les cadres".

Chez Safran, 1200 personnes vont accéder au statut cadre, en application de la nouvelle convention. Et aucun emploi de cette catégorie ne sera re-classé non-cadre.

Autre conséquence : Michel Brunet, directeur général des RH Sagemcom (7000 salariés dont 900 en France), qui a coté quelques 200 emplois-repères, reconnaît que "cette grille pourrait créer dans certains cas, un sentiment de frustration pour des jeunes talents occupant, de manière précoce, dès 27/28 ans, des postes à responsabilités en ayant certes, une rémunération « marché » mais proche des minima conventionnels de branche du fait de leur expérience relative. La plupart des entreprises comparables confient habituellement ce type de postes à des salariés plus expérimentés avec des évolutions salariales successives déjà actées, les positionnant ainsi naturellement au-delà de ces minima".

A contrario, "des problèmes peuvent aussi se poser pour des salariés qui ont eu des évolutions liées à l’ancienneté mais dont les responsabilités ne correspondent pas à l’emploi occupé ou pour des personnes qui ont des postes d’entrée de cadres qui sont en réalité des postes d’agents de maîtrise", relève Pierre Marco.

Quelles sont les remontées ?

A l’arrivée, Christian Lambert n’observe que des ajustements à la marge. "Les organisations syndicales estiment qu’il faudrait rajouter des emplois-repères dans la maintenance, leur nombre étant trop limité par rapport au nombre de salariés travaillant dans cette fonction, ce qui limite les marges de progression". Même écho de la part de Sagemcom : 26 salariés sur 800 ont sollicité la DRH pour "avoir des explications sur leur cotation ou pour anticiper leur trajectoire professionnelle". Un satisfecit qui s’explique pour Fanny Gaignon, directrice du développement RH groupe, par un "vrai" effort de pédagogie. Avec, tout au long du process, "un accompagnement sur la conduite du changement en amont de la transmission des fiches-emplois, des réunions et des plaquettes d’information pour les salariés ainsi qu’une formation à destination des managers".

Mais des couacs existent. Patrick Potacsek de Safran pointe "de nombreuses incohérences, par exemple, des fiches emplois qui ne correspondant pas ou très peu à l'activité réelle du salarié ou encore différentes selon les établissements et les services pour un même métier exercé. Et non transposable aux autres entreprises de l’aéronautique, notamment celles réunies au sein du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales)".

En outre, il déplore l’intégration des cadres supérieurs dans la grille de classification des cols blancs. Ce qui donne moins de latitude pour progresser, les deux derniers échelons leur étant réservés. Or, "l’un des objectifs de cette convention était de redonner du sens à l’emploi".

Vincent Mackie, directeur des affaires sociales du groupe Safran, réfute ces arguments. Il évalue, de son côté, à 2 % le nombre de contestations pour 44 800 salariés.

Anthony Perrocheau de Thalès dénonce, quant à lui, la mauvaise application de la convention : "les fiches ne sont pas conformes à la nouvelle convention : deux salariés exerçant le même boulot n’ont pas la même cotation s’ils n’ont pas le même diplôme alors que la nouvelle convention ne devait pas prendre en compte la formation. Par ailleurs, la direction refuse qu’un salarié, qui sollicite un rendez-vous avec son manager, soit assisté par un élu".

Autre point noir : "les compétences des représentants du personnel ne sont pas prises en compte alors que notre accord de déploiement le spécifiait".

Toutes ces doléances vont être mises sur la table.

Des cas de recours en cas de litige

La plupart des accords anticipent des cas de recours en cas de litige.

Les entreprises sont-elles pour autant à l’abri d’un contentieux ? S’il est trop tôt pour l'affirmer, la CFE-CFC métallurgie parie avant tout sur le dialogue professionnel pour ajuster les incohérences. Mais elle se dit prête à aller en justice contre "les entreprises de mauvaise foi, qui ont délibérément choisi de ne pas respecter la convention collective", indiquait Fabrice Nicoud, le 5 octobre, lors d’une conférence de presse de la métallurgie.

Les syndicats de Thalès pourraient, eux, passer à l’acte afin que "le juge ordonne à l'entreprise de respecter l'accord de méthode". 

Pour Pierre Marco, "ce projet copernicien devrait être l’occasion d’ouvrir des champs de négociation avec les partenaires sociaux, une fois le bilan établi, soit d’ici à l’automne 2024".

D’ores et déjà, Nexans a prévu de négocier, dès le début de l’année prochaine, sur la GEPP, afin de valoriser l’expérience, l’expertise, le transfert de savoirs et la polycompétences des salariés, non reconnues dans les fiches-emplois en "complétant les mécanismes de reconnaissance monétaires et non monétaires".

C’est également le choix de Safran qui a commencé à présenter des parcours-types aux partenaires sociaux, à travers les emplois de son référentiel, associant les nouveaux coefficients pour permettre aux salariés de "se projeter". Les travaux se poursuivront en 2024. "C’est notre sujet pour l’année à venir", conclut Vincent Mackie.

 

Quels effets induits ?

Cette nouvelle grille de classification a des effets inattendus sur d’autres pans RH. "La classification est la colonne vertébrale de tous nos systèmes d’entreprise", insiste Christian Lambert, directeur des affaires sociales de Schneider Electric France. Dans la foulée de la nouvelle convention collective, l’entreprise a signé, le 23 juillet, avec FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC, un accord relatif à l’élargissement et au renforcement du socle conventionnel du groupe (voir en pièce jointe). Concrètement, le texte aligne la classification sur les conventions de forfait. Avec à la clef, des conventions en heures pour le premier niveau de cadres, des conventions en jours pour les trois échelons suivants et sans référence horaire pour les quatre deniers niveaux.

De même, l’accord procède à la mise en cohérence des barèmes des congés d’ancienneté ainsi que des primes d’ancienneté, jusqu’ici très diverses en fonction des entités du groupe. Avec, en cas de baisse, la réintégration du delta dans le salaire de base. En outre, le groupe d'équipements électriques réfléchit à une homogénéisation des temps d’astreinte, de déplacement ou encore des primes d’équipes de nuit. 

L’autre grand chantier porte sur l’adaptation du catalogue emplois-repères. Des groupes de travail se réuniront, chaque année, pour réactualiser notre catalogue.

Enfin, dernier point de vigilance : l’intégration de la nouvelle grille dans les systèmes d’information RH. "Il faut entre trois et quatre mois pour adapter ces systèmes et prendre en compte les modifications, qu’il s’agisse des nouveaux coefficients, mais aussi des nouvelles conventions de forfait ou des barèmes liés aux astreintes ou au travail de nuit… ", prévient Christian Lambert.

 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Anne Bariet
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