tsa : Les employeurs de l'aide à domicile réunis au sein de l’Union syndicale de branche (USB domicile) ont publiquement affiché leur division puisque Adessadomicile, la Fnaafp/CSF et l'UNADMR se positionnent en faveur de l’Opco cohésion sociale, alors que l’UNA (1) - que vous représentez - souhaite rejoindre l’Opco santé et médico-social. Que se passe-t-il ?
Guillaume Quercy : Malgré les dissensions entre employeurs de la branche de l’aide domicile (BAD), nous avons en effet souhaité nous exprimer par communiqué du 21 novembre sur le sujet des opérateurs de compétences (Opco) qui vont prendre le relais des actuels Opca. C’est une forme de communication moderne. Mais UNA reste sur sa position et l’USB domicile réaffirme sa volonté déjà affichée en juillet dernier, que soit créé un Opco unique « cohésion sociale, santé, autonomie ».
C’est un appel au gouvernement pour qu’il révise son découpage et ne tienne pas compte du rapport Marx-Bagorski. Je pense que c’est une position ouverte et mature qui est le fruit d’un compromis entre nous quatre.
Nous avons une posture offensive sur le décloisonnement et nous laissons le jeu ouvert. Selon moi, il y a plus de cohérence à rejoindre des acteurs qui interviennent auprès des personnes âgées ou handicapées que de rejoindre ceux du sport par exemple.
Vous faites donc cavalier seul ?
Je ne partage pas cette expression, l’UNA ne fait pas cavalier seul. Des acteurs centraux du système de santé et de protection sociale [Croix-rouge française, Fehap, FHP, Nexem, Synerpa et Unicancer] sont à l’unisson avec nous pour dire que les acteurs du domicile doivent les rejoindre.
Adhérer à cet Opco signifie être autour de la table dès le début sur la question des compétences, de la formation, de l’attractivité des métiers – qui est un thème central de l’aide à domicile. Je ne veux pas être en dehors de ces négociations, il faut être dans le système pour faire entendre la voix du domicile, qui jusqu'ici n'a pas été assez intégré. C’est une question d’efficacité et de pragmatisme.
Les professionnels de l’aide à domicile ne doivent pas être marginalisés parce qu’ils ont un rôle central à jouer en matière de santé de la population.
Les 17 organisations professionnelles qui plaident pour un Opco de la cohésion sociale se disent favorables à un partenariat inter-Opco, y compris donc avec celui de la santé et du médico-social. Les échanges peuvent très bien avoir lieu dans ce cadre, non ?
Ce sera plus difficile car au départ les nouveaux Opco seront dans une logique d’organisation. Ils vont devoir se structurer eux-mêmes et ne seront pas disponibles tout de suite pour travailler avec une autre filière.
Seulement : plus tard, ce sera trop tard ! D’importantes réformes arrivent dans le domaine du grand âge, du handicap ou de la santé. Tous ces chantiers n’autorisent pas l’aide à domicile à se tenir à l’écart des lieux où tout va se discuter. Pour l’UNA, c’est une évidence. Les acteurs de terrain le savent. On crève de ce cloisonnement et on essaie de compenser avec des instances de concertation. Les ressources de notre secteur sont limitées, nous devons donc être au cœur du sujet tout de suite.
J’ai par exemple eu l’occasion de travailler sur un Edec [Engagement de développement de l’emploi et des compétences] commun Unifaf-Uniformation en Ile-de-France, cela nous a pris 18 mois de concertation. Rien que cela !
Je ne veux plus que l’on soit dans cette situation, nous devons désormais nous concentrer sur les réponses à apporter aux besoins de la population.
Oui, nous avons trois rendez-vous prévus au cours des trois prochaines semaines avec le cabinet de Sophie Cluzel, et les conseillers du Premier ministre et du Président de la République.
N’est-ce pas trop tard ?
Le rapport Marx-Bagorski place d'office de nombreuses branches dans tel ou tel Opco. Pour celle de l’aide à domicile, les acteurs doivent indiquer leur préférence avant la fin 2018. Le gouvernement a entre les mains l’agrément des Opco, il lui reste donc la possibilité de réviser la copie du rapport, rien ne lui interdit de faire un ajustement. L’Opco santé et médico-social, c’est décisif pour mettre en œuvre les stratégies de santé et de lutte contre la pauvreté. La balle est dans le camp du gouvernement, il ne doit cependant pas trop attendre car le travail sur l’organisation des Opco se fait maintenant. Il doit nous dire rapidement comment il entrevoit les choses.
Même s’il ne s’agit pas d’un vote unanime, l’USB domicile s’est prononcée pour l’Opco cohésion sociale, non ?
Il s’agit d’un vote indicatif, qui n’emporte pas définitivement adhésion à l’Opco cohésion sociale. Nous en sommes au stade des arbitrages politiques et un gouvernement raisonne à l’échelle de stratégies publiques à long terme.
Pourquoi l’UNA ne parvient-elle pas à convaincre ses partenaires de l’USB domicile de la pertinence à adhérer à l’Opco santé et médico-social ?
Je pense que dans le flou des réformes actuelles, il est plus confortable de se dire : « je sais ce que j’ai aujourd’hui, je ne sais pas ce que j’aurai demain, donc je ne change rien ». Avec Uniformation, dont personne ne met en cause l’efficacité, nous gardons en quelque sorte une main sur l’affaire.
Selon moi, ce statu quo est une position de court terme. D’autres acteurs, dont UNA, ne souhaitent pas louper le coche. Il n’y a pas d’opposition sur la finalité car les quatre acteurs de l’USB disent qu’il faut décloisonner sanitaire et médico-social.
Je comprends ceux qui veulent conserver l’existant mais à force d’adopter des postures de cette nature, l’aide à domicile continue d’avoir les métiers les moins bien payés et les plus dangereux (il y a plus d’accidents du travail dans l’aide à domicile que dans les Ehpad, où le taux est déjà bien plus élevé que dans le BTP).
La posture de repli sur soi n’est-elle pas une cause de la marginalisation et du manque de considération de nos métiers ? La question se pose. Regardons par exemple le niveau des rémunérations : le salaire moyen est de 26 000 euros bruts par an dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif [Bass] quand il est de 20 000 euros dans la branche de l���aide à domicile. Le taux d’encadrement dans les équipes y est également plus élevé alors que dans l’aide à domicile, on répond que cela coûte trop cher.
Nous devons nous donner les moyens de faire bouger les choses car la dimension domiciliaire est l’un des enjeux de santé d’aujourd’hui, santé au sens large comme la définit l’OMS.
L’aide à domicile, qui relève aujourd’hui de l’Opca Uniformation, peut-elle trouver sa place au sein d’un Opco dont la grande partie des membres relève aujourd’hui de l’Opca Unifaf ?
Oui, je le pense. Nous avons noué, depuis le début de l’année, un partenariat avec Nexem. Or cette organisation couvre 400 000 salariés alors que l’UNA n’en couvre que 100 000. Cela ne nous empêche pas de discuter et de co-construire le modèle de demain en cherchant à créer des passerelles entre domicile et établissement.
A l’UNA, nous avons bien débattu de ces sujets dans nos instances de gouvernance. C’est un moment historique pour abattre les cloisons, il ne faut pas le rater.
Sur ce sujet, lire aussi notre article paru le 22 novembre 2018 : "Les employeurs de l'aide à domicile divisés sur le choix de leur Opco".
(1) Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles.