Hier secrétaires de CHSCT, aujourd'hui députés

Hier secrétaires de CHSCT, aujourd'hui députés

21.06.2022

Représentants du personnel

Le renouvellement de l'Assemblée nationale n'a pas entraîné une grande modification de sa composition sociale, même si certains représentants du monde ouvrier et d'anciens syndicalistes y font leur entrée, comme Andy Kerbrat et Ségolène Amiot, deux salariés d'un centre d'appels qui ont été tous deux secrétaires de CHSCT.

En dépit des changements politiques occasionnés par le dernier scrutin (affaiblissement de LREM et de LR, poussée de l'extrême-droite, raffermissement de la gauche, etc.), le nouveau visage socioprofessionnel des députés ne semble pas très différent de ce qu'il était en 2017. Comme l'a souligné hier sur twitter Martial Foucault, professeur des universités et directeur du Cevipof, les cadres et professions intellectuelles, qui totalisaient déjà 70% des députés il y a 5 ans, continuent de dominer largement l'Assemblée, alors qu'ils ne représentent que 21% de la population active. Les ouvriers, qui représentent eux 19% de la population active, ne constituent toujours que moins d'1% des députés. Les seules forces politiques à avoir fait élire des ouvriers sont le Rassemblement national (3% de leurs députés) et la France insoumise (3% également).

Deux femmes de ménage

Parmi les nouveaux venus dans l'hémicycle, deux députées sont des gouvernantes et femmes de ménage. Il y a Rachel Keke, élue dans le Val-de-Marne pour la Nupes. Agée de 48 ans, mère de 5 enfants, cette personnalité née en Côte d'Ivoire, et qui se présente comme "une guerrière", est relativement connue des Français. Elle a en effet incarné, au sein de la CGT, le combat des employées de l'hôtel Ibis des Batignolles à Paris. Après 8 mois de grève, les femmes de ménage avaient obtenu des augmentations salariales et une baisse de leur cadence de travail. Le Monde rapporte qu'elle a dédié sa victoire, face à l'ancienne ministre des sports, à ses collègues de l’hôtel Ibis et à tous les salariés oubliés et mal payés : "L’Assemblée nationale est à nous, ce n’est pas que pour les riches, a lancé Rachel Keke à l'issue du résultat. Moi, j’ai le niveau CM2, je l’assume ; mais j’ai une très grande intelligence, tout le monde a de l’intelligence. Rachel, c’est quelqu’un qui rigole, mais quand elle travaille, elle ne rigole pas".

A l'Assemblée, elle siégera dans le même parti (LFI) que François Ruffin. Lors du précédent quinquennat, le journaliste et député d'Amiens, auteur de "Merci Patron !", a plusieurs fois mis dans le débat parlementaire la question des salaires et conditions d'emploi des femmes de ménage, comme lors d'un débat l'ayant fortement opposé à Brigitte Bourguignon, alors présidente de la commission des affaires sociales, mais il a également plaidé pour les auxiliaires de vie. Rachel Keke a d'ailleurs déjà promis de "balayer devant (sa) porte" en s'intéressant aux conditions de travail des femmes de ménage de l'Assemblée. 

L'autre députée venue d'une catégorie populaire, et qui elle-aussi a été femme de ménage avant de "bifurquer" vers la politique, est en revanche inconnue en dehors de sa région. Il s'agit de Lisette Pollet, élue à Montélimar (Drôme). Selon France Bleu Drôme Ardèche, cette nouvelle députée RN (ex-Front national)  âgée de 54 ans et originaire du Portugal, a été femme de ménage chez Elior, où elle fut même pendant un an déléguée du personnel CFDT, un syndicat très hostile à l'extrême droite. Elle a également travaillé chez Sodexo et dans une école privée, "avant de quitter son travail et de se consacrer exclusivement à la vie politique en novembre 2021". Elle est en effet conseillère régionale et secrétaire départementale du parti de Marine Le Pen.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Un ouvrier dans l'aéronautique, deux employés d'un centre d'appels

D'autres figures des classes populaires parmi les nouveaux députés sont à chercher du côté de la gauche, comme par exemple Mathilde Hignet, une ouvrière agricole de 29 ans élue Nupes en Ille-et-Vilaine : la jeune femme entend "représenter les travailleurs invisibles à l'Assemblée". Autre nouveau venu : Laurent Alexandre, élu de la Nupes (LFI) dans l'Aveyron, est un ouvrier métallurgiste de la société Collins Aerospace (ex-Ratier) de Figeac. Agé de 49 ans, il est également maire d'Aubin, une commune de 3 700 habitants, et vice-président de la communauté de communes de Decazeville, un ancien bassin minier marqué récemment par la liquidation de la SAM, une fonderie qui travaillait pour Renault . Non encarté mais sympathisant LFI (La France insoumise), Laurent Alexandre a été durant 20 ans délégué syndical CGT. Un engagement qui le rapproche de deux autres députés de la Nupes et de la France insoumise : Andy Kerbrat, 31 ans, et Ségolène Amiot, 36 ans.

Tous deux ont beaucoup de points communs. Ils viennent d'êtres élus en Loire-Atlantique, et tous deux travaillaient jusqu'à présent dans le même centre d'appel : "C'est moi qui ai fait entrer Andy à la CGT. Il m'a ensuite succédé comme secrétaire du CHSCT" de cet établissement de plus de 300 salariés, nous raconte Ségolène Amiot. Toux deux partagent donc le même vécu professionnel, l'envie de défendre les travailleurs peu représentés et peu valorisés des services.

 L'évolution de la loi rend la défense des salariés plus difficile. Nous avons envie de modifier la loi

 

 

En outre, ils s'accordent sur une vision très critique de l'évolution des instances représentatives du personnel : "Pourquoi je suis allée vers la politique ? Parce qu'avec l'inversion de la hiérarchie des normes et la création du CSE au détriment du CHSCT, j'ai rapidement vu que nous n'avions plus les moyens de défendre efficacement les salariés", répond Ségolène Amiot. "J'ai été secrétaire du CHSCT pendant 3 ans et j'ai fait ensuite un temps comme représentant de proximité. Mais c'était très compliqué, d'autant que nous étions passés à 3 CSE pour 4 sites, alors que nous avions auparavant un CHSCT par site", explique de son côté Andy Kerbrat. Lui aussi a éprouvé le besoin d'aller plus loin en mettant les mains dans le cambouis "afin de faire changer la loi dans un sens favorable aux salariés". Le programme de Jean-Luc Mélenchon à la présidentiellet et de la Nupes aux législatives, souligne d'ailleurs Séogolène Amiot, comportait le rétablissement du CHSCT mais aussi un accroissement des moyens de l'inspection du travail et de la médecine du travail. 

Premiers pas à l'Assemblée

Hier, les deux députés néophytes, qui se rangent donc dans l'opposition, ont découvert le palais Bourbon et accompli leurs premiers pas de parlementaires. Impressionnant ? "Un peu, bien sûr, mais nous n'étions pas seuls, nous sommes arrivés avec tout le groupe de la France Insoumise et avec plusieurs députés de la Nupes", répond Andy Kerbrat, qui a consacré hier quelques heures aux démarches administratives : "Récupérer les données officielles, prendre la mallette du parlementaire, le matériel informatique".

Le nouveau député va désormais attaquer la séquence plus politique des réunions de groupe. Il songe pour l'heure à rejoindre la commission des affaires sociales, mais ce "geek" se dit aussi attiré par l'aménagement du territoire et l'écologie. Comme, là encore, Ségolène Amiot : "Moi, je suis très militante, très tournée vers l'éducation populaire, je soutiens le mouvement LGBT depuis 2017 et j'ai aussi entrepris une démarche familiale pour viser le zéro déchet". 

Représenter les citoyens et représenter les salariés, un mandat comparable ? Andy Kerbrat pense en tout cas apporter le fruit de son expérience d'élu du personnel à l'Assemblée : "Ce que j'ai retiré de mes mandats de représentant du personnel, c'est la capacité de négocier avec la direction, mais aussi d'assumer une conflictualité inévitable car nous ne défendons pas les mêmes intérêts, nous agissons pour les salariés quand la direction est davantage tourné vers le marché". 

 

► La Première ministre, dont Emmanuel Macron a refusé hier la démission afin qu'elle continue de gérer les affaires courantes, ou le nouveau Premier ministre doit prononcer le 5 juillet devant l'Assemblée son discours de politique générale. La France insoumise a annoncé son intention de déposer une motion de censure à cette occasion. Rappelons que la coalition de la majorité présidentielle (Ensemble) dispose de 245 députés, devant la Nupes, la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (131), le Rassemblement national (89), Les Républicains (61), divers gauche (22), divers droite (10), etc. La majorité absolue est de 289 sur 577 députés (voir le tableau du ministère de l'intérieur). L'Assemblée doit élire son président ou sa présidente le mardi 28 juin.

 

 

Bernard Domergue
Vous aimerez aussi