i-Télé : l'entrave aux IRP est caractérisée

i-Télé : l'entrave aux IRP est caractérisée

17.11.2016

Représentants du personnel

Le TGI de Nanterre a donné ce mercredi gain de cause aux représentants du personnel de l'UES Canal +. En privant le CHSCT des informations nécessaires pour pouvoir rendre un avis éclairé sur le projet de "News Factory" la direction du groupe Canal + a commis un délit d'entrave.

Après 31 jours de grève et 25 départs supplémentaires au sein de la rédaction, les salariés d'i-Télé (Groupe Canal +) ont voté ce mercredi à l'unanimité la reprise du travail "dès que le protocole de fin de conflit aura été signé" (notre encadré ci-dessous). Parallèlement, les élus du personnel de l'UES Canal + ont, eux, obtenu pleinement satisfaction devant le juges et obtenu une condamnation pénale de la direction pour délit d'entrave.

Projet News Factory : des IRP consultées mais trop peu informées
En premier lieu voici le rappel des faits, tels qu'exposés par l'avocat du CHSCT et du CE de l'unité économique et sociale de Canal +, Mikaël Klein, du cabinet LBBa, lors de l'audience du 2 novembre dernier devant le TGI de Nanterre : le 22 septembre dernier, le CE a été informé, en vue d'une réunion d'information quatre jours plus tard, de la mise en place du projet de News factory, littéralement "usine à informations". Ce projet consiste, résume l'avocat, "en la collaboration de différents médias des groupes Vivendi (dont relèvent les sociétés de Canal +) et de Bolloré, parmi lesquels, principalement, la chaîne de télé d'information i-Télé (dont le nom va prochainement devenir Cnews), la plateforme de vidéos en ligne Dailymotion (majoritairement détenue par le groupe Vivendi) et le quotidien papier Direct Matin (qui appartient à la société Matin +, détenue par le groupe Bolloré)". Ce projet se traduit par l'apparition d'une marque commune, News Factory, et par l'installation de certains salariés de Daily Motion et de Direct Matin dans l'immeuble dit "Arcs de Seine" à Boulogne-Billancourt où est logé i-Télé. Mais l'installation des équipes de Direct matin à Arcs de Seine, précise la note de la direction, se fera après la procédure d'information-consultation du CHSCT. Toutefois l'information donnée par l'employeur au CE sur ce projet paraît bien floue : "La direction a consulté le CE sur un concept dont le seul aspect concret a trait au déménagement de salariés. L'employeur dit au CE : on vous consultera plus tard sur les autres dimensions du projet, l'éditorial, la justification économique, etc.", a rappelé le conseil des instances représentatives.
Le CE refuse alors de rendre un avis en l'état. Quant au CHSCT, il est consulté le 4 octobre sur les déménagements des salariés envisagés et sur l'arrivée de Direct Matin dans l'immeuble, mais sans aucun détail sur le projet News Factory. "Le CHSCT, qui ne dispose guère que des plans des bureaux d'un étage, juge que c'est un peu léger et refuse de rendre lui aussi un avis, et lors de la réunion du 11 octobre, il décide de recourir à une expertise", poursuit Mikaël Klein.  Or la direction procède dès le 18 octobre à des travaux en vue du déménagement des salariés, effectif dès le 26 octobre pour ce qui concerne l'installation des salariés de Direct Matin dans les locaux de Canal +. "Le 22 octobre, vous avez des effets personnels de journalistes de i-Télé qui sont jetés dans des bennes. Dans le même temps, on pose sur l'immeuble les lettres de la nouvelle marque, News Factory, ce qui va se révéler dangereux puisque certaines vont tomber, ce qui va entraîner le retrait de la nouvelle enseigne pour motif de sécurité", a alors fustigé l'avocat du CE lors de l'audience.
Le délit d'entrave est caractérisé
Un exposé qui aura manifestement convaincu les juges de l'existence d'une entrave au bon fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Aux yeux du TGI de Nanterre, le lien entre le déménagement des salariés de Direct matin et le projet News Factory est incontestable : "Force est de constater que les projets d’emménagement/réaménagement/déménagement des équipes de l’UES Canal plus et de Direct Matin et Dailymotion sur le site Arcs de Seine constituent partie intégrante

Projet global et important de création d’une “News Factory” dont les conséquences sont susceptibles de modifier les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés de l'UES Canal Plus, est-il reconnu. En outre, l’UES Canal Plus ne conteste pas avoir débuté les opérations de déménagement ainsi que celles de pose d’une enseigne “News Factory” sur la façade de l’immeuble Arcs de Seine le samedi 22 octobre 2016, matérialisant ainsi la visibilité de son projet, enseigne qu’elle a ensuite fait retirer, sans répondre aux questions et demandes d’informations du CHSCT et sans attendre l’expiration du délai légal de consultation du CHSCT". Et les magistrats d'en conclure : "le CHSCT n’a pas disposé des informations suffisantes pour exprimer valablement un avis éclairé avant la mise en oeuvre du projet et que le délai légal pour rendre son avis n’a pu commencer à courir à compter du 11 octobre 2016 en raison du refus réitéré à plusieurs reprises, les 14 et 19 octobre de la direction d’organiser une nouvelle réunion pour fournir les informations suffisantes et les réponses aux questions posées tout en débutant le 18 octobre la mise en oeuvre de son projet de d’emménagement/réaménagement/déménagement des équipes de l’UES Canal plus sur le site Arcs de Seine. La procédure d’information/consultation n’ayant donc pas été régulièrement menée, il convient de constater que l’UES Canal Plus a violé les dispositions de l’article L 4612-8-1 du code du travail. (...) il convient d’ordonner la suspension du projet de création d’une “News Factory” et les déménagements consécutifs à ce projet de création d’une “News Factory” jusqu’à ce que le CHSCT dispose des éléments d’information nécessaires à l’expression de son avis".

Pour l'avocat des représentants du personnel, il s'agit là "d'une très belle décision". "Ce jugement oblige la direction de l'UES Canal + à redémarrer complètement la procédure d'information-consultation du CHSCT, et à mon sens, du comité d'entreprise également".

 
À noter : l'action du comité d'entreprise est en revanche jugée irrecevable au motif que les élus n'ont pas pris la peine d'inscrire un point particulier dans l'ordre du jour de la réunion CE du 26 septembre pour délibérer sur le mandatement donné au secrétaire de l'instance pour agir en justice contre la direction de l'UES.
 
Fin de conflit au sein d'i-Télé : les engagements obtenus par la SDJ

L'accord de fin de conflit, qui hier après-midi n'avait pas encore été signé selon le journaliste Milan Poyet, un des porte-parole du mouvement lancé par la société des journalistes (SDJ), devrait au moins partiellement donner gain de cause aux grévistes. "Nous n’avons pas obtenu le retrait de Jean-Marc Morandini. Mais nous avons obtenu que son travail soit très encadré et qu’aucun collaborateur d’i-Télé ne soit contraint de travailler avec lui contre son gré, une disposition sans précédent dans une entreprise de presse, énonce le texte rédigé par les journalistes d'i-Télé. Nous n’avons pas obtenu la séparation des postes de directeur général et de directeur de la rédaction. Mais nous avons obtenu des garanties sur l’indépendance de la rédaction. Une charte éthique sera rédigée, dans le cadre de la loi Bloche, dans les 4 mois. Ces dispositions, nous les avons obtenues pour ceux qui demeurent à i-Télé. Pour tenter de leur assurer un cadre de travail pérenne. Pour protéger ceux qui quittent i-Télé nous avons revendiqué un cadre collectif de négociation". Les journalistes qui souhaitent quitter i-Télé auront en effet la possibilité de faire jouer leur clause de conscience (*) du fait de la présence à l'antenne de Jean-Marc Morandini, mis en examen pour corruption de mineurs.

(*) La clause de conscience est une disposition propre aux journalistes professionnels. Elle leur permet de démissionner tout en bénéficiant du régime du licenciement, mais à condition que cette démission soit décidée à l'occasion d'un changement de situation juridique de l'employeur (vente ou rachat, par exemple) ou d'une modification de la ligne éditoriale.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Julien François
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