Un an après sa rédaction, un rapport sur les homicides d'enfants rédigé par trois inspections est rendu public. Un enfant est tué par ses parents tous les cinq jours. Le rapport décortique les situations très diverses qui conduisent à ces meurtres. Des recommandations insistent sur une meilleure coordination des différents acteurs sociaux afin d'éviter beaucoup de morts.
Chaque mort d'enfant dans le cadre de violences intrafamiliales est une mort de trop ! Chacun au plus profond de soi est révolté par ces situations d'extrême violence contre un être totalement incapable de se défendre et bien souvent d'alerter les autres. Mais peut-on passer de la révolte à l'action ? Est-il possible de prévenir ces morts ? C'est le sens de la mission confiée en mai 2017 à trois inspections (inspection générale des affaires sociales, inspection générale de la justice, inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche). Leur rapport finalisé en mai 2018 vient d'être rendu public.
Des décès surtout avant 4 ans
Mais d'abord, quelle est l'ampleur du phénomène, sachant qu'il n'existe pas de recueil de données centralisé ? Selon une estimation du ministère de l'intérieur réalisée en 2016, 131 mineurs ont été victimes soit d'homicides intentionnels soit de violences volontaires suivies de mort sans intention de la donner. Une fois sur deux, un parent est impliqué comme auteur. Le nombre de morts violentes d'enfants âgés de zéro à 17 ans s'élève donc en 2016 à 68. Sur ce total, 53 décès interviennent avant l'âge de 4 ans.
15 % de néonaticides
Les inspecteurs se sont également adressées aux juridictions pour établir un décompte du nombre de morts d'enfants dans un cadre intrafamilial. Même si quelques omissions sont possibles, le chiffre de 363 morts violentes entre 2012 et 2016 peut être considéré comme solide. Il apparaît dès lors qu'un décès sur deux intervient avant l'âge d'un an. Les deux sexes sont également touchés par le phénomène. Un quart de ces victimes sont en âge scolaire, "âge pendant lequel le suivi médical, social, scolaire et, le cas échéant, judiciaire est primordial". A noter que les néonaticides (meurtre d'un nouveau né dans ses premières 24 heures) concernent 15 % des situations, soit 55 cas. Les mères sont les auteurs de ces meurtres, mais elles ne sont pas forcément jeunes, comme on le pense généralement.
Deux tiers des familles non suivies par l'ASE
Un décès d'enfant de moins d'un an sur deux concerne le syndrome du bébé secoué. Deux fois sur trois, les pères sont impliqués seuls dans ce décès. Dans deux tiers des cas, les familles ne sont pas suivies par l'ASE quand intervient le drame. Une même proportion de familles est suivie par d'autres services sociaux : travailleurs sociaux de secteur, PMI, CCAS... Quant au suivi par un juge, il est également minoritaire (15 % des cas). En valeur relative, les départements les plus affectés sont la Meuse, la Nièvre, la Creuse, le Tarn, la Haute-Loire, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Saône.
Sous-estimation de la mortalité
Ces chiffres, expliquent les auteurs du rapports, doivent être maniés avec prudence puisque certaines femmes arrivent à dissimuler leur grossesse et à éliminer leur enfant. Des cas de bébés secoués ne sont pas diagnostiqués. Certains professionnels de santé sont réticents à évoquer des problèmes de maltraitance pour ne pas infliger une seconde peine aux familles. Pour avoir des chiffres consolidés, le rapport demande la mise en place d'une autopsie médico-légale systématique.
Facteurs de vulnérabilité
Pour comprendre les situations familiales, 50 dossiers ont été examinés de façon très rigoureuse. Dans plus de la moitié des cas, l'enfance difficile des parents, la désinsertion sociale et la précarité matérielle ou les troubles psychiatriques sont citées. Une fois sur trois ou quatre, la violence conjugale, les addictions ou la monoparentalité apparaissent. Trois fois sur quatre, les familles étudiées cumulent au moins quatre facteurs de vulnérabilité.
Traces de violences physiques
L'étude montre que, dans un cas sur deux, la situation d'un des membres de la famille a été portée à la connaissance de la justice, que ce soit le juge des affaires familiales (JAF) ou celui de l'application des peines (JAP). Quels sont les signaux d'alerte existant permettant éventuellement de prévenir les violences meurtrières ? Dans un tiers des cas (en retirant les néonaticides), des traces de violences physiques avaient été repérées. "Certes, expliquent les inspecteurs, ces constats pris isolément ne justifiaient pas nécessairement un signalement, mais, placés dans le contexte dégradé de chaque situation, leur prise en compte auraient pu déclencher une meilleure protection de l'enfant."
Indices non reliés entre eux
Dans la moitié des cas, les signes de vulnérabilité des familles étaient forts pouvant comporter des risques de danger pour l'enfant. Sauf que les indices n'ont pas été reliés les uns aux autres. Par exemple, les violences faites aux enfants peuvent souvent être reliées avec les violences conjugales et/ou l'absentéisme scolaire. Pour l'autre moitié des cas, il était très difficile d'anticiper les drames, notamment pour les néonaticides.
Occasions manquées
Etudiant la cinquantaine de dossiers, les inspecteurs font apparaître qu'il y a souvent eu des "occasions manquées". Les proches ont souvent hésité, tardé à donner l'alerte, par négligence ou par peur des conséquences (placement). Dans un tiers des situations, les services sociaux ont été lacunaires. L'une des raisons, explique le rapport, tient au fait que "la posture d'accompagnement des parents semble prendre le pas sur la protection de l'enfant". La mauvaise évaluation des risques constatée provient souvent d'un manque de coordination entre services et d'un manque de rigueur dans l'analyse. Aussi est-il recommandé de "développer l'utilisation d'un référentiel commun pour harmoniser et fiabiliser les conclusions de l'évaluation des situations."
Un référent social dans chaque école
Quand une mesure d'assistance éducative est prise, elle échoue parfois par manque de coordination. Il faudrait dès lors, explique le rapport, créer à l'échelon départemental un dispositif de régulation des mesures ordonnées par le juge des enfants. En direction des écoles, il est proposé de prévoir dans chaque école un référent social "afin de favoriser les échanges et la circulation d'informations ainsi que les actions d'accompagnement des familles." Concernant l'éducation nationale, les inspecteurs demandent une amélioration des conditions d'archivage et de transmission des informations préoccupantes.
Question de moyens
Fourmillant de propositions (en tout 32), ce rapport devrait nourrir la réflexion des groupes de travail constitués par le secrétaire d'Etat Adrien Taquet afin de définir une stratégie dans la protection de l'enfance. Le gouvernement qui a opportunément sorti ce rapport près d'un an après sa rédaction, est prévenu par les inspecteurs : "un certain nombre de propositions nécessitera une augmentation des moyens alloués à la prévention et à la protection de l'enfance."