La semaine dernière, l'Andass (regroupant les cadres départementaux de l'action sociale) proposait des journées de réflexion sur l'innovation sociale. Est-elle possible dans les départements ? Comment entraîner agents et habitants pour changer les pratiques ? Entre réflexions théoriques et expériences de terrain, échos sur ce rendez-vous très innovant dans la forme.
Sur la scène de l'amphi de la Maison des Métallos, à Paris, Honey Deihimi, une haut-fonctionnaire allemande chargée de l'intégration raconte comment son pays a accueilli près d'un million de réfugiés en quelques semaines ("Il en arrivait 10 000 par jour", explique-t-elle), comment des fonds ont été débloqués pour appuyer les compétences d'accueil des associations, des mosquées ("les bonnes volontés ne suffisent pas"). Tout ça s'est fait en quelques semaines. L'urgence a produit des innovations sociales.
Lourdeur administrative
Sur la même tribune, Sylvain Lemoine, proche collaborateur de Dominique Versini, l'adjointe au maire de Paris chargée de la solidarité, n'en revient pas de cette réactivité allemande : "Au niveau de la ville, cela fait 6 mois que l'on travaille au sein d'une commission pour donner un cadre à l'accueil des jeunes réfugiés souhaitée par les familles. Il faut réfléchir à tout, à une convention, à un forfait d'indemnisation pour les particuliers, etc.". Avec cet exemple qui témoigne d'une certaine lourdeur, il s'interroge : "Comment faire pour que les innovations essaiment et nourrissent les administrations ?"
Les agents de la Dases impliqués dans l'organisation
"Innover... à la vitesse de l'usager". L'association nationale des directeurs d'action sociale et de santé des départements et des métropoles (Andass) avait choisi ce thème pour ses 28e journées nationales. Pour la première fois, elles se tenaient dans la capitale et la puissante Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé de Paris - Dases (4 000 agents) avait choisi de mettre les petits plats dans les grands pour accueillir les deux cents représentants de départements en faisant le pari d'innover dans les formes.
Le premier jour, les participants pouvaient découvrir des réalisations parisiennes (dans le social, l'ESS ou la culture) en choisissant l'une des sept ballades urbaines guidées. Le second jour, ils pouvaient, à côté des traditionnelles séances plénières, participer à des ateliers participatifs et à un speed dating présentant une quinzaine d'initiatives de terrain. Grande originalité : les agents de la Dases ont été largement associés à la préparation de cet événement, notamment pour l'animation des ateliers. "Sur la base du volontariat, nous leur avons proposé d'être actifs dans sa conception et son organisation. Une soixantaine d'agents ont joué le jeu", se félicite Jean-Paul Raymond, son directeur (1).
Questions dérangeantes
Par exemple, dans l'atelier "éthique du travail social et innovation", on pouvait voir 4 à 5 scènes du quotidien d'assistantes sociales jouées par les intéressées. Par-delà la drôlerie de certaines scènes et la capacité (salutaire) à se moquer de ses propres habitudes, ces actrices d'un jour posaient des questions dérangeantes sur l'usage qu'on peut faire des innovations techniques. "Si l'innovation sert à ficher les gens, cela pose problème", s'exclame l'une d'entre elles.
Une solution à tous les problèmes ?
Mais au fait, que recouvre cette notion qui affleure dans tous les discours ? Le philosophe Vincent Bontemps a noté qu'un document de 60 pages de l'Union européenne sur la stratégie pour 2020 citait 300 fois le terme d'innovation. "Elle est présentée comme la solution à tous les problèmes comme si c'était la panacée", ironise-t-il. Un peu d'histoire d'abord. "Ce terme apparu au XIIIe siècle signifie d'abord l'introduction d'un élément nouveau", explique-t-il. Mais il ne faut pas oublier que "avant d'être une création, l'innovation se traduit par la destruction de quelque chose."
Deux grandes visions de l'innovation
Spécialiste de l'ESS, le sociologue Jean-Louis Laville montre que l'innovation sociale (terme apparu dans les années 1970) présente deux grands versants : une dimension organisationnelle (innover pour être plus efficace) ; une recherche d'alternative inspirée par les mouvements sociaux. Après avoir été éloignées, ces deux visions ont tendance à se rapprocher pour converger vers des politiques publiques qui se tournent de plus en plus vers la société civile. Directeur de l'European Social Network (réseau européen regroupant des services publics), John Halloran explique que "l'innovation ne doit pas seulement transformer le fonctionnement des services ; elle doit permettre de transformer la société."
Co-construire, c'est dur !
Le changement ne peut plus, ne doit plus être amené d'en haut. "Le temps où l'on concoctait des politiques dans son bureau est révolu, estime l'élue parisienne Dominique Versini. Mais reconnaissons que la coconstruction avec les citoyens, c'est ce qui est le plus dur." Au fait, les responsables des directions départementales de la solidarité croient-ils vraiment à l'innovation ? Pensent-ils qu'il est possible de sortir des sentiers battus au sein d'une grande administration, même décentralisée ?
Prendre des risques pour innover
Dans un atelier où chacun devait se positionner autour de controverses, on a pu entendre une diversité de réflexions. Exemple sur la question : "Les institutions publiques sont-elles plus ouvertes à l'innovation ?". "A la différence d'une entreprise, une administration ne meurt jamais. Il faut prendre des risques pour innover", dit l'un. "Pas d'accord, les départements sont menacés. C'est justement pour cela qu'ils peuvent bouger", répond un second. Autre dialogue : "Il faut ramer pour innover, les systèmes réglementaires sont tellement contraignants", estime l'un. "On peut déconstruire cela. On a un pouvoir d'agir. Les freins sont ceux que l'on se met", rétorque un autre.
Force d'entraînement
Même si les cadres de l'action territoriale n'ignorent pas certaines motivations cachées de l'innovation (agir en période de restriction des moyens), même s'ils se débattent avec des injonctions paradoxales (associer les citoyens aux choix sans déposséder les élus), ils défendent généralement une position militante. "Si on pense, s'exclame l'un d'entre eux, que l'innovation, c'est purement un alibi, alors autant rendre notre tablier. Dans ces conditions, comment entraîner nos collaborateurs dont beaucoup n'y croient pas vraiment."
(1) Il est membre du comité éditorial de tsa.