Insertion des travailleurs handicapés : l'engagement des élus d'Amipi

Insertion des travailleurs handicapés : l'engagement des élus d'Amipi

26.03.2025

Représentants du personnel

Dernier volet de notre série consacrée au handicap dans la représentation du personnel : nous avons visité deux usines de la fondation Amipi. Ce dispositif unique en France permet à des salariés en situation de handicap de se réinsérer grâce à leur travail. De l'avis des élus de CSE des usines de Nantes, de Cholet et d'Angers, le dialogue social s'y passe également très bien. Au point de se dire "heureux comme un élu de CSE chez Amipi" ?

Pas un gramme de poussière par terre. Un bruit ambiant très raisonnable. Beaucoup de lumière naturelle. Aucune odeur désagréable. Les établissements échappent aux idées préconçues sur les usines. Derrière les machines à coudre et postes de câblage, des opérateurs calmes et souriants. Nous sommes à Cholet, dans une usine Amipi. "Amipi" pour "Association d'aide matérielle et intellectuelle aux personnes inadaptées" (par référence au statut d'entreprise adaptée).

Depuis 2005, la fondation reconnue d'utilité publique Amipi-Bernard Vendre met un point d'honneur à recruter des opérateurs en situation de handicap en vue de les insérer dans des entreprises classiques. Appuyé sur de solides études neurologiques, ce système permet à la fois de développer le cerveau de ces travailleurs en difficulté et de produire des câbles de haute technologie pour l'industrie automobile. Les activités se diversifient également sur le textile, l'électronique et l'électroménager.

Le travail qui guérit

Dans le train de 6h30 qui nous mène de Paris à Cholet, Jean-Marc Richard se montre intarissable. Le président de la fondation nous accompagne vers la région nantaise. Pas de doute, ces usines sont ses bébés. Il faut dire que son engagement  tient de la performance. Animé par la bonne cause, il nous raconte l'histoire d'Amipi depuis le menu tandis que les gobelets de café tremblent sous les cahots du rail.

Il était une fois Maurice Vendre et son épouse Maryse. Dans les années cinquante, leur fils, Bernard, est atteint de trisomie 21 et se fait rejeter des établissements scolaires. Blessés mais pas découragés, les parents décident de ne pas baisser les bras. Ils sollicitent leurs relations, à commencer par le patron du Crédit Lyonnais et le Professeur Robert Debré dont les études sur la plasticité du cerveau montrent le chemin.

© actuel cse / MAG

Car cet organe central change au cours de la vie et surtout, il réagit aux sollicitations. "En se développant par l'extérieur, notez-le, c'est très important", nous explique Jean-Marc Richard. Nous nous exécutons en nous souvenant du livre du neuropsychiatre Jean-Michel Oughourlian, lu il y a quelques semaines. L'ouvrage intitulé "Le travail qui guérit" démontre lui aussi, après les travaux de Robert Debré, que le travail des opérateurs, grâce aux besoins de mémorisation, de construction de gestes fins et précis, de repérage visuel, permet aux neurones de s'intensifier et aux gens de se développer.

"On est les derniers des Mohicans"

Les personnes en handicap cognitif, qu'il s'agisse d'autisme, de dispraxie, de schizophrénie ou autre, deviennent alors actifs et autonomes. Elles progressent, sortent de leur isolement et peuvent, enfin, "travailler comme les autres et gagner leur vie". Les usines Amipi les forment tout en répondant au même cahier des charges que n’importe quel autre fournisseur. Leurs clients : Peugeot, Renault, Mulliez-Flory, Manitou. Excusez du peu…

La fondation contribue ainsi à l'insertion en entreprises traditionnelles de quinze à vingt salariés par an. Éric Ferré et Doriane Pastor, directeur de l'usine de Cholet et directrice de l'usine de Nantes, connaissent par cœur les nom et prénom de chaque opérateurs, et les saluent systématiquement tandis que nous les suivons entre les machines. Ils nous disent bonjour avec un sourire et retournent à l'ouvrage, entourés d'écheveaux de câbles de toutes les couleurs.

© actuel cse / MAG

Jean-Marc Richard a fait ses calculs : les six usines apprenantes et inclusives (toutes installées en Pays-de-Loire et Centre-Val-de-Loire) réalisent 30 millions de chiffre d'affaires annuel, emploient 880 salariés, et ont inséré 216 salariés depuis 2009. "Cela représente 20 millions de non-dépense publique annuelle. Sans compter que l'on maintient une activité manufacturière en France dans la métallurgie. Quand je pense à la vague de mondialisation des années 2000, il a fallu résister. Je me suis battu pour ça, je me bats encore. Parfois, je me dis qu'on est les derniers des Mohicans", raconte le Président de la fondation.

Certes, elle perçoit des aides, notamment de l'Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées), mais pendant encore combien de temps ? Les crédits de l'Agefiph ont par exemple échappé à une coupe budgétaire cet hiver. Lucide sur la fragilité de l'emploi des personnes handicapées, Jean-Marc Richard ne compte pas lâcher l'affaire. Diplômé d'une grande école de commerce (Essec), passé chez l'entreprise informatique IBM et la banque HSBC notamment, c'est son père qui lui présente Maurice Vendre, créateur de tout le système. A 25 ans, il devient administrateur de l'Amipi qu'il préside désormais depuis vingt ans sans se verser de salaire. Autre particularité : ce patron invite ses salariés à se syndiquer…

82 % de participation aux élections professionnelles

De prime abord, on apprécie que le dialogue social soit constructif chez Amipi. Bien sûr, salariés et direction sont parfois en désaccord, comme dans toute entreprise. Outre que 70 % des salariés sont syndiqués, Jean-Marc Richard considère également le mandat de représentant du personnel comme facteur de développement : "Comprendre les enjeux de la société, réfléchir aux négociations annuelles obligatoires, décrypter le bilan comptable, voilà qui développe d'immenses capacités chez les salariés, c'est un atout considérable".

Guy Burgevin est élu du CSE depuis 1985, délégué syndical FO et en situation de handicap cognitif qui gêne sa lecture et son écriture. Rattaché à l'usine d'Angers, nous avons pu le joindre par téléphone. Il souligne que "c'est le directeur qui m'a demandé de me présenter aux élections car j'étais proche des opérateurs. Jean-Marc Richard me prend comme je suis. On peut avoir des désaccords mais maintenant j'ai du recul !".

Dans les usines on a connu, comme partout, le passage des anciennes instances (CE, CHSCT et délégués du personnel) au seul CSE. La présidence en est déléguée à la DRH, Sophie Labatut, qui se dénomme elle-même "directrice des richesses humaines". Selon cette ancienne consultante en droit social, "la forte syndicalisation des salariés donne à leurs représentants du poids dans les discussions, non seulement pour défendre l'entreprise, mais aussi pour en répartir les fruits".

© actuel cse / MAG

Quant au CSE, les ordonnances Macron ont réduit les réunions à une tous les deux mois, mais les usines Amipi ont gardé le rythme de la réunion mensuelle de l'instance. De l'avis de Sophie Labatut, "cela permet de conserver un dialogue de proximité". Un point relatif aux questions de santé, d'hygiène et de conditions de travail est systématiquement abordé en réunion.

La direction a également créé des tutoriels "pour aider les élus dans les deux mandats qui peuvent les inquiéter le plus : secrétaire et trésorier du CSE". Sophie Labatut les a invités à utiliser les services d'un prestataire pour rédiger les procès-verbaux de réunion : "C'est leur bête noire".

"On voudrait plus d'heures de délégation"

Dans les usines Amipi, la CFDT est majoritaire à 51 %, suivie de Force ouvrière (30 %). Sont également présents la CFE-CGC et la CFTC. Selon Vahé Barseghyan (CFDT), "la direction transmet le maximum d'informations avec la convocation quinze jours avant les réunions de CSE et suffisamment en avance pour que les élus aient le temps de les lire". La loi ne prévoit en théorie que trois jours. Le représentant du personnel indique également que sur l'usine de Cholet, les heures de délégation ne sont pas toutes utilisées.

On n'est cependant pas de cet avis sur l'usine de Nantes. Pour Manuella Laigle (CFDT), c'est ce qui pèche : "On a ce que prévoit la loi bien-sûr, mais moi il me faudrait bien sept heures en plus". Un avis partagé par Catherine Duval (CFDT) qui chiffre cependant son besoin à cinq heures par mois. La trésorière du CSE reconnaît cependant les effets positifs de son mandat. Certes, il n'a pas réduit son handicap auditif, mais "il m'a permis d'être moins timide, depuis que je suis élue les gens viennent plus me voir, ça m'aide". Enrique Dubois (CFDT) aimerait quant à lui davantage de formations. Ce référent harcèlement regrette qu"'en une journée, on ne peut pas tout apprendre".

Convention collective de la métallurgie : des ateliers de cotation

A l'usine de Cholet, Mégane Marchand (CFE-CGC) se souvient du passage douloureux à la nouvelle convention collective de la métallurgie, signée en 2022 par les partenaires sociaux et entrée en vigueur en 2024. Elle s'est empressée de demander une formation à son organisation syndicale, tandis que la direction créait des ateliers de cotation des emplois. Comme son homologue Joaquim Fernandes, l'élue a entamé son premier mandat en 2023, à la suite d'une vague de départ en retraites des anciens représentants du personnel. Joaquim s'en rappelle comme si c'était hier : "Il fallait renouveler les membres et créer de la diversité au CSE. La difficulté c'était de découvrir le mandat, on avait tout à apprendre". Tous deux regrettent une chose : ne pas être plus nombreux faute de candidats.

Côté négociation, un accord Qualité de Vie au Travail a récemment vu le jour. Sur les salaires, direction et représentants du personnel se sont entendus sur 2,5 % d'augmentation, même si Vahé Barseghyan nous a confié qu'il aurait préféré 3 %. La DRH, Sophie Labatut a réfléchi à de nouveaux dispositifs sur les accidents de trajets qu'elle trouvait trop nombreux, au contraire des accidents du travail qui se font rares, à peine deux par an, principalement des coupures aux doigts à cause du gainage des câbles.

De l'avis de l'ensemble des élus, le dialogue social dans les usines Amipi se passe plutôt bien. Guy Burgevin (FO) dit avec philosophie que "c'est comme dans toute entreprise, par moments ça bloque puis ça se débloque ! Mais on est tous dans le même bateau, voilà ma devise, si on va dans le mur, on y va tous ensemble". La cohésion serait-elle "le p'tit truc en plus" de l'Amipi qui rend plus heureux qu'ailleurs ?

 

Les deux premiers volets de la série sur handicap et représentation du personnel :

► Elu de CSE et en situation de handicap : mission possible

► Handicap : les secrétaires confédéraux main dans la main avec les élus de CSE

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Marie-Aude Grimont
Vous aimerez aussi