Insuffisance des BDES : des torts partagés entre directions et élus ?

Insuffisance des BDES : des torts partagés entre directions et élus ?

13.03.2019

Représentants du personnel

Rares sont les bases de données économiques et sociales (BDES) qui ont à ce jour permis d’améliorer le partage de l’information économique dans l’entreprise. Mais face aux réticences des employeurs, les élus constatent eux-mêmes un désintérêt préoccupant des équipes syndicales pour cet outil. Compte-rendu de la conférence organisée hier par le Cercle Maurice Cohen dans le cadre du salon Eluceo à Saint-Denis.

Lors de la première journée du salon Eluceo à Saint-Denis, dans l’enceinte du Stade de France, le Cercle Maurice Cohen a présenté hier aux représentants du personnel les résultats alarmants de son enquête sur la base de données économiques et sociales, la BDES (lire notre article publié hier). L’occasion pour le cercle de réflexion de lancer le débat, animé par la rédaction d'actuEL-CE.fr, sur les évolutions nécessaires de cet outil insatisfaisant, pourtant légalement placé au cœur du dialogue social dans l’entreprise.
"En l’absence de BDES, le dialogue social a toutes les chances d’être mauvais"
L’avocat Christophe Baumgarten rappelle en introduction l’enjeu capital lié à la BDES : "Elle est le support essentiel à l’exercice du rôle économique par le CSE. Cela signifie que si la BDES n’est pas satisfaisante, ou tout simplement inexistante, le dialogue social sur la direction de l’entreprise a toutes les chances d’être mauvais". Cette enquête, à laquelle 811 élus couvrant 2 652 000 salariés ont répondu, pallie selon ses auteurs les lacunes du ministère du Travail : "Alors que le dispositif s’impose au moins depuis juin 2015, voire 2014 pour les plus grandes entreprises, personne ne s’est jusqu’ici intéressé au sujet, déplore le vice-président du cercle de réflexions. À ce titre, notre initiative est un immense succès au regard des faibles moyens de l’association".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Des élus majoritairement déçus de leur BDES
Lorsque la loi de sécurisation de l’emploi a créé la BDES en 2013, l’idée d’un support unique regroupant l’ensemble des informations utiles aux élus, régulièrement mis à jour, donnant une visibilité à trois années, était prometteuse. Mais la pratique s’avère décevante : "Seuls 8% des élus déclarent ne pas avoir de BDES dans leur entreprise. Mais c’est inquiétant de voir qu’un tiers des BDES ne sont pas mises à jour avant chaque grande consultation, souligne Cyril El Baz, directeur de CE et membre du Cercle Maurice Cohen. Et 60% des élus ne sont jamais informés des mises à jour de leur base de données". Sur le fond, 47% des sondés affirment que les prévisions économiques à trois ans ne figurent pas dans la BDES et moins de 30% des élus déclarent que ce support est directement exploitable. "Au final, 85% des sondés considèrent ne pas avoir une meilleure information depuis la création de la BDES. On peut donc penser que le législateur pourrait revoir sa copie et faire mieux", conclut Cyril El Baz.
"Une BDES complète et expertise sont complémentaires"
Un constat confirmé par Bernard Bouché, représentant de Solidaires : "Le problème supplémentaire, c’est qu’on nous met une partie importante, voire l’intégralité de la BDES, sous obligation de confidentialité. C’est une forme d’intimidation des élus du personnel. L’espacement possible par accord collectif des trois grandes consultations risque également de réduire les possibilités de recours à l’expertise".
L’occasion pour une élue CE de demander si une BDES trop bien renseignée ne risquerait pas au contraire de mettre en péril le bien-fondé du recours à l’expertise : "Expertise et BDES sont complémentaires, répond Bernard Bouché. Normalement dans la BDES il y a une grande partie d’informations directement exploitables par les élus, pour communiquer auprès des salariés. La première chose à faire, c’est d’imposer à l’employeur des exigences de qualité de la base de données. Peut-être faut-il faire des votes, des résolutions, mais il y a là une bataille à mener pour que les informations soient de meilleure qualité. Et côté syndical, il y a certainement une réflexion à mener sur de possibles actions en justice à introduire contre des employeurs". "La question que je me pose, c’est plutôt de savoir comment l’expert pourrait être mandaté par obligation, financé par l’entreprise, pour mettre en place la BDES ?", réagit Patrick Varela, conseiller confédéral chargé des élus et mandatés à la CGT.
La faute également aux élus ?
Pour cette élue CGT présente dans la salle, la mauvaise qualité des BDES est le reflet du désinvestissement des élus dans l’exercice de leurs prérogatives économiques : "Mon sentiment, c’est qu’il y a un travail syndical qui se perd, intervient-elle. J’observe une dilution de l’étiquette syndicale sur laquelle on a été élu. C’est bien de faire des actions intersyndicales, mais aujourd’hui on est dans le consensuel, l’institutionnel. On a de plus en plus envie d’être bien vu, y compris par l’employeur. Mais c’est aux élus de s’approprier cette BDES, de se former, de solliciter sa structure syndicale. À mon sens, cette mauvaise mise en œuvre de la BDES est liée au manque de combativité des élus, analyse-t-elle. Pour les jeunes, le CSE c’est d’abord les activités sociales et culturelles. Donc ils ne s’intéressent que très peu à la BDES". "Chez nous, les seules données disponibles dans la BDES sont celles produites chaque année par le commissaire aux comptes, témoigne une autre élue, par ailleurs comptable RH. Lors de la dernière réunion de CE, j’ai donc mis en avant la mauvaise foi de l’employeur. Mais effectivement, des élus qui ne veulent pas froisser la direction, j’en vois tous les jours".
Préserver, lors de la mise en place du CSE, le contenu de la BDES
Or l’heure n’est justement pas au relâchement, les délégués syndicaux ayant cette année la lourde tâche de négocier les moyens du comité social et économique, le CSE : "Attention, tous les accords de droit syndical en cours tombent au premier tour des élections au CSE, prévient Laurent Milet, président du Cercle Maurice Cohen. Les employeurs ont donc tout intérêt à ouvrir des négociations pour raboter le contenu de la BDES, qui était jusqu’alors d’ordre public". "L’avenir de la BDES m’inquiète, complète Claudine Vergnolle, expert-comptable auprès des élus. Dans le cadre du CSE, ce sera aux délégués syndicaux de déterminer le contenu à préserver de la BDES. Je suis effaré de voir des organisations syndicales signer des accords majoritaires qui font complètement l’impasse sur la qualité de l’information économique. Et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise".
Julien François
Vous aimerez aussi