Jean Castex remplace Edouard Philippe à Matignon : qu'en pensent les syndicalistes de sa région ?

Jean Castex remplace Edouard Philippe à Matignon : qu'en pensent les syndicalistes de sa région ?

06.07.2020

Représentants du personnel

Jusqu'à présent maire de Prades, le haut fonctionnaire Jean Castex remplace Edouard Philippe comme Premier ministre d'Emmanuel Macron. Les élus du personnel des Pyrénées-Orientales qui connaissent Jean Castex sont souvent étonnés par sa nomination, parfois flattés, parfois franchement dubitatifs.

Âgé de 55 ans, Jean Castex, clairement ancré à droite comme Edouard Philippe (50 ans), n'est pas qu'un élu local des Pyrénées-Orientales, où il est maire de Prades depuis 2008. C'est un énarque (promotion 1991), comme Edouard Philippe (promotion 1997), qui possède un parcours de haut fonctionnaire. Conseiller à la Cour des comptes, secrétaire général de préfecture, directeur de l'hospitalisation et des soins au ministère des Solidarités en 2005, il devient en 2007 et 2008 directeur de cabinet de Xavier Bertrand quand celui-ci est ministre de la Santé puis du Travail. Conseiller social puis secrétaire général adjoint de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy (2010-2012), Jean Castex est choisi le 2 avril 2020 par Emmanuel Macron pour piloter le déconfinement du pays après l'épreuve de l'épidémie de Covid-19, alors qu'il est déjà délégué interministériel aux Jeux Olympiques de 2024 à Paris.  

Mais revenons à Prades ( 6 000 habitants) et à sa communauté de communes présidée par Jean Castex. Que pensent de leur maire et de sa personnalité les représentants du personnel de cette ville et de sa région ? Peu le connaissent réellement (1). Pierre Place, l'ancien responsable de l'union départementale 66 de la CGT, le dit sans détours : "Je n'ai jamais eu affaire à lui. Prades est une petite commune, sans industries ni entreprises importantes, donc je n'ai pas eu d'occasions de lui parler". A l'UD CGT, je n'ai guère plus de succès : "C'est une personne attachée à son département, d'une autre orientation politique que la nôtre, c'est une personnalité de la droite locale. Mais nous avons très peu de relations avec lui".

Prades, sous-préfecture et capitale du "Conflent"

C'est à l'union locale CGT du Conflent, cette région au pied du Canigou, le sommet catalan non loin de la frontière franco-espagnole, dont la "capitale" est la petite sous-préfecture Prades, que j'ai plus de chance. "J'ai été très surpris par cette nouvelle. Jean Castex est un haut fonctionnaire, il a un profil de gestionnaire. Son arrivée ici a bousculé la droite locale mais il n'est pas dans la division et surtout il n'a pas l'expérience d'autres mandats : il n'a jamais été député par exemple", réagit Jean Boucher, responsable de l'UL. Et ce dernier d'ajouter : "Là, s'il doit continuer la réforme des retraites, il va se retrouver dans une logique d'affrontements, avec en plus une situation économique et sociale très délicate".

 Ici, il y a très peu d'entreprises. Le taux de chômage est très élevé

 

Pour le syndicaliste CGT, ce n'est pas, en tout cas, le terrain local qui aura préparé à cela le nouveau Premier ministre : "Ici, si l'on enlève les centres commerciaux et l'artisanat, nous avons très peu d'entreprises. Le Conflent détient même le plus fort taux de chômage du département". Donc pas vraiment d'expérience de terrain relative à des conflits sociaux.

C'est cela aussi qui étonne Angel Helmerich, responsable du syndicat autonome des territoriaux des Pyrénées-Orientales. "Je suis très surpris par ce choix : M. Castex a la réputation d'être un démineur mais quand vous êtes Premier ministre, vous devez vous engager et ne pas plaire à tout le monde. Par ailleurs, moi j'ai vécu toutes les transformations de la fonction publique, celles qui ont provoqué la situation dramatique que nous connaissons à l'hôpital, et je n'ai pas oublié que Jean Castex a été le conseiller social de Nicolas Sarkozy qui a lancé ces politiques. Donc je ne vois pas en quoi cela peut préjuger d'un changement de politique à l'égard de l'hôpital et de la fonction publique", soutient le syndicaliste, par ailleurs peu convaincu par la façon dont le déconfinement a été abordé par le nouveau Premier ministre. Pour résumer, Angel Helmerich dit, tout en reconnaissant ne pas le connaître personnellement, "n'avoir pas une grande opinion de ce personnage". 

Des syndicalistes décrivent un homme "à l'écoute"

En revanche, Céline Argence responsable du syndicat CGT de l'hôpital de Prades (près de 300 agents, soit l'un des gros employeur de la région avec la clinique Saint Michel et le Super U), et Jean-Patrick Astruch, son adjoint, ont une opinion favorable. "Jean Castex s'est impliqué pour faire avancer l'extension de l'hôpital, il est conscient des moyens qui nous font défaut et nous espérons que sa nomination nous apportera quelque chose", disent les deux syndicalistes qui décrivent un homme "accessible, à l'écoute de tous". Céline Argence n'a d'ailleurs pas été surprise par sa nomination : "Il était déjà Monsieur déconfinement et nous avions eu des rumeurs sur cette possibilité". 

Ce que j'attends du nouveau Premier ministre ? Des propositions pour sortir les gens de la précarité, et du dialogue social 

 

 

"Mettre sur le dos de M. Castex le fort taux de chômage du Conflent ne serait pas juste car c'est tout le département qui est sinistré, encore plus depuis la crise sanitaire qui a tué le tourisme", nous dit pour sa part Claudine Lavail-Darder, ancienne secrétaire générale de l'union départementale CFDT des Pyrénées-Orientales (PO), désormais "simple" membre de la commission exécutive du syndicat. Et justement, la militante CFDT estime que le nouveau Premier ministre dispose avec les PO d'un très bon observatoire sur la situation réelle de la France, sur ce qui ne va pas : "Par exemple, dans le département, nous avons des aides soignantes qui travaillent pour moins de 1 000 euros par mois". Claudine Lavail-Darder attend de M. Castex des "propositions concrètes" pour améliorer la situation économique et sociale, "pour sortir les gens de la précarité", et elle attend aussi "du dialogue social". Mais elle semble avoir confiance. D'ailleurs, confie-t-elle, les remontées des adhérents CFDT de la région de Jean Castex sont très bonnes sur sa personnalité : "Nos militants me le décrivent comme quelqu'un très à l'écoute, qui a le souci de la justice sociale". 

Voilà le nouveau Premier ministre prévenu. Quoi qu'il en soit, Jean Castex, dont le gouvernement pourrait être connu ce lundi 6 juillet, va devoir mettre sur pied le grand programme de relance annoncé par le chef de l'Etat (on attend dans les prochains jours une annonce sur des exonérations massives de cotisations sociales pour favoriser l'emploi des jeunes), mais aussi trancher la question de l'assurance chômage et des retraites, le tout sur fond d'accroissement de la dette publique et dans la perspective de la présidentielle de 2022. Pour sa première apparition télévisée au journal de 20h de TF1 samedi 3 juillet, le nouveau Premier, moins assuré que son prédécesseur, a insisté sur le "dialogue social" et  sur "la concertation dans les territoires" pour un "nouveau dialogue social" afin de surmonter la crise. Des précisions seront peut-être apportées dans son discours de politique générale. Jean Castex ne devrait toutefois pas le prononcer tout de suite, Emmanuel Macron ayant annoncé son intention de s'exprimer à l'occasion du 14 juillet.  

(1) Pour la nomination d'Edouard Philippe comme Premier ministre en 2017, nous avions également demandé aux syndicalistes de sa région ce qu'ils pensaient du maire du Havre. Voir notre article ici.

 

Le bilan d'Edouard Philippe

Nommé à Matignon dans la foulée de l'élection à la présidence d'Emmanuel Macron, Edouard Philippe, un énarque venu du parti Les Républicains et qui n'a jamais pris sa carte au parti présidentiel, a mis en oeuvre au pas de charge nombre de réformes annoncées par le fondateur de la République en Marche. Figurent dans ce bilan :

  • les ordonnances de 2017 réformant le code du travail dans le sens de la flexibilité. Ces ordonnances ont notamment instauré un barème des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, accordé une place accrue aux accords d'entreprise, imposé une fusion des institutions représentatives du personnel dans le comité social et économique (CSE) avec à la clé une baisse du nombre d'élus et de leurs heures de délégation, etc.;
  • une remise en cause de la gestion paritaire de certains organismes. Dans le cas de l'assurance chômage, l'Etat a fini par imposer aux partenaires sociaux, accusés d'être incapables de se mettre d'accord sur des mesures d'économies, sa propre réforme, avec une baisse potentielle de droits pour les assurés sociaux, une réforme dont on ignore toujours si elle sera ou non maintenue compte-tenu de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales;
  • une réforme importante la formation professionnelle dont l'orientation visait l'individualisation de l'accès à la formation, dans le souci de permettre un meilleure formation continue aux moins diplômés, une réforme contestée par une partie du monde patronal et syndical;
  • un index de l'égalité salariale entre hommes et femmes, un outil très critiqué par les organisations syndicales visant à réduire les différences de salaires inexpliquées entre les deux sexes; 
  • un début de réforme des retraites en vue d'une fusion de tous les régimes dans un nouveau système universel par points, un projet qui suscite l'hostilité d'une partie du monde syndical et au-delà (avocats par exemple). Voté grâce au 49.3 à l'Assemblée, le projet de loi sera-t-il ressuscité, modifié ou enterré ? Le président de la République a récemment dit qu'il n'abandonnerait pas cette réforme (lire notre article dans cette même édition);
  • des changements concernant l'épargne et la participation, notamment avec la loi Pacte qui a ouvert la voie à "la raison d'être" des entreprises mais est restée timide sur la question d'une meilleure représentation des salariés dans les conseils d'administration des entreprises, etc. 
  • une réforme de l'épargne retraite, etc.

Edouard Philippe, qui peut revendiquer une forte baisse du chômage (8,1% de la population active fin 2019), aura dû faire face à la révolte sociale des Gilets jaunes, plutôt gérée directement par Emmanuel Macron. Il aura également dû gérer la douche froide de la crise sanitaire provoquée par l'épidémie du Covid-19, l'Etat étant accusé d'avoir insuffisamment anticipé ce risque. Pour limiter les effets sociaux du confinement imposé au pays, le Premier ministre a recouru largement au soutien public via l'activité partielle. Son successeur devra assumer les effets de cette politique, notamment sur l'endettement public, mais aussi faire face aux nombreuses attentes sociales, notamment de la part des personnels du secteur médico-social, la conférence du Ségur de la santé étant prolongée cette semaine. Il devra aussi répondre aux fractures sociales liées à la persistance des discriminations et de l'inégalité entre hommes et femmes. 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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