L'association Les petits frères des Pauvres fête ses 70 ans avec une série de manifestations Ou comment une petite fraternité religieuse installée après la guerre dans le 11e arrondissement de Paris est devenue une grande association française et internationale, qui a mis sur le devant de la scène l'enjeu de l'isolement social des personnes âgées.
Concert à l'Olympia le 23 mai, vente aux enchères et concert classique à l'automne... l'association Les petits frères des Pauvres (LPFP) met les petits plats dans les grands pour fêter son 70e anniversaire. L'occasion de retracer avec Jean-François Serres, son délégué général depuis 2007, les grandes étapes de son histoire et les nouveaux défis pour cette organisation qui mobilise plus de 10 000 bénévoles et plus de 500 salariés pour accompagner chaque année plus de 36 000 personnes âgées.
tsa : L'histoire des petits frères, ça commence comment ?
Jean-François Serres : Après la guerre, Armand Marquiset, fils d'une grande famille bourgeoise, désire s'engager contre la grande pauvreté. Il est animé par un idéal chrétien très fort : le Christ s'incarne chez les plus pauvres. Autour de la paroisse Saint-Ambroise dans le 11e arrondissement, Armand Marquiset constitue en 1946 une communauté d'une trentaine de jeunes gens chrétiens qui combinent vie spirituelle et engagement auprès des plus pauvres.
tsa : Donc au départ, la cible n'est pas spécialement les personnes âgées...
J.-F. S. : Non, c'est en arpentant le 11e arrondissement que les volontaires vont découvrir l'extrême pauvreté d'une partie de la population âgée. Ces personnes vivent recluses dans leur appartement non chauffé, se nourrissent très peu. L'association décide par la force des choses de se spécialiser sur cette tranche d'âge avec l'objectif de privilégier le soutien affectif et les relations humaines. Le slogan est déjà "Des fleurs avant le pain". Sur ces bases se développe l'association dans les grandes villes et même à l'international.
tsa : A partir de quand l'association devient-elle laïque ?
J.-F. S. : Dans les années 65-68, l'association est secouée par une crise. Au sein de LPFP, deux courants existent : certains cadres sont devenus des spécialistes des politiques de gérontologie. Ils ne se retrouvent plus dans la dimension spirituelle très forte des fondateurs. En 1970, l'association devient totalement laïque, entraînant le départ d'Armand Marquiset et de ses proches. Dans ces années-là, l'association porte des innovations fortes en matière de politique vieillesse : elle lance les premiers portages de repas à domicile qui seront ensuite repris par les mairies ; elle se bagarre pour obtenir la fin des hospices et pour humaniser le logement des personnes âgées, etc. Mais l'association va connaître une nouvelle évolution dans les années 90.
tsa : Quelle est la situation des petits frères à cette époque ?
J.-F. S. : L'organisation qui compte environ 5 000 bénévoles est assez peu structurée. Dans les années 90, elle va être confrontée aux nouvelles précarités : vieux migrants, personnes vieillissantes détenues, personnes de plus de 50 ans à la rue, etc. Les petits frères des Pauvres vont donc faire évoluer leurs modes d'intervention en travaillant, par exemple, sur l'accompagnement vers le logement.
tsa : Qu'a changé le drame de la canicule en 2003 dans le fonctionnement de l'association ?
J.-F. S. : Personnellement, je venais juste d'arriver aux petits frères. Le décès de milliers des personnes âgées, en raison de leur solitude, a constitué un choc profond. Le mouvement s'est interrogé sur la façon d'être davantage en relation avec les personnes invisibles, celles qui échappent aux radars. L'objectif a donc été de renforcer la présence de nos équipes dans ces lieux que sont les quartiers de politique de la ville, les zones rurales et de travailler davantage sur des diagnostics de territoire pour aller au-devant de ces "invisibles".
tsa: Aujourd'hui, l'association compte plus de 10 000 bénévoles et plus de 500 salariés. Comment éviter les phénomènes de bureaucratisation propres aux grandes organisations ?
J.-F. S. : Cette question a été au coeur de notre réflexion collective qui a débouché en 2005 sur la définition du premier projet associatif des petits frères. Nous avons demandé à tous les bénévoles quels devaient être nos priorités, sur quoi nous devions nous engager. L'association s'est profondément réorganisée autour d'équipes d'action territoriale plus resserrées (50 bénévoles maximum) fonctionnant de façon démocratique. Chaque équipe définit ses priorités, son fonctionnement, élit ses responsables. Les permanents régionaux sont là pour les épauler, pas pour décider à leur place. Tout cela correspond à une évolution de la culture de l'engagement : les bénévoles ne viennent plus chez nous pour être petits frères des Pauvres, mais pour être utiles à leur quartier et se retrouver dans un collectif sympa.
tsa : Certains observateurs constatent que les pouvoirs publics ont privilégié l'augmentation du niveau de vie des personnes âgées, au détriment des jeunes générations. Qu'en pensez-vous ?
J.-F. S. : Effectivement, les politiques vieillesse ont sorti les personnes âgées de la pauvreté dans laquelle elles étaient souvent plongées. Pour autant, même si le niveau de vie moyen s'est amélioré, il reste un million de personnes âgées qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. De plus, toute une génération qui a connu des périodes de chômage va arriver à la retraite avec des niveaux de pension moins élevés. La période dorée des retraités est derrière nous.
tsa : Pour finir, quel regard portez-vous sur la loi Adaptation de la société au vieillissement (ASV) qui se met en place ?
J.-F. S. : Pour la première fois, la lutte contre l'isolement social est inscrite dans une loi de la République et le lien avec la prévention de la perte d'autonomie est reconnu. Tout cela va dans le sens de la démarche Monalisa (1) lancée depuis deux ans qui vise à mettre tous les intervenants (associations, caisses de retraite, collectivités locales, etc.) autour de la table pour s'engager contre l'isolement social. Déjà 200 équipes citoyennes ont été labellisées Monalisa : la plupart existaient déjà, mais sont devenues plus visibles et connectées avec les autres partenaires. Une vingtaine d'équipes sont déjà nées directement de la dynamique Monalisa.
(1) Jean-François Serres est le référent national de la mobilisation nationale contre l'isolement des personnes âgées.