Figure de la French Tech, Jean-Marc Potdevin s’est engagé dans la création d’Entourage, un réseau social collaboratif conçu pour aider les personnes à la rue. L’accueil partagé des acteurs de la veille sociale, relayé dans notre article du 27 mai sur la géolocalisation des sans-abri, l’a conduit à se justifier. TSA lui donne l’occasion de préciser ses intentions.
Vous avez aussitôt réagi à l’article de TSA. Vous trouvez injustifiée la méfiance de certains acteurs de la rue vis-à-vis d’un réseau social spécialisé dans les sans-abri ?
Je suis un spécialiste des nouvelles technologies et je comprends très bien que, n’ayant pas le bon vocabulaire, ne venant pas du secteur social, il y ait une méfiance. Mais j’aimerais qu’on juge sur les faits. Depuis novembre 2014 où a été lancé Entourage, j’ai passé énormément de temps à consulter. J’ai d’abord travaillé avec une coordinatrice des maraudes à Paris, qui m’a beaucoup encouragé sur ce projet. J’ai parlé à de nombreuses associations. J’ai monté des groupes de travail avec des personnes de la rue. Je me suis entouré de personnalités du secteur qui pouvaient m’expliquer si les intuitions de départ étaient correctes. Ensemble, nous avons effectué en permanence des choix dans la conception de l’application. À chaque fois que s’est posé un conflit entre une fonctionnalité et les règles éthiques, nous avons systématiquement choisi le respect de la règle éthique. Du coup, ça me touche d’être amalgamé à d’autres types d’initiatives peut-être plus superficielles.
Il reste que votre application possède une partie "grand public". Or, aider les personnes à la rue nécessite un accompagnement patient vers le droit commun, plus que de la compassion.
La difficulté d’Entourage, c’est qu’il y a en effet deux fonctionnalités distinctes, avec deux propositions de valeurs bien différentes. L’une pour le grand public. L’autre pour les maraudes associatives, plutôt orientée d’ailleurs vers le secteur bénévole que vers la veille sociale professionnelle, ce qui constitue probablement une autre source d’incompréhension.
Comment définir alors votre projet ?
Entourage vise à compenser l’isolement des personnes à la rue. Ce n’est que ça. Il s’agit de recapitaliser ces gens d’un réseau de relations qu’ils n’ont pas ou plus. Tous ceux qui s’en sont sortis nous disent l’importance de ce réseau relationnel informel, qui représente le coup de pouce par-dessus les processus d’accompagnement éventuellement engagés par les travailleurs sociaux. Cette mission passe forcément par le grand public. Mais dans la mesure où le manque de savoir-faire et la méconnaissance du tissu associatif représentant un frein pour rentrer en relation avec un sans-abri, nous faisons trois promesses au riverain possesseur de l’application. D’une part, le connecter à un réseau susceptible de s’impliquer dans une situation. D’autre part, l’informer des dispositifs existant sur le quartier. Enfin, permettre la mise en relation avec des professionnels ou des bénévoles qui pourront prendre le relais ou répondre à des questions. D’où la nécessité d’embarquer les acteurs des maraudes dans le réseau Entourage afin d’organiser ces ponts avec le grand public.
Que proposez-vous aux associations ?
Il a fallu trouver une valeur ajoutée pour les convaincre. En réfléchissant avec leurs représentants, il est apparu qu’on pouvait imaginer des outils assez simples via un smartphone. Comme la coordination des acteurs en temps réel grâce à la géolocalisation, ce qui est très utile pour les maraudes bénévoles du soir. Ou encore la possibilité de faire des comptes-rendus de maraudes dans un fichier audio. Le compte-rendu est envoyé sur un serveur, puis mis en forme dans un e-mail retourné à la fin de la maraude, avant d’être effacé. Il est ensuite de la responsabilité de l’association de stocker ou non les comptes-rendus et de déclarer son fichier à la Cnil. Mais, en aucun cas, les personnes ne sont fichées. De même, nous sommes opposés à la géolocalisation dans la partie grand-public en raison de la mise en danger potentielle des personnes à la rue.
Aussi généreuse soit la démarche, comment voyez-vous ses chances de réussite ?
Nous sommes en train de tester l’application grand-public auprès d’un panel d’utilisateurs, et une quarantaine d’associations utilisent déjà Entourage pro. Très franchement, j’ignore quel sera l’avenir. Nous expérimentons. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler avec des acteurs sociaux pour comprendre les opportunités qui se présentent afin de faire bouger les lignes.
J’apporte quant à moi ce réseau de la French Tech, de gens qui pendant 20 ans ont innové dans la e-économie. Jamais cette façon de réfléchir aux problématiques n’a encore touché le secteur social, simplement parce qu’il n’y a pas d’argent à faire.
Quel peut être le modèle économique d’Entourage ?
Je réponds généralement à cette question par une boutade : soit ça marche, et nous trouverons, soit ça ne marche pas, et nous disparaîtrons, aussi il ne sert à rien de se poser la question du modèle économique !
Plus au fond, nous sommes montés en association. Après les investissements lourds de développement du réseau, qui ont été supportés par des fondations d’entreprises, nous entrevoyons trois sources de revenus pour maintenir la plateforme. Faire un appel aux dons auprès des utilisateurs grand public. Proposer des opérations de sensibilisation aux grandes entreprises, comme nous venons de le faire avec succès auprès d’un grand assureur national. Troisième source, demander une participation aux associations qui en ont les moyens, c’est-à-dire celles qui reçoivent des subventions pour leurs maraudes. Pour l’heure, les acteurs réagissent plutôt bien à cette idée.
Un investissement lourd
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En 2015, le développement d’Entourage a représenté un investissement de l’ordre de 100 000 euros, supporté par trois fondations. Une trentaine de personnes sont impliquées, dont trois salariées. L’association porteuse reçoit en outre une aide technique et logistique au titre du mécénat d’entreprise.
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Retrouvez nos précédents articles sur le défi des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communation) dans le travail social :
Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").