Juges et accords collectifs : les partenaires sociaux revendiquent leur autonomie

Juges et accords collectifs : les partenaires sociaux revendiquent leur autonomie

20.01.2020

Représentants du personnel

Vendredi 17 janvier, Laurent Berger et Hubert Mongon étaient les invités d’une table ronde organisée par la Revue de droit social autour du thème "Juges et accords collectifs de travail". Ils ont dû répondre à cette question : "Qu’attendent les partenaires sociaux du juge ?". Compte-rendu.

C’est dans le cadre magnifique du collège des Bernardins à Paris que les éditions Dalloz et la Revue de droit social ont accueilli leur grand débat de l’année : "Juges et accords collectifs de travail".

Dans son introduction, Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris I – Sorbonne, a rappelé que les lois Auroux de 1982 ont constitué un véritable tremblement de terre dans le paysage juridique français avec la naissance de la négociation annuelle obligatoire. A compter de ce pivot a émergé la question de la représentativité des syndicats, concrétisée par la réforme de la représentativité de 2008 : la légitimité des acteurs ne dépendait plus dès lors du nombre d’adhérents mais des résultats aux élections professionnelles.  "Mais aujourd’hui, il manque le mode d’emploi de cette nouvelle donne, a reconnu le professeur. Est-il raisonnable de confier aux partenaires sociaux la possibilité de créer des normes ?"

La question illustre bien l’inconfort résultant des ordonnances de 2017 et qui met au premier plan la place des partenaires sociaux. Pour tenter d’y répondre, Laurent Berger (CFDT) et Hubert Mongon (UIMM) étaient réunis malgré leurs agendas chargés. Leur débat a passé en revue les considérations fondamentales qui balisent la négociation collective : principe de loyauté, confiance entre patronat et organisations syndicales, liberté contractuelle et rapports de force.

Leur réflexion s’est orientée autour de l’axe suivant : maintenant que les lois et ordonnances récentes ont réorganisé la place des accords collectifs et des partenaires sociaux dans le droit social, qu’attendent les partenaires sociaux du juge qui statue sur ces accords ? Si Hubert Mongon a mis l’accent sur la responsabilité des partenaires sociaux, Laurent Berger a pour sa part insisté sur la nécessaire reconnaissance de leur légitimité. Tous deux ont ainsi revendiqué leur autonomie et retracé à leur manière la place prépondérante des partenaires sociaux dans la négociation collective.

Pour Laurent Berger, la légitimité syndicale découle de la confiance des salariés

Pour le leader de la CFDT, premier syndicat de France aujourd’hui, si la légitimité des acteurs sociaux découle de leur audience aux élections professionnelles, elle reste aussi liée à ce qu’est, en tant que tel, un acteur social, à savoir un syndicaliste dans l’entreprise qui a gagné la confiance des travailleurs, connaît les conditions de travail et la vie de la structure. Laurent Berger insiste sur l’idée qu’il ne s’agit pas là d’une question théorique, mais au contraire de quelque chose de très pratique : "A partir du moment où certaines conditions sont respectées, notamment le partage des informations nécessaires à la négociation, nous avons la légitimité qui découle de notre connaissance du secteur et de la confiance de nos collègues".  Mais les syndicats ne sont pas seuls, et Laurent Berger conçoit la légitimité comme partagée avec le juge.

Le juge doit reconnaître la légitimité des acteurs. Il est quant à lui légitime pour trancher les litiges. 

 

Les syndicats sont-ils pour autant seuls au mode ? "Non, répond Laurent Berger, le juge doit aussi agir, mais il faut sortir de la question binaire consistant à se demander qui, du juge ou des partenaires sociaux, a la légitimité suprême. Le juge doit reconnaître la légitimité des acteurs. Il est quant à lui légitime pour trancher les litiges. C’est pourquoi nous avons besoin de beaucoup d’échanges [avec les juges] comme cette matinée nous le permet, et de sortir de la logique hâtive s’interrogeant sur l’incapacité des partenaires sociaux à maîtriser les aléas juridiques." De plus, pour Laurent Berger, le rôle du juge est primordial en l’absence d’accord car le rapport de force prend alors toute la place dans l’entreprise : "S’il n’existe pas de négociation parce qu’il n’y a pas d’organisations syndicales, alors le juge doit vraiment regarder de près ce qui se passe car les choses sont fragilisées".

Le partage des rôles entre le juge et les partenaires sociaux

Après ce salutaire rappel invoquant un dialogue social qui ne peut vivre sans reconnaissance de la légitimité des organisations syndicales, Hubert Mongon, délégué général de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et récent négociateur côté Medef sur l'assurance chômage, s’est penché à son tour sur le rôle du juge dans son contrôle des accords collectifs.

 Les partenaires sociaux ont la charge de produire des normes 

 

 Dans son analyse, si le rôle du juge s’est étoffé, cela ne retire rien à l’énorme responsabilité des partenaires sociaux dans le succès ou l’échec des négociations. A ses yeux, le rôle du juge s’est à la fois modifié et amplifié depuis les ordonnances Travail de 2017. "Son premier rôle est de faire respecter la légalité et de permettre l’application des accords collectifs. D’un autre côté, les partenaires sociaux ont la charge de produire des normes pour une population de salariés qui peut être très importante."

 Dans la métallurgie, il nous a fallu un an de débats, mais les organisations syndicales (la CGT était majoritaire) étaient en phase avec nous. 

 

 

Les partenaires sociaux négociant des normes qui peuvent concerner des milliers de salariés., Hubert Mongon souhaite que cette responsabilité soit reconnue par le juge quand il exerce son rôle d’arbitre voire de censeur. "Aujourd’hui, la métallurgie, c’est 2 millions de salariés. En 2013, nous avons pris la décision de remettre à plat 7 000 pages de textes et 50 ans d’acquis sociaux pour créer le projet social du XXIe siècle dans cette industrie. C’était une zone de risque juridique majeur. Il nous a fallu un an de débats, mais les organisations syndicales (la CGT était majoritaire) étaient en phase avec nous. Nous espérons aboutir à un accord autonome à la fin de l’été 2020".

Cette possibilité de succès dans les négociations relatives à la métallurgie semble rendre Hubert Mongon soucieux au regard des sanctions en cas de défaut de loyauté.

Le principe de loyauté très discuté

Quand le professeur Ray lui demande sa position sur le principe de loyauté, Hubert Mongon s’anime : "La sanction du principe de loyauté dans les négociations, c’est la nullité de l’accord, et c’est un tsunami absolu ! Rendez-vous compte des conséquences : l’inapplicabilité des dispositions prévues, la rétroactivité, le retour aux dispositions antérieures, la restitution des sommes perçues ! Imaginez la difficulté de l’intervention du juge dans un tel contexte !"

Dans les formations CFDT, la loyauté est placée en numéro 1 

 

Plus serein quant à ces principes, Laurent Berger voit dans la loyauté le fruit d’une culture commune de ce que doit être la négociation collective : la volonté d’avancer. "Dans les formations CFDT, la loyauté est placée en numéro 1 comme l’engagement à pousser ses propositions et disposer de toutes les informations nécessaires. Pour cela, il faut aussi rééquilibrer le rapport de force". Et pour rétablir l’équilibre entre patronat et syndicats, la base de données économiques et sociale (BDES) est un élément majeur pour le leader de la CFDT. Néanmoins, pour renforcer les chances que le dialogue social aboutisse, Laurent Berger et Hubert Mongon s’accordent sur un point : le préambule est fondamental.

Le préambule, vecteur d’autonomie des partenaires sociaux

Pour les deux leaders syndicaux, le travail sur le préambule des accords est essentiel. Il facilite la négociation puis la signature de l’accord collectif, et devient par là même un facteur d’autonomie des partenaires sociaux qui parviennent à s’entendre sur un texte. Pour mémoire, la présence d’un préambule aux accords collectifs résulte de la loi de 2016 (n° 2016-1088). Le préambule présente de manière succincte les objectifs et le contenu de l’accord. Il est donc exigé mais la loi ne prévoit pas de sanctions s’il ne figure pas dans l’accord final.

Selon Laurent Berger, le préambule est fondamental pour le suivi de l’accord et ceux qui sont chargés de l’appliquer, à commencer par le juge. "Il éclaire les objectifs du texte et en favorise l’interprétation". Une approche approuvé par Hubert Mongon : "Un préambule est pour nous indispensable ! Il assainit et clarifie les sujets. Quand on n’en fait pas, on réalise plus tard que nos pistes n’étaient pas bonnes et on est obligés d’y retourner !"

On peut regretter que cette table ronde n'ait pas donné la parole à un juge pour équilibrer le débat : non content de devoir interpréter les conventions et accords collectifs, le juge doit parfois se prononcer sur des textes manquant de clarté. La fatigue des négociateurs, les concessions à répétition nécessaires au compromis et les rédactions successives conduisent parfois à des textes sybillins. 

 

Isabelle Taraud : « La loyauté est liée au contrôle des motifs »
Pour l’avocate au barreau du Val-de-Marne qui est intervenue en fin de colloque, il existe un lien entre le principe de loyauté dans les négociations et le contrôle des motifs de l’accord par le juge. Ce lien s’exprime dans le contrôle par le juge des accords de performance collective (APC), ces accords qui peuvent prévoir des clauses contraires aux contrats de travail des salariés. "Les APC sont encadrés par des motifs répondant à la nécessité du fonctionnement de l’entreprise et à celle de préserver l’emploi. Or, il appartient aux partenaires sociaux de déterminer les motifs lors de la négociation. De ce fait, l’employeur doit les éclairer sur ces motifs, en leur donnant les informations essentielles et donc en respectant le principe de loyauté. Et comme les employeurs ont tendance à fournir des informations tronquées, j’attends de belles décisions des juges sur ces sujets !"

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Marie-Aude Grimont
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