L'activité syndicale expose toujours les salariés à des risques réels dans leur entreprise, ont constaté des chercheurs lors d'un séminaire de la Dares. Alors que le gouvernement souhaite accroître le champ de la négociation collective d'entreprise, la persistance de ces discriminations pose la question de la loyauté d'un dialogue social décentralisé.
"La discrimination anti-syndicale se joue au niveau de l'entreprise. Si l'on veut renforcer la négociation d'entreprise, alors il va falloir s'assurer que le dialogue social est loyal et que le droit syndical est respecté. Or il y a un décalage très grand entre le droit théorique et le vécu quotidien des délégués syndicaux ". En quelques mots, Cécile Maire, la secrétaire générale de la CFDT métallurgie de Normandie, a dit tout l'intérêt que présente l'étude du phénomène de la discrimination en France compte-tenu des projets du gouvernement en matière de dialogue social. Elle en a cité elle-même de nombreux exemples, qui relèvent de la discrimination mais aussi du délit d'entrave, constatés dans les syndicats dont elle appuie l'implantation, l'action ou le développement. Certes, l'attitude anti-syndicale n'est pas générale mais elle est tout de même fréquente dans les entreprises de métallurgie, a indiqué celle qui fut, avant de rejoindre la CFDT comme salariée, ingénieur chez Philips et qui a connu tous les mandats d'élus du personnel.

Et Cécile Maire de citer ces comportements de "patrons décomplexés". Ici, c'est un employeur qui dit sans ambages : "Je suis chez moi, c'est moi qui fixe les règles". Là, c'est un autre qui affiche des tableaux sur l'absentéisme où sont inclues...les heures de délégation. Ailleurs, c'est un chef d'entreprise qui menace de supprimer une prime si les salariés se syndiquent. Là, c'est une entreprise qui dissuade les élus de prendre leurs heures de délégation. Ici encore, c'est l'employeur, "sous prétexte qu'il paie la formation des membres du CHSCT, qui veut choisir l'organisme de formation, et cet organisme c'est l'UIMM". Plus loin, c'est un employeur qui, confronté à la volonté du CE de faire jouer son droit à faire expertiser les comptes de l'entreprise, envoie un courrier aux salariés leur promettant l'équivalent du coût de l'expertise en prime (300€ par personne) s'ils arrivent à dissuader les élus de missionner l'expert.
A ces exemples s'ajoute aussi, parfois, du harcèlement moral pour faire plier un secrétaire de CE ou un DS jugé trop remuant. Pas simple de trouver la parade à ces comportements. "On s'interroge toujours sur la bonne façon de réagir : faut-il débarquer en force dans l'entreprise pour soutenir l'élu, au risque de renforcer les idées reçues de l'employeur sur les syndicats, faut-il tenter une approche différente ? Il m'arrive de demander un rendez-vous à l'employeur pour voir, en tête à tête, s'il ne s'agit que de méconnaissance de sa part ou d'une intention malfaisante délibérée", explique la syndicaliste. Qui avoue n'avoir que des moyens limités pour faire face à ces pratiques. L'un des moyens de protection les plus efficaces, selon elle, reste encore la présence d'un fort collectif d'élus du personnel ou, encore mieux, d'un collectif de travail solidaire, afin d'éviter l'isolement du représentant du personnel qui fait l'objet de brimades.
Il y a bien sûr la voie du procès pour les salariés discriminés parce que représentants du personnel. Mais combien l'empruntent ? La voie pénale est périlleuse et peu pratiquée : la Cour de cassation n'aurait traité que 2 affaires de discrimination syndicale sur le plan pénal en 3 ans.
Frédéric Guiomard et Inès Meftah, deux juristes de l'université de Nanterre, citent cet exemple montrant la difficulté de faire condamner pénalement un employeur pour discrimination syndicale : "La Haute juridiction a cassé une décision par laquelle les juges du fond avaient condamné l'employeur pour discrimination syndicale d'un salarié qui avait, sans explication possible, subi une série de désavantages (privation d'accès au réseau informatique (..), changement de fonctions). Pour les juges du fond, le lien probable avec les fonctions syndicales suffisait à la constitution du délit. La Cour estime qu'ils ont renversé la charge de la preuve : il leur appartenait de rechercher l'existence d'une relation de causalité entre les mesures jugées discriminatoires et l'appartenance ou l'activité syndicale de la partie poursuivante". Toutefois, la Cour de cassation a admis en 2014 que la preuve d'une discrimination peut être faite grâce à la méthode des panels. |
Quant à l'action civile, elle n'est souvent utilisée que par des représentants du personnel proches de la retraite, qui ont donc moins à perdre à réclamer réparation du préjudice subi. Frédéric Guiomard et Inès Meftah ont d'ailleurs déploré l'absence de statistiques précises du gouvernement sur les affaires de discrimination (*). "Selon nos estimations, disent-ils, les contentieux pour discrimination syndicale représentent 24% des actions en discrimination, contre 6% seulement pour l'égalité femme-homme. Mais le nombre de ces contentieux est très limité et concerne surtout, dans 80% des cas, des demandes de réparation individuelles".
Les deux juristes se sont par ailleurs étonnés que les plaignants en matière de discrimination syndicale aient autant recours à la méthode des panels, qui permet de faire émerger lors d'un contentieux des discriminations de carrière. "On utilise ici le raisonnement de l'égalité de traitement dans une affaire de discrimination, si bien qu'on en arrive à débattre davantage de la constitution des panels que des faits de discrimination", analyse Inès Meftah. On pourrait toutefois objecter à la juriste que cette méthode, désormais acceptée par les juges, a fait ses preuves, comme l'a relaté Nicolas Hatzfeld, et qu'elle contribue à dissuader de futures pratiques discriminatoires dans l'entreprise condamnée (**). Mais il n'est pas faux de soutenir qu'elle focalise l'argumentation sur la carrière et le salaire pour garantir le respect des droits individuels, "par opposition à la garantie de prérogatives d'action collective", tout comme a tendance à le faire une approche au moyen du harcèlement moral.

"Le motif syndical ne figure plus alors qu'en arrière-plan, sans que les juridictions parviennent véritablement à opérer un lien avec l'exercice des fonctions représentatives ou de l'activité représentatives ou de l'activité militante", écrivent les deux juristes dans la revue Travail et emploi. Lors du séminaire de la Dares, Frédéric Guiomard s'est également montré sceptique sur les effets de la nouvelle action de groupe : "Cette action, très compliquée à mettre en oeuvre, ne va rien résoudre".
Car les discriminations syndicales restent vivaces en France. Deux chercheurs en attestent. L'économiste Thomas Breda, que nous avons déjà interviewé dans ces colonnes (lire ici et ici), soutient, à partir de l'enquête Réponse de la Dares (***), que les délégués syndicaux sont payés 10% de moins que leurs collègues, à âge, sexe, formation et ancienneté comparable, du fait d'un taux de promotion plus faible, les salariés syndiqués eux mêmes ayant un niveau de salaire inférieur de 3% à 4% à celui des autres salariés. Les délégués syndicaux CGT subissent eux un écart encore plus grand (20%).
En revanche, les représentants du personnel non syndiqués ne paraissent pas pénalisés sur le plan salarial : ils paraissent au contraire être plus souvent promus que les salariés ordinaires. L'économiste voit dans ces résultats la conséquence d'un calcul rationnel de la part de l'employeur : pénaliser la syndicalisation des salariés et des élus lui permettrait de décourager l'action syndicale et revendicative et donc d'éviter de subir des hausses du coût du travail du fait des négociations.

Cette hypothèse, le sociologue Etienne Penissat la valide à sa façon. A partir des données de l'enquête Réponse de la Dares, il montre que lorsqu'on demande aux élus du personnel si leur mandat a freiné leur carrière, 35% des délégués syndicaux répondent par l'affirmative, contre 4% seulement des élus non syndiqués. "Plus que le fait d'avoir un mandat, c'est le fait d'être syndiqué qui nourrit un sentiment de discrimination", insiste le chercheur. Curieusement, le sentiment que l'engagement syndical est un frein pour sa carrière augmente avec la taille de l'entreprise (voir le tableau ci-dessous). Le chercheur l'explique en mettant en avant que ce sont les grandes entreprises qui permettent des carrières et des évolutions, que la comparaison avec le sort des autres salariés y est donc plus facile ou saisissante, mais aussi parce que c'est dans les grands établissements, "avec l'accroissement des dispositifs de négociation", que les conflits collectifs sont plus nombreux que dans les petits établissements.
Cherchant à vérifier ces données par une enquête de terrain, Etienne Penissat constate que les élus du personnel interrogés n'évoquent pas seulement des situations de discrimination syndicale prohibées par la loi mais aussi "le fait de se sentir entravés dans l'exercice de leur mandat et de leurs droits syndicaux par le maintien de stratégies managériales de domestication de l'action syndicale". C'est particulièrement vrai, ici encore, pour les délégués syndicaux impliqués dans des négociations parfois difficiles. Le chercheur cite l'exemple d'une entreprise où le secrétaire du CE, un agent de maîtrise syndiqué CFDT, admet certes que le dialogue social est de façade mais, dit-il, lui même ne rencontre pas de problème particulier, d'autant qu'il concentre son action sur la gestion des oeuvres sociales. En revanche, le DS CGT, ouvrier de la même société, qui a été impliqué dans une grève à l'occasion des négociations salariales, fait part des "représailles" de la direction à son égard avec par exemple la perte d'une augmentation promise.
(*) Les contentieux en matière de discrimination syndicale se limiteraient à 660 décisions prud'homales par an, à rapporter aux 767 000 représentants élus ou désignés. Le nombre d'affaires en appel tournerait autour de 400 par an.
(**) Ce chercheur a retracé l'initiative de syndicalistes CGT de Peugeot à la fin des années 1990 qui ont engagé un combat judiciaire audacieux pour faire condamner la discrimination syndicale dont ils étaient victimes. Ils sont parvenus, avec l'aide de juriste et en imaginant des outils spécifiques (méthodes des panels), à démontrer le caractère systémique de la discrimination et de son lien avec leurs attaches syndicales et obtenu des décisions favorables mais aussi des accords négociés avec Peugeot pour rattraper ces injustices (voir aussi notre article sur François Clerc, un des ouvriers qui a lancé ce combat et formalisé la méthode des panels). Une lutte exemplaire à double titre, peut-on lire dans la présentation de la revue Travail et emploi rédigée par Thomas Amossé et Jean-Michel Denis : "D'une part, parce qu'elle a ouvert la voie à l'extension du combat judiciaire et à un certain développement des contentieux à partir de ce motif. D'autre part, parce qu'elle amorce un changement d'ordre plus qualitatif de l'argumentaire qui en constitue le fondement, dans laquelle la logique individuelle s'efface en partie derrière la logique individuelle".
(***) Pilotée par la Dares, Reponse est une enquête statistique réalisée tous les 6 ans, depuis 1993, conduite auprès de 4 000 établissements représentatifs du secteur privé et de 20 000 salariés. La nouvelle enquête se déroule de janvier à juillet 2017.
Travail et emploi : deux numéros sur la discrimination |
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Organisé par la Dares (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) dans ses locaux le mercredi 7 juin, le séminaire a mis en lumière deux numéros de Travail et emploi, la revue trimestrielle de recherches en sciences sociales publiée par la Dares. Le premier, consacré à la discrimination syndicale en France, rassemble les contributions de chercheurs de différentes sciences sociales (économie, droit sociologie, sciences politiques, histoire). Le deuxième dresse un panorama international de la discrimination syndicale. ►Pour lire l'introduction du numéro "La discrimination syndicale en question : la situation en France" ►Pour lire l'introduction du numéro "La discrimination syndicale en question : un panorama international" |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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