L'Ile-de-France, miroir grossissant des inégalités

L'Ile-de-France, miroir grossissant des inégalités

12.04.2016

Action sociale

Dans un document très complet et implacable, le Secours catholique montre que la région francilienne, pourtant riche, cumule et aggrave les inégalités françaises en matière de niveau de revenu, d'accès au logement, d'éducation et d'état de santé. La Seine-Saint-Denis est en queue de tous les classements.

"Sans changement radical dans la politique d'aménagement de notre territoire francilien, les actions de réparation menées par l'action sociale publique et associative seront de plus en plus insuffisantes à pallier les déséquilibres qui ne cessent de s'accroître". Dans la conclusion de son document sur "la fracture territoriale", le Secours catholique pose la bonne question : si les clivages s'accentuent au lieu de se réduire entre territoires favorisés et territoires pauvres, l'action sociale ne risque-t-elle pas d'être un pansement sur une jambe de bois ?

La plus riche et la plus inégalitaire

Page après page, les constats qu'établit méthodiquement l'organisation de solidarité font froid dans le dos. Malgré la politique de la ville, les écarts ont tendance à se creuser encore. En termes de revenu, l'Ile-de-France (IDF) est la région où le niveau de vie médian est le plus élevé et également celle où les écarts de richesse sont les plus importants. Entre les 10 % de ménages les plus riches et les 10 % de ménages les plus pauvres, l'écart est de 1 à 5 (en Rhône-Alpes, la seconde région la plus inégalitaire, ce rapport est de 3,5).

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés
La Seine-Saint-Denis décroche

C'est en Ile-de-France que la proportion de ménages pauvres est la plus importante. En 2012, 15 % de la population (14,3 % à l'échelle nationale) vit avec moins de 990 € par mois par unité de consommation. Mais cette moyenne régionale cache de très fortes disparités. La part de pauvres est inférieure à 9 % dans les Yvelines alors qu'elle dépasse largement les 25 % en Seine-Saint-Denis (93). Au fil des années, l'écart, au lieu de se réduire, s'aggrave. "Le revenu médian de Seine-Saint-Denis qui se situait à 72 % du revenu médian de la région en 2002 n'est plus qu'à 68 % en 2012", souligne le document. Dans le même temps, l'évolution a été inverse pour les Hauts-de-Seine, passés de 113 % à 118 % du revenu médian.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement
Les écarts se creusent entre communes

Et là encore, il ne s'agit que d'une moyenne départementale. Au sein même de chaque entité, les écarts se creusent également. Toujours dans le 93, le revenu des 10 % des gens les plus pauvres habitant dans les 10 communes les plus modestes correspondait à 18 % du revenu médian du département en 2012 contre 22 % dix ans plus tôt. Donc les communes les plus en difficulté sont aussi celles qui doivent affronter des problèmes de pauvreté les plus massifs.

Tous les indicateurs de pauvreté (allocataires RSA, chômeurs, familles monoparentales) sont à l'unisson. Sur le premier point, dans les dix communes les plus pauvres de chaque département, la part d'allocataires a augmenté de 5 à 6 points entre 2009 et 2014 quand la progression régionale s'est limitée à 3 points. Les 10 communes les plus pauvres du 93 comptent un tiers des allocataires CAF au RSA (ce qui explique la mobilisation du département pour la recentralisation).

Pénurie de logements...

Le Secours catholique fait un lien entre cette situation et la pénurie de logements. Sur une longue période (1998 à 2012), il s'est construit chaque année 3,4 logements pour 1 000 habitants (contre 5,6 au niveau national). Cette rareté a été un facteur de renchérissement des loyers et donc de paupérisation des classes populaires. Si on met de côté la faible volonté de certains élus, le coût du foncier très élevé dans les communes résidentielles complique la construction des logements sociaux. Leur concentration dans les territoires pauvres est patente. Dans les 10 communes les plus pauvres des départements franciliens, la proportion tourne autour de 40 % alors que la moyenne départementale s'échelonne entre 35 % (Seine-Saint-Denis) et 18 % (Seine-et-Marne).

... et peu adaptés à la réalité des demandeurs

Le document reprend à son compte les conclusions d'un rapport de la Cour des comptes qui, en 2014, montrait que le type de logements sociaux construit ne correspond pas aux besoins des familles les plus pauvres. "Les logements très sociaux (PLAI) ne représentent que 25 % des logements financés en IDF alors que 70 % des demandeurs y sont éligibles", estimaient alors les magistrats. On ne prend pas forcément le chemin de cette réorientation : le conseil régional vient, en effet, de suspendre les aides au logement social dans les quartiers populaires sans pour autant inciter à un rééquilibrage entre les territoires.

Inégalités sanitaires et éducatives

Les quartiers les plus pauvres cumulent également d'autres difficultés, par exemple sur le plan de la santé. Le taux de mortalité infantile monte ainsi à 4,8 pour 1000 naissances contre 3,2 pour mille au niveau national. En termes d'espérance de vie, deux années séparent les habitants du 93 et ceux des Hauts-de-Seine, pourtant distants de quelques dizaines de kilomètres.

Le rapport montre également que les territoires les plus pauvres sont aussi ceux où le taux de scolarisation des enfants à deux ans - qui permet de rattraper en partie les retards de langage - est le plus faible. A la rentrée 2014-2015, 2,3 % de cette tranche d'âge était à l'école dans le 93 contre 5,5 % dans les Yvelines. L'Etat est donc loin d'être exemplaire en matière de lutte contre les inégalités territoriales, même s'il a tendance à renvoyer la responsabilité aux élus locaux.

Quid de notre idéal d'égalité et de fraternité ?

Le Secours catholique interroge l'ensemble de la société sur une responsabilité collective dans cette situation à bien des égards explosive : "Avons-nous bien pris la mesure du coût humain et financier déjà engendré et à venir par notre refus de prendre au sérieux notre idéal d'égalité et de fraternité ?" Le soulèvement des quartiers populaires en 2005 aurait-il déjà été oublié ?

Noël Bouttier
Vous aimerez aussi

Nos engagements