La CGT lance une action de groupe contre les inégalités F/H à la Caisse d'Epargne

La CGT lance une action de groupe contre les inégalités F/H à la Caisse d'Epargne

05.06.2019

Représentants du personnel

Appuyée par un collectif d'avocats, la CGT tente une action de groupe pour faire cesser les inégalités salariales entre femmes et hommes au sein de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France, du groupe BPCE. Alors que la banque a obtenu un bon score à l'index de l'égalité F/H, le syndicat soutient que l'entreprise ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser un écart salarial important entre les deux sexes.

C'est la troisième action de groupe lancée par la CGT, après celle concernant les discriminations syndicales chez Safran et celle sur les inégalités salariales F/H au sein de la ville de Lyon (lire notre encadré). "Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous lançons ces procédures, mais bien pour faire bouger les choses face à l'incurie du gouvernement et au blocage du patronat", attaque Sophie Binet, de la direction confédérale de la CGT. Cette fois, le syndicat de Montreuil, appuyé par un collectif d'avocats spécialisés dans la lutte contre les discriminations, vise la Caisse d'Epargne d'Ile-de-France (*).

La banque a reçu par voie d'huissier, dans la matinée du mardi 4 juin, un courrier de la CGT la mettant en demeure de faire cesser les discriminations dont sont victimes, selon le syndicat, les femmes dans l'entreprise. La CGT appuie pour l'instant sa demande sur la base de 8 cas précis.

6 mois pour agir ou négocier

Selon la procédure créée par la loi Justice du 18 novembre 2016 qui permet à un syndicat d'agir au nom de plusieurs personnes placées dans une position similaire et subissant un dommage causé par un manquement de même nature, l'entreprise doit informer dans un délai d'un mois les représentants du personnel (CSE et syndicats) de cette démarche. Ensuite, si l'entreprise n'a pas remédié aux manquements invoqués ou si elle n'a pas négocié avec le syndicat des dipositions pour corriger la situation, la CGT pourra engager devant le TGI une assignation afin de véritablement lancer l'action de groupe.

Le juge pourra alors décider ou non d'enjoindre l'employeur de faire cesser la discrimination, et il devra aussi donner un délai afin de permettre aux personnes répondant aux critères de se rattacher à l'action pour obtenir répartion de leur préjudice. "L'action de groupe a été créée pour apporter une réponse collective et structurelle à un problème collectif et structurel. C'est une action de masse dont l'objectif est de faire en sorte qu'il ne soit plus rentable pour une entreprise de discriminer", souligne l'avocate Savine Bernard.

Les femmes reçoivent une rémunération inférieure de 18% à celle des hommes

Au sein de l'entreprise, 2 700 femmes (soit 62% de l'effectif) sont potentiellement concernées. Pour tenter de caractériser ces inégalités salariales, la CGT s'appuie sur les données du bilan social de l'entreprise, et non sur des panels comparatifs comme pour l'action concernant les discriminations syndicales chez Secnma. "A la Caisse d'Epargne d'Ile-de-France, qui compte 4 570 salariés, les hommes perçoivent une rémunération supérieure de 18% à celle des femmes, ce qui représente un écart mensuel de 700€. Les hommes, qui ne représentent que 38% des effectifs, totalisent 58% des promotions", accuse Bernard Dantec, élu au CSE et secrétaire du syndicat CGT.

L'écart mensuel de rémunération, précise l'avocate Savine Bernard, varie de 199€ à 5 295€ pour les plus haut échelons, celui des mandataires sociaux. Et cet écart, souligne Bernard Dantec, tend à s'aggraver : il était en moyenne de 15% en 2015 et est passé à 16,5% en 2016. La preuve pour le syndicat que le dernier accord de 2018 sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, n'est pas à la hauteur des enjeux, faute de dégager des enveloppes de correction suffisantes et faute, surtout, d'objectifs chiffrés et adéquats.

Tous mes collègues masculins entrés au même moment que moi dans la société sont devenus chefs d'agence. Pas moi !

 

La CGT et ses avocats vont demander à l'entreprise de pratiquer la méthode des panels, conçue par François Clerc et utilisée par les juges, pour comparer de façon fine les situations professionnelles, et envisager ensuite des corrections de nature à résorber et à empêcher la reformation de ces inégalités, ce qui revient à s'attaquer à des domaines sociétaux comme l'orientation, le recrutement, l'accès aux postes d'encadrement ou aux métiers les plus rémunérateurs, mais aussi les stéréotypes sur les genres, un domaine trop peu exploré par les partenaires sociaux (lire notre article). Le plus dur commence, sans doute, mais Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la fédération CGT banque-assurance, veut croire à l'effet levier de l'action de groupe : "Cette action doit nous permettre de discuter et de négocier réellement avec l'entreprise afin de trouver des solutions. Car dans la banque, l'effet plafond de verre perdure pour les femmes." Hélène, une conseillère financière, affirme qu'elle en est victime : "Tous mes collègues masculins entrés au même moment que moi dans l'entreprise sont devenus chefs d'agence, pas moi. Pourtant, j'ai l'impression de faire du bon travail".

Les femmes ont du mal à accéder à des postes de management

 

Catherine Vinet-Larie, une DS retraitée depuis 2016 mais toujours très active, dit déjà peaufiner des propositions. Elle pointe certaines situations qui pénalisent les femmes, comme le congé maternité, "avec des conseillères qui ne retrouvent pas leur portefeuille client à leur retour", ou les temps partiel qui dissuadent l'entreprise de confier des postes de management à ces femmes. Audrey, une conseillère commerciale qui élève seule un enfant, dit ainsi avoir été bridée dans son évolution professionnelle : "Je voulais devenir conseillère financière. On m'a fait comprendre qu'avec un enfant en bas âge, je n'aurai pas assez de disponibilités". Et Catherine Vinet-Larie de cingler : "Nous connaissons bien le sujet. Les femmes, qui ont un salaire moins élevé dès l'embauche, à croire qu'elles ne savent pas négocier, ont dû mal à accéder aux postes de management".

La pertinence de l'index de l'égalité pointée du doigt

Cette affaire pourrait en tout cas relancer le débat sur la pertinence de l'index de l'égalité, pour lequel la Caisse d'Epargne a obtenu 94 points sur 100, avec notamment 39 points sur 40 sur le premier indicateur relatif aux écarts de salaires. Alors que le gouvernement vante cet outil de mesure des inégalités F/H qui ferait accéder la France à une obligation de résultat en terme d'égalité professionnelle entre les deux sexes, la CGT juge au contraire qu'il s'agit d'un instrument de "paraître agir" voire de "dissimulation des inégalités", selon les mots acides de François Clerc.

Un jugement à l'emporte-pièce ? Pas pour l'avocate Clara Gandin, du cabinet Boussard-Verrecchia, qui vient d'obtenir la condamnation en appel d'Ericsson pour non communication de données salariales F/H aux syndicats : "Le premier indicateur sur les écarts de salaires pose un problème dans la mesure où l'employeur est libre de définir lui-même la cotation des postes pour lesquels il va comparer les salaires des femmes à ceux des hommes. Ensuite, il s'applique un seuil de pertinence ou de tolérance qui gomme les écarts".

Certains indicateurs (augmentations et promotions individuelles) sont exprimés en taux, ce qui est plus facile à satisfaire

 

Et l'avocate de poursuivre ainsi son démontage de l'index : "Pour le deuxième indicateur, celui sur les taux d'augmentations individuelles F/H, pour lequel la Caisse d'Epargne obtient 20 points sur 20, on mesure les taux d'augmentations, par les niveaux. Pareil pour le troisième indicateur, sur les promotions. Il suffit donc de petites augmentations ou promotions pour satisfaire à ces indicateurs. Pour le quatrième indicateur, sur les salariées ayant bénéficié d'une augmentation l'année suivant leur retour de congé de maternité, on raisonne en pourcentage, pas en termes de niveaux d'augmentation". Et Clara Gandin de s'interroger enfin sur l'indicateur 5, qui concerne le nombre de femmes parmi les dix plus fortes rémunérations : "Avec une femme sur 10, l'entreprise obtient 5 points sur 10 !" (**).

La réaction du DRH

En s'attaquant au sujet de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, une aspiration sociétale largement partagée, la CGT entend trouver un nouveau moyen de pression à l'égard des employeurs, sachant que les grandes entreprises sortent plutôt confortées pour l'instant de la mesure de l'égalité F/H. Le sujet des inégalités F/H est populaire, donc embarrassant pour l'image des entreprises, d'autant que les actions correctrices à mettre en oeuvre impliquent une réflexion partagée sur le long terme et sur des aspects sociétaux qui interpellent tous les acteurs de l'entreprise, direction comme managers et salariés, représentants du personnel comme organisations syndicales.

Contactée hier, la Caisse d'Epargne n'a pas souhaité réagir à l'initiative de la CGT, à l'exception d'un entretien accordé par le DRH à l'AFP. En matière de rémunération, "il faut comparer à emploi équivalent et ancienneté équivalente", s'est défendu le directeur des ressources humaines de la Caisse d'épargne d'Ile-de-France, François de Laportalière. Si l'on procéde ainsi, a-t-il ajouté, les rémunérations des hommes et des femmes sont quasiment équivalentes, et même "légèrement supérieures" pour les femmes non cadres.

 

(*) Ces avocats sont notamment Savine Bernard, Clara Gandin, Slim Ben Achour, Judith Krivine...

(**) Au sujet de l'indicateur de l'égalité, lire notre article du 6/3/2019 : 118 entreprises en "alerte rouge"  et notre article du 5/3/2019 : "CSE et DS vont mettre du temps à s'approprier l'index égalité F/H".

 

Safran, Lyon : où en sont les deux premières actions de groupe ?

Lancée en mai 2017 par la CGT, la première action de groupe vise les discriminations collectives contre 34 délégués syndicaux de Safran (lire notre article). Selon François Clerc, de la CGT, l'entreprise n'a pas réagi, malgré deux mois supplémentaires laissés par le syndicat en sus des 6 mois qui doivent permettre l'ouverture de discussions pour traiter les problèmes soulevés. Le Défenseur des Droits a apporté son appui à cette action de groupe, que le juge pourrait examiner fin juin pour une audience de mise en état. Le jugement (acceptation ou rejet de l'action de groupe) pourrait donc intervenir à l'automne.

La deuxième action de groupe lancée par la CGT concerne des écarts salariaux F/H au sein du personnel des éducateurs de jeunes enfants au sein de la ville de Lyon. Selon Sophie Binet, de la CGT, la ville aurait procédé à un repositionnement de certaines salariées. L'action de groupe ayant été rejetée par le juge de première instance, la CGT a fait appel.

 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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