La co-détermination, avenir du conseil d'entreprise ?

La co-détermination, avenir du conseil d'entreprise ?

03.01.2022

Représentants du personnel

C'était, avec le comité social et économique, une des nouveautés des ordonnances réformant le code du travail : le conseil d'entreprise. Mais cette instance cumulant pouvoir de négociation et prérogatives de consultation du CSE n'a été que très peu adoptée par les entreprises. Pour le sociologue Christian Thuderoz, il faudrait laisser les acteurs expérimenter des formules plus souples, mais aussi aller vers une véritable co-détermination en lieu et place d'un avis conforme trop limité.

En 2017, les ordonnances "Macron" créaient le conseil d'entreprise, une instance ayant à la fois les prérogatives du nouveau comité social et écomique (CSE) mais aussi le pouvoir de négocier avec l'employeur, voire d'approuver certaines de ses décisions en délivrant un avis conforme, la loi prévoyant cette obligation pour le seul thème de la formation (voir notre infographie). Le ministère du Travail n'était d'ailleurs pas loin à l'époque de présenter ce cadre comme l'horizon futur des instances représentatives du personnel en France.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Mais le bilan s'avère modeste. Fin 2020, seule une petite vingtaine d'entreprises, principalement des PME (1), se sont dotées d'un conseil d'entreprise, selon le dernier rapport du comité d'évaluation des ordonnances (lire notre article sur ce rapport et notre article sur 8 conseils d'entreprise existants).

Quel intérêt avaient les entreprises à négocier un conseil d'entreprise ? 

 

Pourquoi un chiffre aussi faible ? La carotte du conseil d'entreprise est trop peu appétissante, juge, en termes moins directs, le rapport du comité. D'une part, les entreprises se sont vus "offrir" un CSE rendu obligatoire, ce qui a pu dissuader des employeurs de négocier pour aller au-delà de ce cadre, et d'autre part, la perspective de négociations plus "souples" avec une nouvelle instance n'allait pas de soi dans la mesure où les petites entreprises peuvent déjà faire ratifier des projets de textes par référendum directement auprès des salariés. Enfin, le rapport estime que les délégués syndicaux n'ont montré aucun allant à se faire dépouiller de leurs prérogatives de négocier et signer des accords collectifs, surtout "sans contrepartie ou compensation offerte par les ordonnances", et sur un fond d'hostilité des dirigeants de PME françaises au principe de codétermination.

Des conseils d'entreprise décevants

Les cas de conseils créés depuis 2017 et cités par le comité d'évaluation paraissent décevants : des moyens mis à disposition des élus très limités, peu de contreparties côté employeur, un avis conforme limité à la formation (seuls 2 conseils l'étendent au thème de l'égalité F/H). "De plus, le conseil d’entreprise ne semble pas avoir dynamisé la pratique de négociations collectives formalisées aboutissant à une plus grande signature d’accords. Ainsi, 3 ans après l’adoption des ordonnances, les conseils d’entreprises n’apparaissent pas comme l’instance privilégiée dans les TPE-PME. Ils ne semblent pas non plus s’inscrire dans une démarche de codétermination", indiquent les rapporteurs. 

 Un modèle type souvent recopié

 

Cette analyse du comité d'évaluation s'appuie sur le travail du sociologue Christian Thuderoz (voir son rapport en pièce jointe). Ce spécialiste de la négociation collective, terme qu'il préfère à celui plus flou de dialogue social note, un rien désabusé, que les textes des accords créant le conseil d'entreprise sont souvent identiques d'un accord l'autre, "un modèle-type, fourni par un cabinet d’avocat, apparaissant en premier sur les pages Google, un modèle dont les formulations se retrouvent dans nombre d’accords"… 

Pour Christian Thuderoz, le conseil d'entreprise, pour être approprié par les entreprises, réclame plusieurs facteurs pas si répandus que cela :

  • "une personne "dévouée à la cause" du dialogue social, et qui croit en ses vertus. Ce peut être le dirigeant, ou son conseil ; ce rôle peut être partagé par toute l’équipe de direction, ou endossé par un seul esprit éclairé ; c’est quelqu’un qui croit dans le dispositif, qui le fait vivre ;
  • une appétence au dialogue social (et sa pratique régulière et décomplexée). C’est-à-dire : un management fondé sur une pratique de direction d’entreprise qui recherche le consensus, évite la confrontation et tend à l’association des salariés aux décisions" ;
  • une entreprise pensée comme une communauté ;
  • des délégués syndicaux priorisant cette communauté d’entreprise (...) et de travail plutôt que la fédération militante ;
  • une autonomie vis-à-vis de l’autorité publique et/ou de la branche professionnelle. Corollaire de cet esprit communautaire : une volonté certaine d’inventer des solutions appropriées à une situation locale et spécifique, sans puiser nécessairement dans les outils offerts par la législation ou par l’accord de branche".
Le conseil d'entreprise comme voie d'une possible codétermination

Pour inciter les entreprises à se tourner vers le conseil d'entreprise, Christian Thuderoz suggère de laisser les acteurs expérimenter, pour une période temporaire, une évolution de leur CSE vers un conseil d'entreprise assoupli. Celui-ci négocierait la formation mais sans retirer totalement la compétence de négociation aux délégués syndicaux, des formes souples d’avis conforme, sur différentes thématiques, pouvant être testées. Ces expériences pourraient être partagées, ajoute le sociologue, lors de rencontres en région via les observatoires du dialogue social et les DREETS.

 Avis conforme ou codécision ?

 

D'autre part, Christian Thuderoz suggère d'aller plus loin en matière de codétermination en élargissant l'obligation d'avis conforme à des sujets comme la responsabilité sociale et environnementale, les droits de l'homme et de la femme, la diversité, l'achat responsable, la répartition de la richesse et des bénéfices, ou encore les thèmes des travailleurs handicapés, des chartes informatiques, des process de recrutement, etc. Encore faudrait-il, au préalable, éclaircir cette notion d'avis conforme, conclut le consultant qui défend ensuite ardemment le principe d'une négociation collective devenant une véritable codétermination, l'avis conforme étant ici clairement remplacé par une co-décision :  "La codétermination est le mode institutionnalisé d’une procédure décisionnelle par voie de compromis, à partir d’intérêts différents et de positions divergentes, tous deux mis en compatibilité. Promouvoir le « conseil d’entreprise » revient donc à réfléchir aux formes possibles d’une négociation collective pensée dans son articulation avec la codétermination". Des propos qui n'ont, prudemment, pas été repris par le comité d'évaluation...

 

(1) Tous les syndicats représentatifs (CFDT, CFTC, CGT, CFE-CGC) ont signé au moins un accord, sauf FO, qui n’en a signé aucun. Les 17 entreprises citées (2 ont un effectif inférieur à 49 salariés, 5 ont un effectif inférieur à 99 salariés, 7 ont un effectif compris entre 100 et 499 salariés, et 3 ont un effectif supérieur à 500 salariés) se dénomment Cardem, Soven, Grands buffets, De Sangosse, Vacanceole, Yposkesi, Genethon, Gazel energie, USAP, Isocel, D’Hondt Thermal, Solidarité Estuaire, Janus, etc. Voir pages 90 et suivantes du rapport pour une comparaison des différents contenus des accords créant ces conseils d'entreprise. 

 

Bernard Domergue
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