Dans son guide de 60 pages sur le droit à la déconnexion, l'Ugict-CGT donne des repères à ses négociateurs pour tenter d'obtenir des entreprises un accord de mise en oeuvre de ce droit. La stratégie de négociation doit passer par une large communication des enjeux auprès des salariés, indique Jean-Luc Molins, secrétaire national Ugict-CGT. Voici ses conseils.
Le droit à la déconnexion introduit dans la loi Travail est bien timide, admet l'Ugict-CGT dans la préface du guide qu'elle vient de publier, "mais il permet de mettre un pied dans la porte et de porter l'enjeu de réduction du temps et de la charge de travail". Le document a donc vocation d'aider les équipes syndicales à négocier ce nouveau droit à la déconnexion, une question clé si l'on considère que 75% des cadres utilisent le numérique pour des raisons professionnelles sur leur temps de repos, selon le baromètre Ugict-CGT-Viavoice.
►Pourquoi avoir rendu public ce guide ? "Nous avons choisi de le rendre public pour montrer que la CGT souhaite faire avancer ce droit à la déconnexion et qu'elle en fait un objectif de négociation. Autant nous travaillons sur ces sujets, autant parfois nous oublions de le faire savoir, et ce sont d'autres qui font ce travail de communication", nous répond Jean-Luc Molins, ancien DS CGT d'Orange, et désormais secrétaire national Ugict-CGT.
L'article L.2242-8 du code du travail, modifié par la loi Travail, prévoit que la négociation annuelle sur l'égalité professionnelle F/H et la qualité de vie au travail porte aussi, à compter du 1er janvier 2017, sur le droit à la déconnexion, c'est à dire sur "les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale". A défaut d'accord, précise l'article, "l'employeur élabore une charte, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l'exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques". |
L'Ugic-CGT suggère tout d'abord aux équipes syndicales "de communiquer en amont pour sensibiliser" les salariés à cette question. Il s’agit de pourvoir ensuite "peser" sur la négociation. Le syndicat rappelle l'enjeu essentiel, "la charge de travail et sa durée" étant les premières causes de la "sur-connexion". Le syndicat propose ainsi à ses équipes de réfléchir à un véritable "retroplanning de communication qui soit un véritable plan de travail pour une ou plusieurs personnes".
►"Dans notre société où tout s'échange très vite, ce qui va faire la différence, c'est la qualité de l'information et de la communication. Nous insistons sur ce point car à la CGT, nous l'oublions parfois", insiste Jean-Luc Molins. L'Ugict-CGT lance d'ailleurs aujourd'hui une campagne de communication sur le travail à l'heure numérique.
Première étape : consulter les salariés, par exemple trois mois avant le début des négociations. Le syndicat met à cette fin un outil numérique permettant de faire remplir aux salariés de l'entreprise, soit via le web soit par papier, un questionnaire. Un autre outil permet aussi aux salariés de simuler les heures supplémentaires non payées qu'ils réalisent. L'Ugict-CGT rappelle à cette occasion les durées légales de travail (10h maxi par jour pour les salariés qui ne sont pas en forfait jours, 11 heures de repos quotidien par jour, etc.) et la responsabilité qui pèse sur l'employeur. Plus loin dans le guide (voir page 52), le syndicat propose même, pour faire respecter le droit à la déconnexion, des modèles de lettre de saisine de l'inspection du travail, par un salarié ou par le CHSCT.
►Pourquoi sonder les salariés ? "La situation diffère d'une entreprise à l'autre. Il est donc nécessaire de mesurer l'impact du travail, notamment hors de l'entreprise, pour évaluer la charge de travail et son intensification. C'est à partir de ces éléments que l'on peut ensuite négocier. Dans la banque, par exemple, des responsables d'agence m'ont dit travailler 11 à 12 heures par jour. Certains jeunes responsables en viennent à refuser un matériel portable afin de ne pas travailler chez eux, préférant rester jusqu'à 20 heures au bureau. Mais d'autres ont dû mal à couper, car les sollicitations des clients sont de plus en plus tardives, les clients téléphonant après avoir envoyé un mail : c'est tout le problème de "l'infobésité". Il est donc nécessaire d'encadrer les usages pour que le lien de subordination ne déborde pas sur la vie privée, et refuser la revendication du Medef qui souhaite pouvoir fractionner les temps de repos ", analyse Jean-Luc Molins.
Une fois l'enquête auprès des salariés réalisée et les résultats analysés, le syndicat recommande de faire une campagne de communication en s'appuyant sur ses résultats, comme par exemple "10% des salariés de notre entreprise travaillent plus de 50 heures par semaine". Cette analyse peut être envoyée par mail aux salariés, ou diffusée par tract, environ un mois avant la négociation. Cela va aussi favoriser l'association des salariés à la définition des revendications. Un nouveau tract simplifié (infographie par exemple) peut être distribuée à quinze jours des négos, tout comme l'envoi d'un lien vers une URL aux salariés pour qu'ils se tiennent au courant de la négociation. Quels outils numériques utiliser ? Le syndicat met à disposition de ses adhérents sa plateforme, reference-syndicale.fr, mais il signale aussi le portail de logiciels libre Framasoftt.org
Faites connaître à l'avance aux salariés les dates de la négociation à venir, pour les associer et tenter de les mobiliser. "Si à la place d'un "groupe de travail pour la rédaction d'une charte de bonnes pratiques des outils numériques", vous obtenez une réelle séance de "négociations en vue d'un accord sur les modalités de plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion" et que vous en faites une échéance attendue par les salariés concernés, vous aurez déjà en partie redéfini les règles du jeu en freinant les discussions parallèles et bipartites susceptibles de déboucher sur des textes creux", assure le syndicat. L'Ugict-CGT préconise également d'informer les salariés du déroulement de la négociation, via les réseaux sociaux, mais aussi lors d'espaces d'expressions où les salariés peuvent s'exprimer. Enfin, ne pas oublier la presse, notamment locale, en réfléchissant au message que vous souhaitez transmettre : "Il ne s'agit pas de rédiger un tract, mais plutôt de délivrer les informations importantes qui justifient un fait d'actualité".
►Pourquoi associer les salariés ? "Les agendas des représentants syndicaux sont parfois remplis par les directions qui les submergent de réunions de concertation, de rendez-vous, si bien qu'ils en viennent à passer la plupart de leur temps avec la direction. Or un délégué syndical représente les salariés, c'est sa légitimité, il doit donc être à leur écoute et leur parler, et leur consacrer du temps. Ce travail de communication et d'échanges est primordial, c'est ent tout cas la position de la CGT", dit Jean-Luc Molins.
Le droit à la déconnexion doit concerner tous les salariés, y compris ceux qui sont en fortaits jours, y compris les télétravailleurs et les salariés les plus en déplacement, estime l’Ugict-CGT. Le syndicat fixe 10 objectifs à obtenir dans la négociation, parmi lesquels :
- L’obligation pour tous les salariés de respecter les durées maximum de travail ;
- La mise en place d’un système auto-déclaratif du temps de travail effectué, avec copie au délégué du personnel, pour ceux qui ne pointent pas ;
- La mise en place d’un système collectif d’évaluation de la charge de travail avec des critères objectifs, servant de base aux entretiens individuels ;
- L’obligation, en cas de temps partiel, de décharge syndicale ou de formation, d’adopter une baisse proportionnelle de la charge de travail et d’une prioratisation des objectifs le cas échéant ;
- La présentation au CE des données sur la charge de travail des salariés à partir des données présentées au CHSCT et des entretiens individuels ;
- La présentation d’un bilan annuel au CE d’une évaluation du temps de travail de l’ensemble des salariés par catégorie sociioprofessionnelle, présentation pouvant être intégrée au bilan social, etc.
►Pourquoi insister sur le rôle du CE ? "Parce que ses prérogatives économiques sont très importantes et constituent un levier intéressant. Pouvoir objectiver grâce aux éléments donnés en CE l'intensification du travail et l'accroissement de la charge de travail va permettre ensuite de négocier des changements", répond Jean-Luc Molins.
Le syndicat prend l’exemple d’avancées obtenues dans certains accords pourtant antérieurs à la loi Travail. Celui d’ADP de décembre 2016 préconise d’adopter pour les salariés en forfait jours la plage 8h30-18h pour les salariés en forfait jours, afin d’assurer leur droit à la déconnexion. Celui de la BNP-Paribas de septembre 2013 organise un système d’autodéclaration du temps de travail pour les salariés "nomades".
►Ces accords peuvent être ambitieux. Jean-Luc Molins cite l'exemple de l'accord sur la transformation numérique d'Orange de septembre 2016, "un texte qui prévoit, tous les deux ans, qu'un conseil national mesure les gains de productivité. L'affectation de ces gains de productivité va être ensuite déterminant pour les conditions de travail des salariés". Jean-Luc Molins souligne au passage que cet accord reconnaît un droit à la déconnexion y compris pendant le travail, "par exemple lors des réunions, car les participants qui ne se déconnectent pas ne sont pas vraiment présents en réunion".
Sur l'utilisation des outils numériques à proprement parler, l’Ugict liste toute une série d’objectifs à revendiquer comme :
- L’encadrement des conditions d’utilisation des outils professionnels de communication mis à disposition par l’employeur ;
- Des trêves de messageries professionnelles correspondant aux périodes de repos des salariés (fermeture des serveurs entre 19h et 8h du matin ou programmation automatique d’un mail de réponse disant que le salarié prendra demain connaissance du message);
- Un temps d’adaptation après un retour de congés (maternité, maladie, CP, etc.) pour éviter de voir le salarié recommencer à travail hors du bureau ; etc.
- L’évaluation du nombre de mails reçus par les salariés et des mesures pour en diminuer la quantité ;
- Une formation obligatoire pour les managers et les RH sur le droit à la déconnexion ;
- Le droit pour un salarié ayant un travail autonome à réaliser à être non joignable une demi-journée par semaine, etc.
L’Ugict-CGT indique que l’accord égalité F/H de la Poste de 2015 prévoit des "plages d’indisponibilité avant 8h30 et après 18h" afin de "respecter le temps de vie privée du salarié".
►Cette dernière disposition est-elle appliquée ? "Oui, cet objectif est décliné dans les services, et il est précisé au fur et à mesure, nous dit Jean-Luc Molens. Désormais, une pop-up (ndlr : fenêtre s'ouvrant automatiquement sur l'écran) apparaît quand un postier veut envoyer un mail à une heure tardive, avec ce message : "Etes-vous sûr de devoir envoyer ce mail?" Et en cas d'envoi, un message s'affiche automatiquement : il précise au destinataire du mail qu'il n'est pas tenu de répondre immédiatement au message".
Après la négociation, la CGT préconise de consulter à nouveau les salariés pour décider ou non de signer le texte. Cette consultation pourra se faire de façon anonyme, conseille le syndicat, "du fait des pressions managériales". Quel que soit le résultat des négociations, la section syndicale doit communiquer, insiste l'Ugict : "Si le résultat est positif, vous avez tout intérêt à valoriser votre démarche et vos victoires. S'il est négatif, montrez aux salariés que vous avez négocié avec conviction et expliquez pourquoi les échanges avec l'entreprise n'ont pas permis d'aboutir à un résultat favorable".
L’essentiel des dispositions obtenues dans un accord doit être intégré dans le règlement intérieur de l’entreprise, soutient la CGT. Ainsi, le règlement indiquera par exemple que le salarié n’a pas à être destinataire d’une sollicitation professionnelle en dehors de son temps de travail ou que l’entreprise ne peut licencier un salarié n’ayant pas répondu en dehors de son temps de travail.
La CGT consacre un chapitre à l’application de l’accord en rappelant par exemple que les délégués du personnel peuvent poser des questions sur la persistance de sollicitations hors du temps de travail, voire déclencher un droit d’alerte.
Le CE et le CHSCT peuvent aussi agir pour faire respecter les temps de repos. Le CE peut faire état de dépassements horaires lors de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, et de l’impossibilité des salariés d’exercer leur droit à la déconnexion. De son côté, le CHSCT dispose d’un droit d’enquête et d’expertise sur les conditions de travail. Une saisine de l’inspection du travail est également possible de la part d’un salarié ou du CHSCT, sans oublier la saisie des prud’hommes en vue de faire payer les heures de travail réalisées en sus de l’horaire légal.
►"C'est regrettable, mais il est parfois nécessaire d'actionner ces leviers pour faire appliquer un accord. Un salarié peut très bien s'adresser à l'inspection du travail pour dénoncer des heures supplémentaires non payées, l'inspection ne révélera pas son identité. D'autres salariés, surtout lorsqu'ils sont sur le départ et n'ont rien à perdre, peuvent aussi porter l'affaire devant les prud'hommes. Ces actions peuvent être dissuasives par la suite pour les entreprises : j'en connais qui n'ont pas mis en place de forfaits-jours", confie Jean-Luc Molins.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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