La police, un syndicalisme à part
05.07.2023
Représentants du personnel
La mort d'un jeune de 17 ans, tué par un policier à Nanterre, et les émeutes qui ont suivi ce drame, sont l'occasion de se pencher sur le syndicalisme dans la police. Un syndicalisme puissant mais à part : la grève est interdite chez ces agents, par ailleurs beaucoup plus syndiqués que les agents du public et que les salariés du privé. Explications de Benjamin Pabion, qui a réalisé en 2018 une thèse sur le syndicalisme policier.
Il y a un rapport bien sûr très particulier entre les policiers et l'État, mais il y a aussi l'absence de droit de grève pour ces agents. C'est aussi un syndicalisme très puissant : même s'il existe des disparités selon les régions et les corps, j'ai pu vérifier lors de mes travaux que l'estimation de 70% de taux de syndiqués dans la police était assez juste. A cela s'ajoute la très forte participation aux élections professionnelles. Fin 2022, aux élections de la fonction publique, ce sont les agents du ministère de l'Intérieur qui ont le plus voté avec une participation de 77%.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Une des fortes particularités du syndicalisme policier est le devoir de réserve des fonctionnaires de police. En dehors du cadre syndical, ces agents sont extrêmement contraints pour s'exprimer. Pour émettre une critique, une réserve ou une opinion sur les conditions d'exercice du métier ou sur les politiques publiques de police, ils n'ont pas d'autres solutions que de s'exprimer dans le cadre de leurs missions syndicales. Cela constitue d'ailleurs une motivation pour adhérer à un syndicat.
L'autre grande différence avec le syndicalisme dans le privé, c'est une forme d'adhésion "assurantielle". Les policiers, et l'actualité l'illustre une nouvelle fois malheureusement, éprouvent toujours la peur de faire une faute professionnelle pouvant avoir des conséquences lourdes à la fois sur le plan individuel et collectif. Les policiers ont donc le sentiment d'avoir besoin, pour les défendre auprès de leur autorité administrative, d'un syndicat qui les connaisse, qui soit compétent et réactif. C'est un des éléments forts expliquant la forte syndicalisation dans la police. L'autre élément d'explication est le développement d'un syndicalisme de service.
Une des premières préoccupations d'un policier qui débute sa carrière est le logement. Très souvent, l'agent se retrouve affecté en région parisienne où il doit trouver rapidement un logement, ce qui n'est pas facile.
Les syndicats de policiers se sont donc positionnés sur des partenariats avec des bailleurs, y compris avec des agences immobilières dans le secteur privé, afin de proposer rapidement des solutions de logement à leurs adhérents. C'est un service très pratique et indispensable car l'institution n'est pas très active sur ce sujet. Un autre motif d'adhésion syndicale, souvent mis en avant dans les médias mais sur lequel je serai plus prudent, concerne le déroulement de carrière. L'avancement, la promotion, la mobilité géographique dépendent de décisions administratives qui sont discutées avec les syndicats. Ceux-ci jouent donc un rôle dans la gestion des carrières des policiers.
En effet, c'est un peu moins vrai depuis la loi Dussopt, qui a changé un peu la donne en donnant plus de pouvoir à l'administration. Mais les échanges avec l'administration, sur le suivi des carrières et les dossiers individuels, restent réels, les syndicats veillant à ce qu'il n'y ait pas d'erreur ou d'injustice.
En tout cas, il n'y a pas, comme on peut l'avoir parfois dans le privé, de critiques sur la représentativité des grands syndicats. Dans la police existent deux syndicats très puissants : Unité SGP Police (affilié à Force ouvrière) et Alliance Police nationale (affiliée à la CFE-CGC). Quand vous allez discuter en représentant une majorité de collègues, sur la base d'une très forte participation aux élections professionnelles, vous êtes très écoutés.
Les deux organisations ont créé un bloc syndical, mais elles n'ont pas créé un syndicat commun. C'est davantage une alliance électorale qu'un rapprochement effectif sur le terrain. Cette alliance a remporté le scrutin de 2022, mais quand on regarde de près les résultats de chacun des syndicats, on observe une stabilité remarquable sur les trois dernières élections. Les grands équilibres n'ont pas été bouleversés.
Par la difficulté de faire émerger de nouveaux syndicats dans la police. La CFDT a créé Alternative Police, un syndicat fondé par un dissident d'Alliance, mais c'est très difficile pour eux d'exister face à des syndicats puissants déjà en place (1). Ceux-ci disposent de moyens financiers et humains importants dans la mesure où les détachements d'agents pour les mandats syndicaux dépendent des scores électoraux. Ils ont un maillage fin et sont très bien importants dans les départements. Il y a une sorte de prime aux sortants.
Quand Alliance s'est créée en 1995, ils n'ont pas choisi par hasard de s'affilier à la CFE-CGC (2).
Ils l'ont choisie parce que c'est une confédération peu marquée politiquement et qui laisse une grande autonomie de fonctionnement et une grande autonomie politique à ses syndicats. Unité SGP a rejoint FO pour les mêmes raisons : la confédération Force ouvrière laisse une grande autonomie à ses fédérations et syndicats, avec une très forte pluralité politique. La donne serait différente dans des confédérations syndicales comme la CGT ou la CFDT.
Je ne suis pas très à l'aise avec ces termes. C'est un syndicalisme historiquement très autonome et qui a versé vers le catégoriel, certes, mais pour autant, au fil des réformes sur la représentativité syndicale, ce sont aussi des syndicats qui investissent de plus en plus le jeu confédéral avec l'émergence de fédérations (FASMI pour l'UNSA, FSMI pour FO), car le ministère de l'intérieur devient un enjeu pour la représentativité, désormais calculée au niveau ministériel et non plus des corps de métiers. Les syndicalistes policiers sont de plus en plus présents dans les instances fédérales et confédérales.
Il n'était pas surprenant que les syndicats de policiers fassent un communiqué en forme de soutien au policier mis en cause. Mais le choix des termes employés dans ce communiqué ("hordes sauvages", "chienlit", Nldr) n'est pas anodin.
C'est une question d'interprétation. Un historien du syndicalisme policier, Jean-Marc Berlière, a employé cette image provocatrice : "Quand un métayer veut être bien gardé, il nourrit ses chiens". C'était pour montrer que depuis le début du XXe siècle, les gouvernements "brossent la police dans le sens du poil".
Autrement dit, on les rémunère correctement, et on achète ainsi la paix sociale de ces professionnels pour maintenir l'ordre. Et les syndicats jouent là-dessus, ils ont déjà fait passer ce type de message au moment des manifestations des gilets jaunes. Ils ont alors obtenu des primes importantes avec une facilité incroyable qui ferait rêver n'importe quel autre syndicat.
Aujourd'hui, quand on regarde objectivement les grilles de rémunérations dans la fonction publique, les policiers font partie des fonctionnaires les mieux payés. Cela étant, il me semble qu'une crise couve dans la police sur le sens du métier : bien rémunérer des agents, c'est important, mais que fait-on des conditions de travail et du sens du métier ?
Sur les aspects très opérationnels, cette influence me paraît assez faible. Il y a des revendications syndicales sur le matériel et les formations, mais la doctrine de maintien de l'ordre n'est pas discutée avec les syndicats. Ceux-ci avaient émis des critiques au moment des gilets jaunes, contre le choix d'une doctrine de maintien de l'ordre très violente, mais ces questions passent le plus souvent au second plan derrière la défense de la profession.
A ma connaissance, deux sondages ont été faits sur ce sujet. Les deux enquêtes d'opinion avaient des faiblesses méthodologiques. Par exemple, ils englobaient dans la police des métiers qui ne font pas partie de la police nationale : les policiers municipaux, les agents de sécurité privés, etc.
D'autre part, les échantillons étaient très faibles et ces sondages reposaient sur du déclaratif en sortie d'urnes. A mon sens, ces sondages n'étaient pas fiables. Pour autant, des indices laissent penser qu'un certain nombre de policiers sont proches des idées d'extrême droite mais de là à dire qu'une majorité vote Rassemblement national, je ne m'aventurerais pas sur ce terrain-là faute d'éléments précis.
C'est compliqué de vous répondre. Côté policiers, on a une défense du corps. C'est un réflexe traditionnel dans la police : on a du mal à pointer du doigt un agent qui a fait une faute, ou alors on invoque les circonstances. Je n'ai d'ailleurs pas connaissance de policiers ayant critiqué ou condamné l'acte du policier qui a tué l'adolescent à Nanterre, mais cela ne signifie pas pour autant que tous les policiers approuvent ce qui s'est passé.
A court terme, je serais très surpris, le ministre de l'Intérieur ne paraît pas très ouvert sur ces sujets. Quand Emmanuel Macron avait mis les pieds dans le plat en évoquant les contrôles au faciès dans une interview à Brut fin 2020, cela avait suscité une levée de boucliers phénoménale. S'en était suivi le Beauvau de la sécurité, une grand messe dont il n'était pas sorti grand chose. Et il y a un consensus interne à l'institution disant que ce n'est pas le problème. Mais il va pourtant bien falloir se pencher un jour sur les relations entre la police et la population. Quelle police veut-on dans la société ? Veut-on lui donner un rôle uniquement répressif ou aussi préventif ?
(1) Le syndicat membre de FO (Unité SGP Police et sa fédération FSMI), qui avait recueilli 34,4% des voix en 2018 et qui progresse légèrement avec 35,13%, a cette fois été supplanté par la coalition formée par Alliance Police nationale et UNSA Police (alliée avec d'autres petites formations syndicales) qui a recueilli 49,45% des suffrages. Cette coalition est donc désormais majoritaire dans la nouvelle instance, le CSA, le comité social d'administration ministériel. Les autres syndicats présents sont très en retrait, avec 8% pour la CFDT Interco, 3% pour France police-Policiers en colère et 1,9% pour la CGT.
(2) En 1995, Alliance est née de la fusion du syndicat des gardiens de la paix (le SIPN, Syndicat indépendant de police nationale) et du Syndicat national des enquêteurs (SNE), une nouvelle structure à laquelle s'est jointe en 1997 le Syndicat des gradés de la police nationale (le SGPN).
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