Le dispositif de l'action de groupe, issu de la loi Justice du XXIe siècle et applicable depuis seulement quelques jours, n'aura pas tardé à être utilisé. Par acte d'huissier, la CGT a demandé hier matin à Safran aircraft engines, filiale du groupe Snecma employant 12 000 salariés, de reconnaître l'existence d'une discrimination collective à l'encontre de 34 délégués syndicaux.
"Si nous en sommes là aujourd'hui avec Safran aircraft engines, ce n'est pas faute d'avoir essayé de régler le problème en interne, assure François Clerc, chargé de la lutte contre les discriminations à la CGT. Après une première conciliation en 2004 avec cette entreprise et l'indemnisation de plusieurs délégués syndicaux CGT discriminés, nous pensions le problème derrière nous. J'ai personnellement assuré deux démonstrations auprès de la direction sur la méthodologie à suivre. Mais cet employeur ne tire pas les leçons du passé et nous voici tenus d'intervenir à nouveau pour défendre 34 militants", déplore-t-il. Explications de l'équipe confédérale, en présence d'une partie des salariés concernés, hier au siège confédéral à Montreuil.
"L'action de groupe, si elle existe, c'est parce que nous l'avons demandée pendant des années, avance Sophie Binet, dirigeante confédérale en charge de l'égalité professionnelle. Si les règles prévues par le législateur sont encore trop timides, pour nous cette première action de groupe est le symbole des discriminations omniprésentes dans le monde du travail. Les études montrent qu'entre la moyenne des salariés et les délégués syndicaux, il y a 10% d'écart de salaire au détriment des militants. Et un DS d'exercice du mandat a statistiquement deux fois moins de chances d'avoir une promotion, insiste la secrétaire générale adjointe de l'Ugict-CGT. Donc avant de transférer tous les pouvoirs à la négociation d'entreprise, comme nous y invite aujourd'hui le gouvernement, il faudrait d'abord faire cesser les discriminations contre les représentants du personnel".
Et Véronique Moreau, déléguée syndicale CGT de Safran aircraft engines et porte-parole des 34 DS qui s'estiment discriminés, de souligner le lien entre la discrimination syndicale et tous les autres types de discriminations : "S'il n'y a pas de présence syndicale forte dans une entreprise, ce sont tous les autres types de discrimination qui sont facilités". "La lutte contre la discrimination au travail est née de la lutte contre les discriminations syndicales, il est donc normal que ce soit le motif de la première action de groupe", approuve Savine Bernard, avocate de la CGT.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Hier, comme le prévoit la loi, s'est ouverte la première étape de l'action de groupe : "Nous disposons maintenant d'un délai de six mois pour négocier avec la direction de Safran et tenter de trouver un accord, explique l'avocate Savine Bernard. À l'issue de ce délai et à défaut d'accord, la CGT sera en droit de poursuivre l'action collective, illustrée par ces 34 cas individuels, et d'assigner l'entreprise devant le TGI de Paris. L'assignation en justice pourra contenir deux demandes :
- une action en cessation du manquement en vue d'obtenir le repositionnement à un poste et à un salaire normal. Le juge peut ici prononcer la mesure sous astreinte liquidée au profit du trésor public ;
- une action pour obtenir réparation des préjudices financier, moral.
Le jugement devra enfin définir le périmètre du groupe, c'est-à-dire le profil des salariés qui ne sont pas aujourd'hui dans les 34 cas individuels mais qui pourront, lorsque toutes les voies de recours auront été épuisées, revendiquer le bénéfice de la reconnaissance de discrimination. L'action de groupe, c'est le combat mené par certains au bénéfice des autres", résume l'avocate.
Se pose néanmoins la question de la portée pratique de cette action de groupe dans la mesure où la loi prévoit qu'elle ne peut être exercée que pour des discriminations postérieures à la promulgation de la loi du 18 novembre 2016. "Le premier intérêt de cette action, c'est d'obtenir à chacun un repositionnement pour l'avenir, affirme Savine Bernard. Familiariser les délégués syndicaux à l'action de groupe, c'est ensuite les encourager à recourir eux-mêmes à ce type d'action pour défendre les salariés sur l'égalité professionnelle. Enfin, s'agissant de la réparation du préjudice financier, il y a en effet un doute car la loi, à la demande du patronat, ne prévoit pas la possibilité de revenir sur la période antérieure à son entrée en vigueur, reconnaît-elle. Mais cela ne nous pose pas de problème car la discrimination est une infraction continue, elle est présente chaque jour pour le salarié, nous demanderons donc une réparation intégral du préjudice subi depuis 2004". Selon les premières estimations de la CGT, ce préjudice serait selon la situation de chacun de 200 à 460 euros par mois.
Faut-il, dans les semaines ou mois à venir, s'attendre de la part de la CGT à d'autres actions de groupe ? "Promulguer une loi pour ne l'utiliser qu'une fois, ce serait dommage !, ironise François Clerc. On s'attend à un combat de longue haleine, et à devoir faire évoluer un texte qui a priori ne nous est pas favorable. Mais la difficulté ne nous effraie pas, elle nous motive", conclut-il.
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