La prévention spécialisée est-elle une dépense d’aide sociale obligatoire ?

La prévention spécialisée est-elle une dépense d’aide sociale obligatoire ?

12.02.2016

Action sociale

Contrairement à ce qui se dit ici ou là, Jean-Pierre Hardy estime que la prévention spécialisée est bien une dépense obligatoire pour les départements. 2016 est une année charnière : les équipes de prévention ont tout intérêt selon lui à régulariser leur situation, en application d’un article de la loi vieillissement, avant que la compétence ne soit transférée aux métropoles.

Dans le contexte post-attentats, les éducateurs de rue ont indéniablement un rôle à jouer. Or, les associations de prévention spécialisée dénoncent les restrictions budgétaires, voire les déconventionnements, dont elles font aujourd'hui l'objet. Il serait d’autant plus facile de sacrifier la prévention spécialisée que cette dernière relèverait des dépenses d’aide sociale facultative. Jean-Pierre Hardy qui a été à la DGAS (direction générale de l'action sociale), en 2005, l’un des rédacteurs des textes cités dans sa chronique ci-dessous fait la démonstration qu’il s’agit d’une dépense obligatoire pour les départements. Il attire l’attention des équipes de prévention spécialisée sur le fait que 2016 est une année charnière pour régulariser leur situation en application d’un article de la loi d’adaptation de la société au vieillissement et avant transfert de cette compétence vers les métropoles.

 

La prévention spécialisée a pris principalement la forme de clubs et d'équipes de prévention depuis l’arrêté canonique du 4 juillet 1972 relatif aux clubs et équipes de prévention. Elle est considérée comme une dépense d’aide sociale facultative, y compris par des acteurs de la prévention spécialisée. Pourtant, il s’agit d’une dépense d’aide sociale à l’enfance (ASE), donc d'une dépense d’aide sociale obligatoire, même si elle n’est opposable aux départements que dans des conditions particulières.

Les équipes de prévention spécialisée sont dans la nomenclature des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS)

Dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002, l’écriture du 1�� du I de l’article L.312-1 du CASF n’avait pas visée explicitement la prévention spécialisée.

Au sein de la DGAS, il y avait des divergences pour savoir, si les équipes de prévention spécialisée étaient ou non des services relevant de ce 1° du I de l’article L.312-1 du CASF. Une circulaire de la DGAS avait tranché dans le sens du « non » ce qui avait entraîné des réactions des fédérations gestionnaires.

Aussi, l’ordonnance n° 2005-1447 du 1er décembre 2005 a modifié la rédaction de ce 1° du I de l’article L.312-1 du CASF qui vise explicitement la prévention spécialisée par un renvoi sur l’article L. 221-1 du CASF et donc au 2° de cet article. Enfin cette ordonnance ajoute à l’article L. 312-1 un IV qui précise que les équipes de prévention spécialisée ne sont pas soumises à des dispositions du CASF manifestement inadaptées à ces structures comme les documents individuels de prise en charge (la prévention spécialisée fonctionne dans le respect de l’anonymat et relève du travail social d’intérêt collectif), le conseil de la vie sociale…

Aussi, les équipes de prévention spécialisée sont bien dans la nomenclature des ESSMS, ce qui signifie qu’elles doivent être prises en compte dans le schéma départemental de la protection de l’enfance et autorisées pour 15 ans. Le renouvellement pour 15 nouvelles années des autorisations ne peut se faire qu’à la suite des résultats d’une évaluation externe en application de l’article L. 312-8 du CASF.

Elles doivent être aussi tarifées. Le décret n° 2006-422 du 7 avril 2006 pris en application de l’ordonnance du 1er décembre 2005 prévoit le versement par le département d’une dotation globale (3° du I de l’article R. 314-105 du CASF). Ce décret a abrogé les dispositions financières de l’arrêté du 4 juillet 1972.

Il a donc été mis fin au financement par subventions départementales, seules les communes pouvaient continuer librement au titre de leur aide et action sociales facultatives à verser des subventions complémentaires et additionnelles à la dotation globale du département.

Notons que la définition de la subvention issue de l’article 59 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire ne permet plus de financer par des subventions des équipes de prévention spécialisée (il en va de même pour les GEM, MAIA ou CREAI).

Ce triptyque : planification-autorisation-tarification, est sécurisant pour les ESSMS. Alors qu’une subvention annuelle ou triennale peut être discrétionnairement non reconduite, une tarification administrée soumise au contrôle du juge de la tarification ne peut être remise en cause sauf à mettre en œuvre l’article L. 313-9 du CASF. Cet article n’est pas d’un maniement facile par les autorités administratives d’autorisation et de tarification. S’agissant des équipes de prévention spécialisée, le retrait de l’habilitation à l’aide sociale peut être argumenté au nom de l’évolution des besoins (nécessité de changer le quartier des interventions) ou des dépenses excessives (problème de l’application des congés trimestriels et des avantages extra-conventionnels comme les primes de contact…).

2006-2015 : 10 ans de perdu ?

Contrairement à d’autres dispositifs, l’ordonnance du 1er décembre 2005 n’avait pas prévu de dispositif de régularisation des autorisations des équipes de prévention spécialisée.

En effet, par exemple, lorsque les structures de lutte contre les addictions ont été intégrées dans la nomenclature des ESSMS au 9° du I de l’article L.312-1 du CASF et ont cessé de relever de l’action sanitaire et sociale facultative de l’Etat et des caisses d’assurance maladie, un délai de 3 ans avait permis de régulariser les autorisations de structures existantes. À l’époque, il s’agissait de passer en CROSMS avant de se voir notifier un arrêté préfectoral d’autorisation.

À partir de 2006, à la fin de leur convention de subvention annuelle ou triennale, peu d’équipes de prévention spécialisée ont sollicité un arrêté d’autorisation de leur conseil départemental après passage en CROSMS, et ce, jusqu’à la suppression de ces derniers en juillet 2009 par la loi HPST au profit de la procédure d’appels à projets.

Peu d’équipes de prévention spécialisée ont demandé à passer sous une tarification administrée avec passage du régime de la subvention à celui de la dotation globale de financement.

Cette autorisation et cette tarification ne permettent pas aux départements tarificateurs de se désengager financièrement pendant la durée de l’autorisation de 15 ans.

L’arrêté du 4 juillet 1972 relatif aux clubs et équipes de prévention, amputé en 2006 de sa partie financière, et, fin 2014 de sa partie sur le conseil national technique des clubs et équipes de prévention spécialisée, aurait dû être remplacé par un décret fixant les conditions techniques de fonctionnement en application du II de l’article L.312-1 du CASF.

2016 : dernière chance pour les équipes de prévention spécialisée

Aujourd’hui, les autorisations de nouvelles équipes de prévention spécialisée ne peuvent se faire que dans le cadre d’appels à projets, sauf si elles sont gérées en régie par le département.

Des CPOM dans le champ de la protection de l’enfance pourraient aussi prévoir la création d’équipes de prévention spécialisée dans le cadre de la recomposition de l’offre des services d’un gestionnaire.

Force est de constater que les équipes de prévention spécialisée se sont peu souciées, après avoir été reconnues comme des ESSMS, d’obtenir une autorisation d’ESSMS.

De plus, nombre d’équipes de prévention spécialisée ont été créées antérieurement à la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales et relèvent du régime déclaratif de la loi de 1970.

L’article 67 de la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a inséré un article 80-1 dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 (articles non codifiés).

 

« Art. 80-1. - I. - Les établissements, services et lieux de vie et d’accueil qui ne disposent pas, à la date de publication de la loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, d’une autorisation au titre de tout ou partie de leurs activités relevant de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, délivrée en application de l’article 9 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales ou en application de l’article L. 313-1 du même code, sont réputés bénéficier de l’autorisation mentionnée au même article L. 313-1 à compter de leur date d’ouverture. Les établissements, services et lieux de vie et d’accueil doivent remplir les deux conditions suivantes :

« 1° Avoir exercé ces activités non autorisées relevant de l’article L. 312-1 dudit code préalablement à l’application du régime d’autorisation prévu à l’article 9 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 précitée ou à l’article L. 313-1 du même code ;

« 2° Avoir bénéficié au titre de ces activités, en vertu d’une décision unilatérale des autorités compétentes ou d’une convention conclue avec elles, d’une habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale ou d’une autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux.

« Les catégories de bénéficiaires et les capacités d’accueil ainsi réputées avoir fait l’objet d’une autorisation sont celles figurant dans la décision ou la convention en vigueur la plus récente.

 

Cet article permet aux équipes de prévention spécialisée d’être réputées avoir une autorisation.

Doivent-elles en rester là ?

Non, il leur appartient de demander l’officialisation de cette autorisation par un arrêté du conseil départemental et une tarification en application du 3° du I de l’article R. 314-105 du CASF.

Le temps presse puisque les départements doivent conclure en application de l’article 90 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRé) une convention de transfert ou de délégation de compétences aux métropoles, et la prévention spécialisée est l’une de ces compétences que les départements peuvent transférer.

Le décret fixant les conditions techniques de fonctionnement devrait être élaboré dans les meilleurs délais afin de lever les doutes et les interrogations sur les missions, le rôle et la place des équipes de prévention spécialisée sur les différents territoires de notre République laïque, et, ainsi refonder la prévention spécialisée dans le contexte « post-attentats 2015 »...

Action sociale

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