La prévention spécialisée veut prouver son utilité

La prévention spécialisée veut prouver son utilité

02.05.2016

Action sociale

Comment mieux faire comprendre l’apport des éducateurs de rue à la société ? A l’heure où certains départements délaissent la prévention spécialisée, le CNLAPS propose aux professionnels de valoriser leur utilité sociale. En deux journées d’études, ces acteurs de la protection de l’enfance ont pu explorer tous leurs impacts, aussi bien économiques que politiques.

Laurence Rossignol a à peine commencé son discours que, déjà, une protestation fuse de la salle. La prévention spécialisée est « démantelée » ! La ministre des Familles et de l’Enfance le rappelle pourtant, en concluant, le 29 avril 2016, ces journées d’étude de la prévention spécialisée : cette mission de l’aide sociale à l’enfance relève de la compétence des départements. Elle n’est pas du ressort de son gouvernement. Au moins la loi du 14 mars 2016 s’efforce-t-elle de remettre l’Etat « à sa juste place » dans la protection de l’enfance, en tant que « partenaire », « respectueux de la décentralisation », estime Laurence Rossignol. Il reste à savoir si cela suffira à convaincre les financeurs récalcitrants. La ministre l’assurera d’ailleurs plus tard, en aparté : la prévention spécialisée n’est même pas une politique obligatoire pour ces collectivités.

Financements à la baisse

Le démantèlement de la prévention spécialisée ne serait cependant pas si accusé. Dans un département comme le Val-de-Marne, par exemple, les équipes ont encore été renforcées, avec pas moins de 181 éducateurs mobilisés désormais. Et selon le décompte de Laurence Rossignol, à ce jour, 84 départements sur 101 mènent encore une politique de prévention spécialisée. Cela n’exclut pas, certes, que plusieurs d’entre eux revoient leurs financements à la baisse, et parfois fortement, ces toutes dernières années. Au même moment, pourtant, le pays croule sous une « massification des problèmes », comme le souligne Marcel Jaeger du Cnam. Et dans le même temps, particulièrement, des élus se demandent comment prévenir le djihadisme – par exemple auprès de tous ces jeunes marginalisés que suivent les éducateurs de rue…

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« Colère »

Comment la prévention spécialisée peut-elle donc convaincre de son utilité sociale ? Tel était précisément l’objet de ces deux journées organisées à Créteil, par le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS), les 28 et 29 avril. Bien sûr, ce désengagement des politiques peut d’abord susciter de la « colère », comme l’a exprimé la présidente de l’association, Anne-Marie Fauvet, en introduction des deux journées. Et comme le dira plus tard un participant, du haut des gradins, les éducateurs de rue peuvent d’ailleurs aspirer à se dépenser pour leurs publics, plutôt que pour leurs financeurs.

Mais pour éviter de travailler bénévolement, valoriser son utilité sociale pourrait bien convaincre quelques élus départementaux et directeurs généraux des services. Alors, comment s’y prendre ? La démarche est d’ores et déjà courante dans plusieurs secteurs de l’économie sociale et solidaire. Il ne peut certes y avoir de méthode unique pour mesurer sa contribution à la société, à l’environnement, ou encore à l’économie, comme l’a expliqué Benoît Mounier, chargé de mission à l’Avise, cette agence d’ingénierie et de services pour les « structures d’utilité sociale ». Au moins décrit-il une approche participative, en cinq étapes, qui permet de mesurer l’impact social de chaque structure.

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Des placement et des détentions évitées

Et quels sont donc les apports que la prévention spécialisée, pour sa part, pourrait valoriser ? Malgré son coût dérisoire �� 250 millions d’euros de dotation annuelle en tout et pour tout d’après le CNLAPS – elle apporte « des bénéfices considérables à la société », comme le souligne l’économiste Philippe Langevin. Plusieurs professionnels, réunis en débat participatif, abondent d’exemples pour décrire les « coûts évités » et les « ressources nouvelles » qu’ils offrent à la société. La prévention spécialisée épargne ainsi nombre de placements en institutions et de détentions ; elle apporte parallèlement de l’émancipation et de la cohésion sociale… « Dans les années 80, quand le FN fermait des clubs de prévention spécialisée dans le Midi, les quartiers étaient en feu », comme le rappelle Michel Hug, chef de service en Haute-Saône.

Il existe en somme deux approches complémentaires pour évaluer l’utilité sociale de la prévention spécialisée, conclut Roland Janvier, directeur général de la Fondation Massé Trévidy, dans le Finistère. D’une part peuvent être retenus des critères classiquement économiques ; d’autre part peuvent être recherchés des impacts plus politiques, d’émancipation des personnes ou de transformation de la société. Mais plutôt que d’opposer ces deux approches, Roland Janvier invite à les « mettre en tension », et en équilibre, afin de prouver l’utilité sociale de la prévention spécialisée.

Des moyens supplémentaires de l’Etat

En attendant de convaincre les départements récalcitrants, les acteurs de la prévention spécialisée peuvent déjà se targuer d’avoir le soutien du gouvernement. En ouvrant les deux journées, le ministre de la Ville et de la Jeunesse, Patrick Kanner, l’a promis aux participants : il espère signer d’ici cet été une convention de partenariat  avec le CNLAPS, la Cnape et l’Assemblée des départements de France. Et l’Etat y engagera quelques moyens financiers supplémentaires. De quoi inspirer les départements ?

Olivier Bonnin
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