Le gouvernement n'est pas seulement enlisé dans le débat autour de la loi travail. Il l'est également sur un autre chantier moins médiatique, mais stratégique : la reprise en main par l'Etat du financement du RSA. Le 21 juin, une rencontre dite de la dernière chance était organisée à Matignon entre le Premier ministre accompagné des ministres Touraine, Baylet et Eckert, d'un côté, et des représentants de l'Assemblée des départements de France (APF) emmenés par le président Bussereau, de l'autre. Mais elle s'est soldée par un échec.
La recentralisation du RSA acceptée par l'Etat...
Quels sont les termes du débat ? En février dernier, le gouvernement a officiellement accepté le principe d'une recentralisation du RSA. Les élus départementaux ont alors le sourire car ils espèrent ainsi avoir trouvé un début de solution à l'impasse financière dans laquelle ils se trouvent depuis quelques années. Comme vient de le souligner l'Odas, le RSA a coûté en 2015 4,24 milliards d'euros aux départements, soit 500 millions supplémentaires par rapport à 2014.
... mais des désaccords sur les points techniques
Lorsque le groupe de travail gouvernement - ADF se met au travail, les désaccords ne tardent pas à apparaître. Le principal point d'achoppement concerne l'année de référence pour la prise en charge du RSA. L'Etat, soucieux de limiter la facture, entend se contenter de l'année N - 1, donc 2016, pour une mise en oeuvre en 2017. Les départements qui ont dû assumer seuls l'envolée de ce revenu de solidarité (1) n'ont pas envie de s'asseoir sur un milliard et demi à deux milliards d'euros si 2016 est retenue comme année de référence. "Le Premier ministre s'était déclaré ouvert, au début, à l'étude de différents scénarios, notamment sur la prise en compte de 2015, explique Dominique Bussereau. Puis, il n'en a été plus question, sans doute parce que Matignon s'est heurté au mur de Bercy. Au final, le compte n'y était pas." Lors de l'AG de l'ADF le 22 juin, tous les départements de droite ont donc voté contre la proposition du gouvernement (alors que la gauche a refusé de participer à ce scrutin).
Rebellion de certains présidents de droite
A ces considérations financières s'ajoutent des interrogations de fond chez une partie des présidents de droite des conseils départementaux. En avril, 18 présidents - dont bon nombre sont proches de Nicolas Sarkozy - tapent du poing sur la table et expriment une forte réticence par rapport à la voie de la renationalisation, pourtant approuvée lors du congrès de Troyes à l'automne 2015. "Loin de refinancer les départements, la renationalisation du RSA n'aboutit qu'à réduire encore les marges de manoeuvre des collectivités territoriales", expliquent-ils dans leur texte. Le mandat du dernier congrès de l'ADF a-t-il été abandonné en cours de route ? Dominique Bussereau refuse ce procès, expliquant que la renationalisation concernait, pour certains, l'ensemble de l'allocation, pour d'autres simplement le reste à charge. Un argument qui ne convainc pas la gauche pour qui l'ADF a reculé sur ce dossier sous la pression de certains présidents qui voudraient départementaliser le RSA.
Il faut faire plus pour l'insertion
Autre motif de grogne : la demande du gouvernement aux départements de développer de vraies politiques d'insertion en direction des allocataires du RSA qui se sont effectivement rétrécies (leur coût est passé entre 2009 et 2015 de 830 M€ à 700 M€ alors que les bénéficiaires n'ont cessé de grimper). Un procès qui passe mal chez les élus qui n'ont pas envie de recevoir des leçons de la part d'un Etat jugé pyromane. "Pour beaucoup de départements, en difficultés, l'insertion devient malheureusement un luxe", reconnaît le président de l'ADF.
Autre pomme de discorde : l'Etat voulait renforcer des mécanismes de péréquation horizontale entre les départements dont ne veulent pas certains élus, notamment ceux qui risquent de perdre des plumes dans cette redistribution.
Quand l'Etat veut faire oublier sa dette...
Dans son communiqué, Matignon impute l'échec des négociations à l'intransigeance de l'ADF. "Le 25 février, le gouvernement avait proposé - c'est une demande forte de l'ADF - que l'Etat prenne en charge le financement du RSA à condition que les départements s'engagent à renforcer l'accompagnement des bénéficiaires vers l'insertion et l'emploi. Cette proposition de l'Etat était évaluée à 700 M€". Une façon habile d'oublier la dette historique de l'Etat à l'égard des départements, et ce depuis la création du RSA.
... et fait la leçon aux départements
Dans ce même communiqué, Manuel Valls rappelle les départements à leurs obligations en matière d'égalité de traitement des allocataires. "Les critères et le dispositif doivent être identiques pour toutes et tous." De plus, il réitère son opposition aux expérimentations de certains départements, comme dans le Haut-Rhin, qui entend conditionner le versement du RSA à certaines obligations. "Le gouvernement n'acceptera aucune des mesures envisagées par certains départements (non-paiement de la CAF aux bénéficiaires du RSA) qui pourraient nuire à leur démarche d'insertion". Sauf que le pourrissement du dossier risque d'inciter certains départements à lancer des initiatives "sauvages" visant à faire de (maigres) économies sur le dos des allocataires. Le conseil départemental du Nord vient ainsi d'annoncer qu'il envisageait de réduire, voire de supprimer, le versement de ce revenu pour les allocataires qui ne chercheraient pas activement du travail, par exemple en n'étant plus inscrits à Pôle emploi.
Pour la gauche, il faut réinventer un modèle social
La gauche de l'ADF ne cache pas sa colère devant cette situation de blocage. "La droite a refusé tout accord, privilégiant une fois de plus les intérêts partisans et électoraux à ceux de nos concitoyens les plus fragiles", accuse Stéphane Troussel, à la tête d'un des départements les plus en difficulté, la Seine-Saint-Denis. Le groupe de gauche estime que l'échec de ces négociations met en danger les départements. "Les inégalités vont continuer à se creuser et le budget des départements sera toujours plus compliqué à construire", pronostiquent les élus de gauche pour qui l'urgence est maintenant de "réinventer un modèle social et des politiques de solidarité", en s'inspirant de la proposition de Christophe Sirugue d'une allocation de solidarité unique et universelle.
Un fonds d'urgence ou de compensation
Alors maintenant que va-t-il se passer ? Rien de fondamental ne bougera d'ici les élections de 2017. "L'ADF, explique son président, va décider lors de son prochain congrès, d'une plate-forme sociale qu'elle soumettra aux candidats démocrates à la présidentielle." Il est peu probable que gauche et droite de l'ADF se mettent d'accord sur un texte alors que le débat sur le RSA a mis clairement à nu des éléments de clivage.
En attendant, gauche et droite veulent se retrouver pour demander un "plan de compensation pérenne conséquent" pour aider les départements à passer l'année (nombre d'entre eux n'ont budgété que 11 mois de RSA). Dans son communiqué, Manuel Valls parle d'un "fonds d'urgence" pour 2016, sans en dire plus. En 2015, 10 départements ont bénéficié d'une aide exceptionnelle de 50 M€. "Une quarantaine de départements sont en difficulté", estime Dominique Bussereau. A moins de 200 M€, une nouvelle bataille pourrait s'engager entre les départements et l'Etat. Comme ce dernier voulait mettre 700 M€ sur la table pour la renationalisation du RSA, l'abandon de ce projet va lui faire faire de sérieuses économies...
(1) Selon les chiffres de l'Odas, les concours de l'Etat sont passés entre 2009 et 2015 de 5,17 Md€ à 5,6 Md€ quand la dépense nette grimpait de 6,55 Md€ à 9,84 Md€.