La récente étude sur les prud’hommes (*), qui pointait la baisse continue des affaires mais aussi l’allongement de la durée des jugements pour des affaires de plus en plus complexes, nous a donné envie d’entendre un conseiller prud’homme nous parler de son mandat de juge du travail. Voici donc l’interview d’Hubert Cormau, conseiller prud’homal au Mans dans la section encadrement.
Diplômé de l’école nationale de Brest d’électronique, Hubert Cormau a travaillé dans les câbles optiques avant de rejoindre Philips et son site de téléphonie mobile au Mans. Un site qui a changé plusieurs fois de mains avant d’être repris par STMicroelectronics. Dans cette UES où il est ingénieur développement en micro-logiciel, Hubert Cormau est devenu délégué syndical CFE-CGC puis conseiller prud’hommes. Il est aujourd’hui détaché à temps plein et assume d’autres responsabilités : il est négociateur paritaire du syndicat métallurgie CFE-CGC de la Sarthe, président du conseil juridictionnel de la fédération métallurgie, et a un mandat syndical, pour la partie électronique et technologies de l’information et de la communication, au sein d’IndustriALL Europe, qui fédère les grandes organisations syndicales dans de nombreux secteurs industriels. Nous l'interrogeons ici essentiellement sur son rôle de conseiller prud'hommes.
Au départ, par inquiétude pour l’avenir de mon site et de ses emplois. En 2001, alors que je venais d’être embauché sur le site du Mans de Philips, un projet de fermeture a été annoncé. Je me suis rapproché du délégué syndical CFE-CGC qui était aussi le responsable d’une équipe avec laquelle je travaillais.

En 2004, il m’a proposé d’aider à distribuer les livres de la médiathèque du CE et l’année suivante, il m’a proposé d’adhérer et d’être candidat aux élections professionnelles en tant que délégué du personnel. En 2010, je l’ai remplacé en devenant délégué syndical CFE-CGC. J’ai participé au travail de refonte des accords d’entreprise quand nous sommes passés de NXP à STEricsson au sein du groupe STMicroelectronics, et nous avons dû aussi faire face à 5 plans de départs volontaires entre 2008 et 2015. En 2012, le président du syndicat CFE-CGC de la métallurgie de la Sarthe et de la Mayenne m’a proposé de l’accompagner pour les négociations paritaires sur la convention collective, ce qui a conforté mes connaissances juridiques. Et, en 2018, je suis devenu juge aux prud’hommes du Mans. La CFE-CGC cherchait des candidats, et comme je travaillais de plus en plus sur le code du travail et le droit, j’ai eu envie de découvrir les prud’hommes.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
De sauter dans le grand bain sans les bouées ! Dès le début, j’ai été désigné par l’assemblée générale du conseil du Mans en tant que référiste, donc en charge des référés, et j’étais assesseur dans la section encadrement. J’ai donc vu tout de suite qu’il y avait beaucoup de choses à apprendre !

En plus du code du travail, il fallait se familiariser avec le code de procédure civile. Aujourd’hui, après avoir été pendant deux ans président de la section encadrement, je suis redevenu assesseur. Au Mans, nous sommes 66 conseillers sur 70 au total, car il manque 4 conseillers du collège employeurs actuellement (*).
Dans la section encadrement, nous faisons face à une complexité croissante des textes de loi et des décisions de jurisprudence. Et il y a aussi une utilisation de plus en plus "technique" par les avocats des possibilités de contournement du barème qui encadre les dommages et intérêts des salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans deux affaires sur trois concernant la contestation d’un licenciement, nous voyons des demandes d’indemnités liées à la contestation du forfait jours et des demandes d’indemnités relevant d’un harcèlement moral. Il s’agit pour les avocats d’obtenir des indemnités supplémentaires à celles prévues par le barème en démontrant que le licenciement a été violent et vexatoire.
Tout dépend du cas de figure ! Quoi qu’il en soit, cela crée des dossiers très épais, beaucoup plus longs à juger. Il y a des pièces supplémentaires fournies au titre des différentes demandes, et ces documents requièrent de notre part davantage de temps pour les examiner. Les anciens conseillers de la section encadrement m’avaient prévenu de cette évolution. Notre vice-président du Conseil, qui est dans la section encadrement, estime que le temps de rédaction des jugements a au moins doublé ces dernières années du fait du nombre de demandes auxquelles il faut répondre de façon motivée pour chaque dossier.
En effet. Au Conseil du Mans, le nombre d'affaires nouvelles a baissé de 1% entre 2021 et 2022 dans la section encadrement, contre une baisse de 12% par exemple dans l'industrie. Cela étant, le nombre de dossiers dans la section encadrement a augmenté d'environ 30% au premier semestre 2024 par rapport à la même période en 2023, et il s'agit souvent de contestations de licenciements. Cela pourrait s'expliquer par une plus grande difficulté des entreprises industrielles, avec des affaires en augmentation devant le tribunal de commerce. Par ailleurs, les cadres, dont les litiges peuvent représenter des sommes importantes, saisissent davantage les avocats de leurs demandes.
J’aurais tendance à vous répondre oui. La complexité pour saisir le conseil, dès le départ, peut faire peur aux salariés, et d’ailleurs beaucoup moins de salariés sont assistés par un défenseur syndical. En outre, recourir à un avocat représente un coût.

Malheureusement, cette évolution n’est pas étonnante. Elle s’accompagne d’un autre changement qui m’inquiète : ce sont les dispositions prévues par la dernière loi qui a touché aux prud’hommes. Le législateur a fixé une limite d’âge (de 75 ans) pour les conseillers et un maximum de cinq mandats (lire notre article), ce qui va poser à mon avis d’énormes difficultés, notamment du côté patronal. Tout se passe comme si on voulait supprimer le système paritaire de règlement des conflits entre employeurs et salariés. Sans parler des critiques continues contre notre travail, au motif que nous ne sommes pas des juges professionnels.
En effet, un conseiller doit suivre une formation initiale à l’École nationale de la magistrature, une formation de 3 jours en distanciel et 2 jours en présentiel. Et ensuite, nous avons la possibilité d’avoir 6 semaines de formation continue par mandat (**) soit 36 jours (art. L. 1442-2 du code du travail), dans la limite de 2 semaines par an, soit 12 jours (art. D.1442-7). Rappelons que nous sommes des salariés, qui avons pris des mandats pour représenter le personnel, et donc que nous avons déjà dû travailler sur le droit.

Entre conseillers, nous nous entraidons pour apprendre, à la fois entre conseillers du même collège salariés mais aussi entre conseillers du collège salarié et conseillers du collège employeur. Par exemple, en 2023, j’ai aidé tous les nouveaux conseillers de la section encadrement. Et à mes débuts en 2028, c’est un conseiller employeur qui m’a formé, notamment sur l’écriture des jugements de référé.
Oui, c’est une règle posée dès le départ : nous devons rendre la justice au nom des citoyens, et non pas défendre par principe un employeur ou un salarié. Bien sûr comme jeune conseiller, on ne maîtrise pas cette règle au début, mais cela vient avec l’expérience. On apprend à se positionner en fonction des éléments du dossier et des pièces apportées par les deux parties, mais aussi de la loi, de la jurisprudence. En délibéré, nous sommes quatre autour la table, et il faut que nous soyons au moins trois à être d’accord pour rendre un jugement. Cela demande du temps pour aller chercher dans le dossier les éléments qui vont motiver la décision. C’est un système de compromis dont les politiques pourraient s’inspirer, soit dit en passant.
Entre conseillers, et je ne parle pas ici des échanges que nous pouvons avoir au sujet de l’application de telle ou telle loi, il peut nous arriver, comme n’importe quels citoyens, de discuter de la situation politique, mais c’est en dehors des audiences. En revanche, il arrive que des avocats utilisent certaines références à la politique lors de leurs plaidoiries. Si ces propos n’ont aucun rapport avec le dossier examiné, les conseillers n’en tiendront pas compte.
Nous manquons toujours de greffiers au regard de la quantité de travail. A la cité judiciaire du Mans, il nous faudrait 10% de greffiers supplémentaires. Aux prud’hommes, il y avait 4 greffiers, ils ne sont plus que 2.
Cela compte bien sûr, mais les avocats utilisent très souvent la demande de renvoi pour faire durer les dossiers.

Par exemple, c’est l’avocat d’un employeur qui ne respecte pas les délais que nous avions fixé en bureau d’orientation et de conciliation et qui renvoie ses conclusions seulement quelques jours avant l’audience, ce qui conduit l’avocat du salarié à demander un renvoi pour avoir le temps d’analyser et de répondre aux conclusions de la partie adverse. Et ainsi de suite...Je précise qu’au conseil du Mans, nous ne faisons pas de mise en état des dossiers. D’ailleurs, les conseils qui pratiquent cette mise en état ne sont pas davantage épargnés par les demandes de renvoi et donc par des délais très longs.
Tout à fait ! Cela permet d’approfondir le droit, ce qui permet ensuite de mieux accompagner les salariés dans ses différents mandats. J’ai d’ailleurs été moi-même désigné référent juridique de l’union départementale CFE-CGC de la Sarthe, je réponds à certaines demandes et j’oriente les autres vers des juristes.
(*) Voir notre article "Contentieux prud’homal : des affaires en baisse, mais plus techniques, et qui demandent toujours plus de temps"
(**) Ce calcul en jours résulte d'une décision de la Cour de cassation du 19 novembre 1996 : le législateur, en accordant aux conseillers prud'hommes pour les besoins de leur formation des autorisations d'absence dans la limite de 6 semaines par mandat pouvant être fractionnées, a entendu leur accorder, le repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives étant exclu, une durée de 6 jours de formation pendant 6 semaines, soit 36 jours au total.
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