La sophrologie, remède au mal-être des salariés ?

04.07.2023

Représentants du personnel

Certains CSE proposent aux salariés des séances de sophrologie individuelles ou collectives via leurs ASC (activités sociales et culturelles). Stress, douleurs, sommeil, les bénéfices sont nombreux. Attention cependant à ce que l'arbre du bien-être ne cache pas la forêt des mauvaises conditions de travail.

Respirez, fermez les yeux et imaginez-vous dans un endroit accueillant. Vous venez de commencer une séance de sophrologie (1). Proche de la méditation de pleine conscience, elle s'en distingue par un travail de visualisation plus important mais vise tout autant à réduire le stress et les tensions musculaires. Comme le yoga, la sophrologie est apparue il y a plusieurs années dans les activités sociales culturelles proposées aux salariés. Comment ces derniers accueillent-ils ces activités ? Que peuvent apporter les sophrologues à des travailleurs sous pression ? Qu'en pensent les spécialistes de la QVT (qualité de vie au travail) ? Comment les élus combinent ces activités avec celles qui maintiennent le pouvoir d'achat ? Enquête.

Détente, sommeil, confiance en soi 

“La plupart des salariés découvrent la sophrologie, mais tous y adhèrent !”, nous assure Christelle Perrin, sophrologue installée depuis 2019 à La Roche-sur-Yon, en Vendée. La professionnelle de la discipline reçoit des salariés en séance individuelle ou collective, et a signé un partenariat avec le CSE de l’entreprise alimentaire Fleury Michon. “Les salariés souffrent de stress, de pertes de confiance en eux, de troubles du sommeil. On essaie de travailler tout ça avec des techniques simples de respiration contrôlée, de visualisation et de détente musculaire”, explique la sophrologue qui constate une tendance stable de la demande de prestations, sans hausse particulière ces dernières années. 

 

 Je ne m'attendais pas à cet engouement

 

Pas de tendance à la hausse ? A l’autre bout de la France, en Alsace, près de Sélestat, la sophrologue Noémie Walter n’est pas de cet avis. “Deux de mes ateliers sont de plus en plus demandés : «Trouver les moyens de se recentrer» et «Améliorer sa confiance et son estime de soi». Je ne m’attendais pas à cet engouement”, reconnaît cette ex-salariés de Socomec, une entreprise d’infrastructures électriques où elle dispense désormais ses séances de sophrologie.

“Ayant travaillé dans l’entreprise, j’en connais les rouages. Le plus important est de mettre les salariés en confiance pour faciliter leur parole. Je leur fais cependant signer un engagement de confidentialité, afin que les propos échangés pendant les séances collectives restent dans le groupe”. 

De l'avis de ces deux sophrologues, l'activité permet de réduire le stress et les salariés en redemandent. La sophrologie libère leur parole, aussi bien sur le travail que sur des sujets plus personnels. Mais pour d'autres professionnels du bien-être des salariés, cette discipline ne doit pas se poser en alpha et oméga de la qualité de vie au travail.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Un levier de prévention tertiaire 

Psychologue du travail, Daphnée Breton apporte un regard critique sur l’utilisation de la sophrologie. Non qu’elle n’apporte rien au salarié, mais en raison de sa place parmi les leviers de prévention tertiaire.

 

 Ne pas oublier les obligations de l'employeur

 

“Le développement de la sophrologie est en lien avec la dégradation des conditions de travail ces dernières années. Les élus de CSE tentent de multiplier les leviers de prévention à leur disposition mais il ne faut pas oublier les obligations de l’employeur sur la santé et l’organisation du travail. Le législateur lui demande quand même de supprimer les risques et d'adapter le travail. La sophrologie constitue le dernier plan de prévention, elle fera tenir un peu plus longtemps des personnes exposées à des risques professionnels, mais à long terme ils ne pourront tenir si les moyens organisationnels (effectifs, environnement de travail, rémunération, moyens matériels) ne sont pas suffisants”.  

La psychologue admet cependant qu'un(e) sophrologue bien formé à la souffrance au travail peut permettre aux salariés de faire le lien entre une douleur chronique et leur activité professionnelle.

Des salariés simples consommateurs ?

L'avocate Rachel Saada est engagée dans la défense des salariés et des représentants du personnel depuis quarante ans. Elle constate une hausse du malaise au travail depuis environ cinq ans : "Les gens sont en apnée permanente. On ne peut plus discuter des conditions de travail dans l'entreprise qui devient peu à peu un univers totalitaire". Une situation qu'elle relie à la disparition du CHSCT avec les ordonnances Macron de 2017.

 

La sophrologie ne s'intéresse pas à la charge de travail 

 

 

L'avocate craint que la sophrologie renvoie à la responsabilité individuelle du salarié envers son mal-être. "Cela constitue à peine de la prévention tertiaire, voire même pas, puisque ça ne s'intéresse pas à la charge de travail du salarié. C'est en tout cas la démonstration que les Français vont mal au travail ", affirme-t-elle.

Rachel Saada fustige également le développement des conciergeries en entreprises, un ensemble de prestations de services personnels comme du pressing, une retoucherie, une gestion d'agenda, une aide aux démarches administratives ou encore la livraison de courses. "Le message de l'employeur, c'est de dire comme vous n'avez plus de temps personnel en dehors de votre travail pour gérer votre vie, je vous propose un service pour le faire à votre place", s'agace l'avocate qui regrette que les salariés soient ainsi placés en position de consommateurs de services. Elle comprend cependant que les CSE se sentent démunis face au malaise des salariés.

Le point de vue d'un CSE : ne pas laisser l'employeur préempter les activités sociales

Lilian Nobilet est directeur de l'important CSE de Michelin, à Clermont-Ferrand. L'instance proposait déjà depuis plusieurs années une ASC de "sophroballade" sous la forme de randonnée le weekend. Cette année, la même sophrologue a mis en place deux ateliers d'une douzaine de personnes qui rencontrent un franc succès : ils sont complets.

"Ce fut un concours de circonstances. Dans le contexte post-Covid, nous avons remarqué que l'entreprise était devenue sensible au bien-être au travail, la direction souhaitait que les salariés aient plaisir à revenir sur site après le développement du télétravail. Il y a eu une dynamique liée à la qualité de vie au travail (QVT). Au CSE, nous nous sommes un peu inquiétés : on voyait l'employeur organiser des afterworks, des concerts et plein d'activité sous couvert de qualité de vie au travail. De plus, cela empiétait sur les ASC (activités sociales et culturelles). A un moment, nous avons dit stop : ces activités relèvent des prérogatives du CSE et nous avons affirmé notre territoire d'activités", nous raconte-t-il.

 

 Ne pas instrumentaliser le temps libre

 

 

Le CSE doit selon lui rester vigilant sur ce qui relève du temps libre ou pas, afin notamment de ne pas laisser instrumentaliser l'activité au regard de la seule reconstitution de la force de travail : "La finalité est que les salariés bénéficient d'un temps de ressourcement, de reconstruction de soi, mais pas adossé à une instrumentalisation de leur temps libre. Nous avons eu des débats en interne sur la mise en place de cette activité et nous avons conclu qu'il valait mieux que le CSE s'en occupe afin de rester vigilants". C'est pourquoi le CSE s'est organisé avec la sophrologue qui suit les salariés : si elle repère une situation de mal-être trop importante, notamment lié aux conditions de travail, elle en alerte le salarié concerné puis les élus (dans le respect de la confidentialité) afin que des solutions soient étudiées.

Lilian Nobilet note par ailleurs que la demande des salariés en faveur d'actions du CSE plus favorables au maintien de leur pouvoir d'achat existe toujours, "y compris de la part des élus, et il n'est pas toujours simple d'y résister…".

Tout est donc affaire d'équilibre dans la proposition d'activités de bien-être par le CSE. Les élus sont fondés à tenter d'améliorer la santé physique et mentale des salariés, à condition de continuer d'accompagner les salariés en difficulté dans leur travail.

 

(1) La sophrologie est définie dans les dictionnaires comme "un ensemble de pratiques visant à dominer les sensations douloureuses et les malaises psychiques, afin d'atteindre un développement plus harmonieux de la personnalité". Certains diplômes de sophrologie sont reconnus par l'Etat, lorsqu'ils permettent d'accéder à une Certification professionnelle de sophrologue reconnue par le Répertoire national des certifications professionnelles. Les séances de sophrologie ne sont pas reboursées par la Sécurité sociale mais par certaines mutuelles.

Marie-Aude Grimont
Vous aimerez aussi