L'élection à la présidence des Etats Unis du Républicain Donald Trump marque un tournant dont il faudra mesurer toutes les conséquences au niveau international. Mais il faut déjà s'attendre outre-Atlantique à un changement net de la façon dont la présidence américaine considère les organisations syndicales et les droits des travailleurs à s'organiser et à se défendre collectivement. L'Europe va devoir défendre son modèle social.
Sous la présidence de Joe Biden, et dans un contexte de forte inflation, la Maison Blanche a multiplié les gestes de soutien au monde syndical. Le président sortant américain s'est ainsi rendu en septembre 2023 sur un piquet de grève pour appuyer la demande d'augmentations salariales des employés de General Motors, Ford et Stellantis à Detroit, dans le Michigan.
Il a aussi, à plusieurs reprises, soutenu l'action des syndicats en faveur des droits des salariés. C'était assez inhabituel dans un pays où le droit syndical s'avère restrictif. Pour qu'un syndicat s'implante dans une entreprise, il faut en effet que l'organisation syndicale obtienne déjà la signature favorable de 30 % des salariés du site concerné et ensuite que le syndicat gagne le référendum organisé dans l'entreprise sur cette arrivée syndicale en obtenant plus de 50 % des suffrages. Cela peut donner lieu à de multiples entraves et intimidations de la part des employeurs hostiles à toute présence syndicale. S'ajoutent à cela des conditions supplémentaires dans certains États.
Bref, cela relève d'un parcours d'obstacle qu'une organisation ne peut engager sans s'y être soigneusement préparée et non sans risques. On l'a vu chez Amazon, où l'implantation syndicale sur un site new-yorkais a été saluée comme une victoire par Joe Biden mais cette implantation a aussitôt été contestée par l'employeur. On l'a vu aussi avec les tentatives de l'UWA (*) de s'implanter chez les constructeurs automobiles étrangers installés dans le Sud des États-Unis : "Cette offensive s’est jusqu’à présent soldée par une victoire chez Volkswagen suivie par une défaite chez Mercedes-Benz", souligne dans une de ses chroniques internationales la chercheuse de l'Ires, Catherine Sauviat.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Il est donc certain que cette orientation de Joe Biden, dont le Monde a souligné qu'elle n'avait pas suffi à relancer la dynamique syndicale aux Etats Unis, ne sera pas celle de Donald Trump, dont l'entrée en fonction aura lieu en janvier 2025 pour les quatre prochaines années.
Bien que ce dernier ait tenté de rallier le soutien d'organisations syndicales comme les routiers (qui ont quitté la confédération de l'AFL-CIO), le nouveau président américain prône un libéralisme sans entraves au nom du pouvoir d'achat, accompagné d'une remise en cause des prérogatives de contrôle des administrations. Pendant la campagne, il a ainsi promis une défiscalisation des heures supplémentaires mais aussi des pourboires.
C'est dans le droit fil de sa précédente présidence (2017-2021) lors de laquelle, souligne le site The Conversation, l'impôt moyen des ménages a baissé de 8 % et l'impôt sur les sociétés abaissé de 35% à 21%. Si ces mesures ont alourdi la dette publique américaine (payée en partie il faut bien le dire par le reste du monde via les obligations), elles ont aussi favorisé une forte croissance économique, dopée par les mesures de dérégulation.
Ajoutons qu'Elon Musk, le patron de Tesla, de SpaceX mais aussi du réseau social X (ex-twitter), a acquis auprès de Donald Trump une place influente, et que l'on connaît l'hostilité du milliardaire aux organisations syndicales dans ses entreprises.
Chez Tesla, le constructeur de voitures électriques qui comporte des usines à l'étranger, la volonté de l'entrepreneur américain de remettre en cause les négociations collectives a provoqué une grande grève en Suède. Comme un choc des cultures entre les Etats Unis et l'Europe. Commentaire sur le réseau social Linkedin de ce mouvement par le chercheur Olivier Alexander : "Pour Elon Musk, les syndicats sont un frein à l’initiative individuelle, à la liberté d’entreprendre, à la réussite, à l’enrichissement au sein de l’entreprise. Sa vision s'oppose radicalement à la tradition suédoise et plus généralement scandinave, qui consacre les conventions collectives et la syndicalisation. A travers ce mouvement se pose une question : les entreprises de la Tech sont-elles compatibles avec les modèles mutualistes européens ou au contraire vont-elles remettre en cause durablement leurs fondements ?"
Il est sûr qu'avec Trump, les Etats Unis ne pousseront guère en faveur d'un renforcement de l'influence de l'Organisation internationale du travail (OIT), et que les entreprises américaines peu soucieuses des libertés individuelles et collectives pourront estimer avoir les coudées franches.
Cela étant, cette nouvelle présidence américaine, qui a repris le contrôle du Sénat (l'une des deux chambres du Congrès, le Parlement américain) et qui dispose d'une majorité de juges acquis à sa cause au sein de la Cour suprême, peut-elle avoir une influence réelle au-delà des frontières US en matière de droit du travail ? C'est ce que craint Branislav Rugani, secrétaire confédéral FO en charge des questions européennes et internationales : "Les relations commerciales entre les pays et les droits des travailleurs étant toujours intrinséquement liées, cette élection représente une menace pour la démocratie et pour les droits des travailleurs".
Et le syndicaliste français de s'expliquer : "On l'a bien vu avec le conflit provoqué dans les pays nordiques par Elon Musk : les multinationales américaines implantées en Europe et en France peuvent être tentées d'exporter leur modèle assez autoritaire, et de ne pas tenir compte des règles sociales ni de nos modes de régulation par la convention collective".
Il est à craindre, en tout cas, qu'un renforcement agressif par Donald Trump de l'attractivité de l'économie américaine, avec des mesures type dumping fiscal, plan massif de relance ou restrictions des importations, n'incite des entreprises implantées en Europe à envisager plutôt de développer leurs activités outre-Atlantique, notamment dans la recherche et développement. Certains grands groupes (Airbus, Sanofi, etc.) ont en tout cas déjà cherché à se concilier le camp Trump en finançant certains candidats, comme l'a montré l'Observatoire des multinationales.
Un risque auquel, en revanche, ne croit pas Branislav Rugani : "L'élection américaine met au défi la commission européenne de défendre notre modèle social. Je crois par ailleurs que les entreprises françaises vont rester en France et faire front face aux Etats Unis pour défendre la vision européenne". Ce dernier observe également avec intérêt la réaction des syndicalistes américains face au choc de l'élection de Trump : "Depuis son élection à la tête de l'AFL-CIO en 2022 (**), Liz Shuler a impulsé une dynamique en menant de nombreux combats pour s'implanter dans les entreprises. La victoire de Trump ne peut que la conforter dans l'idée qu'il faut se battre pour faire respecter les droits des travailleurs".
(*) UWA : United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers of America. Ce syndicat de l'automobile ne compte plus en 2023 que 370 239 membres actifs, contre près de 672 000 en 2000, un déclin qui explique ses tentatives d'implantation afin de renverser la vapeur. Lire l'analyse de Catherine Sauviat.
(**) AFL-CIO : fédération américaine du travail, congrès des organisations industrielles. Principal regroupement des syndicats outre-Atlantique, l'AFL-CIO rassemble 12,5 millions d'adhérents d'une soixantaine de syndicats aux Etats Unis et au Canada.
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