"L’accord va permettre à 700 000 voire un million de salariés de bénéficier, à partir de 2025, d’un système de partage de la valeur"

"L’accord va permettre à 700 000 voire un million de salariés de bénéficier, à partir de 2025, d’un système de partage de la valeur"

27.02.2023

Gestion du personnel

Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale CFE-CGC et cheffe de file de la négociation sur le partage de la valeur, explique les raisons de la signature de l’ANI. Parmi les satisfécits, l’élargissement des systèmes de partage de valeur aux entreprises de 11 à 49 salariés, une plus large de conditionnalités sur les aides publiques accordées aux entreprises et la gouvernance des fonds de l'épargne salariale.

Quelle est votre position sur l’ANI sur le partage de la valeur ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le comité directeur de la CFE-CGC a décidé, hier, de signer l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur (*). Le grand apport de l’accord est qu’il va permettre à un nombre conséquent de salariés (entre 700 000 et un million d’après nos estimations) de bénéficier à partir de 2025 d’un système de partage de la valeur.

Cet accord est aussi pour la CFE-CGC la preuve qu’il est possible de demander aux entreprises des contreparties en échange des aides publiques qu’elles perçoivent. La prime de partage de la valeur votée dans le cadre de la loi sur le pouvoir d’achat cet été, est assortie d’une exonération de cotisations sociales accordées aux entreprises. Jusqu’ici, il n’y avait aucune contrepartie. Désormais aux 603 millions accordées aux entreprises de moins de 50 salariés en 2022 (d’après nos calculs), il y a en face, cette obligation de mettre en place un système de partage de la valeur.

Pour la CFE-CGC, cet accord ouvre donc la voie vers une mise en œuvre beaucoup plus large de conditionnalités sur les aides publiques accordées aux entreprises. Ces dernières représentent d’après une étude récente de l’Ires (Institut de recherche économique et social) plus de 150 milliards par an, et elles sont financées par la collectivité. Ces conditionnalités peuvent trouver différentes formes, comme le maintien de l’emploi, le taux d’emploi des séniors, la réduction des émissions de CO2 pour citer quelques exemples d’actualité. C’est le meilleur moyen pour la CFE-CGC d’assurer l’efficacité de ces aides et de rendre notre économie plus résiliente.

L’autre avancée pour la CFE-CGC concerne l’épargne salariale, avec d’une part l’obligation de proposer au moins deux fonds labéllisés pour orienter l’épargne vers des investissements socialement responsables, et d’autre part informer les salariés via les conseils de surveillance des fonds, des votes exercés en assemblée générale d’entreprise par les sociétés de gestion au nom des salariés épargnants.

Quelles sont vos réserves ?

A ce jour nous n’avons plus de réserves dans la mesure où nous avons pu chiffrer le nombre de salariés qui vont pouvoir bénéficier de l’accord. Nous avons par contre des regrets, car ce texte aurait pu être plus ambitieux en particulier en abordant la question des salaires. Il faut rappeler que nous nous sommes concentrés sur la lettre de cadrage du ministre du travail qui a réduit le périmètre de la négociation, en se focalisant sur les petites entreprises et sur le partage des profits plutôt que sur le partage de la valeur. Ce dernier recouvre une notion économique plus large et englobe la question des salaires et des revalorisations salariales, de la fiscalité ainsi que le sujet des investissements. Ce dont nous n’avons pas débattu, excepté dans le chapitre concernant l’information.

Après la question des salaires qui n’a pas été traitée comme elle aurait due, l’autre déception concerne la non prise en compte de notre proposition sur la délibération annuelle sur le partage de la valeur au sein de la gouvernance des entreprises. Nous sommes convaincus que cette disposition venait compléter très utilement l’article L.3314-10 du code du travail qui prévoit que c’est le conseil d’administration ou d’orientation qui accorde un dispositif d’intéressement. Pour la CFE-CGC si nous voulons réellement agir sur les "super dividendes", c’est au sein de la gouvernance des entreprises, le lieu de décision des dividendes proposés en assemblée générale des entreprises. Avec une telle délibération les administrateurs seraient mis en responsabilité sur l’équilibre global du partage de la valeur, en particulier au regard de la répartition avec les salariés et l’entreprise (avec les investissements).

Selon Elisabeth Borne, l’accord devrait être transposé dans un projet de loi sur le plein emploi, au printemps. Quels sont les thèmes que vous aimeriez voir défendre par les parlementaires ? Quels sont les points perfectibles ?

Nous continuerons de porter la question des salaires, avec deux points très spécifiques à la CFE-CGC : le premier qui défend la mise en œuvre d’un véritable pacte de progression salariale, avec une clause de revalorisation et de "sauvegarde" des minima de grilles salariales pour éviter le resserrement des rémunérations entre les catégories professionnelles ; et le deuxième qui doit acter que toute prise de responsabilité (promotion) s’accompagne d’une revalorisation salariale. Nous rencontrons de plus en plus de salariés qui sont promus sans augmentation. C’est inacceptable et contre-productif : in fine, les salariés vont valoriser leur promotion à l’extérieur de l’entreprise.

S’agissant de la participation, nous préconisions une révision de la formule de participation pour qu’elle soit adossée au bénéfice comptable et non plus fiscal. Trop d’entreprises pratiquent des opérations fiscales minorant le bénéfice imposable et donc la participation. Cela revient à spolier de leur travail les salariés du pays à l’origine de la création de valeur.

A ce titre, nous demandons, comme François Hommeril l’a rappelé dans une tribune des Echos, du 14 février, l’abrogation de l’article L 3326-1 du code du travail qui prévoit que le calcul de la réserve de participation, certifié par une attestation du commissaire aux comptes, ne peut pas être mis remis en cause, même en cas de fraude. Ce point essentiellement fiscal, ne rentrait pas dans le périmètre de la négociation, aussi nous le portons dans le cadre du débat parlementaire. Cet article prive bon nombre de salariés dans leurs droits à bénéficier de la participation, du fait de l’état actuel de la mondialisation et des comportements de certains groupes qui transfèrent les bénéfices créés en France vers des pays à la fiscalité attrayante.

Les salariés des entreprises comme Rank Xerox, Liaisons sociales, Procter et Gamble, General Electric ou encore Mc Donald’s l’ont appris à leurs dépens.

Nous militons également pour l’enrichissement du décret du 26 novembre 1987 qui liste les établissements publics et entreprises publiques soumis aux dispositions concernant la participation. Certaines entreprises publiques comme RTE n’y figurent pas et doivent être ajoutées. L’Etat doit être exemplaire dans ce domaine. Il ne peut exiger des petites entreprises qu’elles mettent en place un dispositif de partage de la valeur, sans que les entreprises dans lequel il est lui-même actionnaire ne répondent aux même obligations !

Quels sont les points marquants du texte ?

Le cœur de la négociation porte sur l’élargissement des systèmes de partage de valeur aux entreprises de 11 à 49 salariés. C’est la grande avancée de l’accord qui d’après les calculs de la CFE-CGC sur les données Insee devrait permettre à un nombre conséquent de salariés (entre 700 000 et un million de salariés) d’accéder à un dispositif de partage de la valeur.

Il y a aussi un autre article porté par la CFE-CGC, qui peut passer inaperçu, alors qu’il n’a rien d’anodin. Il s’agit de l’article 34 sur la gouvernance des fonds. Jusqu’à aujourd’hui, les salariés qui investissent dans des FCPE diversifiés n’exercent pas directement leur droit de vote. C’est la société de gestion qui vote à leur place, sans qu’ils sachent les positions prises sur des sujets aussi importants que le montant des dividendes, la rémunération des dirigeants… Autant de votes en relation directe avec le partage de la valeur. Cet article prévoit une obligation pour les sociétés de gestion de rendre compte lors des réunions de conseil de surveillance des fonds sur les votes effectués. Les votes appliqués par les sociétés de gestion pourront ainsi devenir un critère de choix du gestionnaire de l’épargne salariale. Il est totalement en phase avec les aspirations de jeunes militants très soucieux d’aligner leurs actes (les votes associés à leur épargne) avec les valeurs qu’ils portent.

Le nouveau dispositif d’actionnariat salarié proposé par l’ANI est-il une avancée ?

Le dispositif auquel la délégation patronale tenait beaucoup est le "plan de partage de la valorisation de l’entreprise". Il s’agit d’un nouveau produit prenant la forme de "bons de partage de la valorisation" qui ne sont pas des valeurs mobilières. De mon point de vue, ce produit doit, en amont, recueillir l’aval des autorités compétentes, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) voir l’Autorité des marchés financiers (AMF) si le produit est lié au cours de bourse. Ces dernières pourraient se montrer prudentes.

De plus, contrairement à un salarié actionnaire, le salarié n’aura pas de droit de vote, il ne participera pas à la gouvernance de l’entreprise. Ce point est essentiel pour la CFE-CGC qui prône pour une plus grande participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Il est prouvé par l’étude de Céline Cézanne et de Xavier Hollandts que lorsque les salariés siègent au conseil d’administration, les dividendes accordées aux entreprises et les rachats d’action sont plus modérées et le partage de la valeur plus équilibré.

De plus comme nouveau produit, il faudra prévoir son intégration dans les FCPE, ce qui ne sera pas évident. La CFE-CGC connaît bien ce sujet. Nous avions porté dans le cadre de la loi Pacte, l’intégration des parts sociales (produits spécifiques aux coopératives) dans les FCPE. Nous l’avons obtenue, mais ce fût au prix d’un long parcours : il a fallu convaincre et expliquer.

Concernant les PME, à votre avis, combien d’entreprises de 11 à 50 salariés pourraient être concernées par le développement de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés ? Combien d‘entre elles réalisent un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives ?

Nous nous réjouissons de la généralisation - sous conditions - du développement de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés. Il est, toutefois, difficile d’avoir une évaluation précise du nombre d’entreprises concernées. Nous avons procédé à une évaluation. L’Insee répertorie 85 563 sociétés de cette taille, et l’on sait que 63 % des PME sont redevables de l’impôt sur les sociétés. D’après les conseillers entreprises de banque que nous avons pu interroger par enquête flash, c’est de l’ordre de 85 % des entreprises bénéficiaires, qui auraient un résultat supérieur à 1 % du CA. Il faut enfin soustraire à ce chiffre les PME qui sont, d’ores et déjà, dotées d’un dispositif d’épargne salariale, soit 19,5% d’après la Dares. Ainsi nous tombons sur un chiffre de 700 000 salariés éligibles, qui peuvent être à un million si nous retraitons les valeurs manquantes (celles qui n’ont pas renseigné leur effectif et catégorie juridique) sur le répertoire Insee.

Soulignons également que les grandes entreprises n’ont pas l’apanage du versement des montants les plus élevés. Selon une étude sur les composantes du coût du travail, réalisée par l’Insee, ce sont les structures de 250 à 499 qui versent le plus (1 359 euros rapporté à l’ensemble des salariés) quand celles de plus de 1 000 salariés octroient 1 249 euros. A l’autre bout du spectre les entreprises de 10 à 49 employées versent 347 euros, expliqué par le fait qu’elles ne sont que 19,5 % à offrir un dispositif d’épargne salariale. L’accord devrait permettre d’augmenter sensiblement ce chiffre et d’atteindre les 900 à 1 000 euros que connaissent les entreprises de la taille de 50 à 249 salariés.

Craigniez-vous que certaines mesures du futur projet de loi ne passent pas sous les fourches caudines du Conseil d’Etat ?

Effectivement. Le texte prévoit le maintien des mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, inscrites dans la loi du 16 août 2022, et le maintien du régime actuel pour les entreprises de moins de 50 salariés. Or, c’est le Conseil d’Etat qui avait exigé une version exceptionnelle jusqu’en 2023 et une autre avec une fiscalité identique à celle de l’intéressement à partir de 2024. Son argumentation reposait sur une inégalité de traitement devant la charge publique entre ceux percevant moins ou plus de trois Smic. Cette mesure introduit un effet de seuil donnant lieu à un écart important de rémunération pour les salariés touchant une rémunération quasi-semblable, mais placés de part et d’autre de ce plafond. C’est pourquoi l’avis du Conseil d’Etat pour ce dispositif qui concerne uniquement les entreprises de moins de 50 salariés sera à surveiller.  

Concernant l’axe 3 du document de cadrage, à savoir l’orientation de l’épargne salariale vers les grandes priorités d’intérêt commun, les mesures arrêtées vous satisfont-elles ?

Nous avons pesé pour promouvoir des labels comme le CIES (comité intersyndical d’épargne salariale), créé il y a plus de 20 ans et qui a contribué à l’essor de l’Investissement socialement responsable (ISR) en France ; et pour que les gestionnaires de fonds proposent dans les PEE et les PER en comptes titres au moins deux fonds qui prennent en compte de critères extra-financiers (exemples : fonds labéllisés ISR, GREENFIN, FINANSOL, CIES, France Relance). Ce que nous avons obtenu.

Aujourd’hui, l’investissement socialement responsable représente 40 % des encours de l’épargne salariale, hors actionnariat salarié. Mais nous pouvons aller plus loin.

L’autre avancée, qui était une demande CFE-CGC est le sujet de la gouvernance et des droits de vote, que j’ai évoqué précédemment.

Il est aussi à noter, la demande de déplafonnement à hauteur de la prime de partage de valeur (PPV) pour l’abondement unilatéral de l’employeur dans le cadre de l’acquisition d’actions d’entreprise, qui est aujourd’hui fixé à 2 % du PASS, soit proche de 900 euros. Enfin, nous avons demandé de préciser que la formation économique et financière prévue dans le cadre la loi Pacte pour les salariés siégeant dans les conseils de surveillance des fonds soit bien comptée comme du temps de présence, évitant comme nous avons eu le cas, que des militants soient obligés de prendre sur leurs congés pour se former !

 

(*) Lire notre brève dans l'édition du jour.

Anne Bariet
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