L'Ardoise, ou les déshérités de l'acier

L'Ardoise, ou les déshérités de l'acier

13.09.2021

Représentants du personnel

Un documentaire d'une heure, à écouter sur le site de France Culture, évoque l'histoire ouvrière d'une usine d'acier de l'Ardoise, dans le Gard. Poignant, désespérant et drôle.

A l'Ardoise, au cœur du vignoble des côtes du Rhône, sur la rive gardoise et languedocienne du Rhône, fut créée en 1952 une aciérie qui occupa 75 hectares. Il n'en reste plus grand-chose aujourd’hui (*), si ce n’est un crassier contenant des métaux lourds. « Ugine Aciers » a fermé définitivement en 2004 et un projet de panneaux photovoltaïques est en cours sur le site où furent fabriqués des alliages d’acier et de chrome d'une qualité qu'on disait exceptionnelle.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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C'était si dur et dangereux que je ne voulais pas y retourner 

 

« Le jour où je suis entré à l’usine, en 1956, nous étions 150 seulement à cette époque, c’était tellement difficile que, le soir, je ne voulais plus y retourner. On travaillait dans une chaleur épouvantable, sans sécurité, mais il y avait une telle solidarité », raconte un ancien ouvrier. Cette usine, qui fit vivre jusqu'à 2 000 familles, fut un haut lieu de l'histoire ouvrière et syndicale du midi de la France, avec une CGT puissante qui a compté, sur 1 800 salariés, jusqu’à 750 adhérents et 80 « collecteurs » du syndicat, et un comité d’entreprise qui finançait le club de foot. "Quand la direction sortait une note de service, à la CGT, nous publiions dans l'heure d'après notre propre note pour dire ce qu'on en pensait", rapporte un ancien syndicaliste.

Les relations familiales tournaient autour de l'usine 

 

Un enfant du pays, Stéphane Bonnefoi, dont le père et le grand-père, tous deux militants syndicaux (le "saint rouge", disait-on à propos du grand-père ou "papé"), ont travaillé à l’usine, est retourné dans son village, où coexistaient la légion étrangère et un camp de harkis, et a retrouvé des anciens, qui portent cette mémoire. Cela donne « Déshérités », un documentaire sonore de près d’une heure oscillant entre désespoir, ironie et humour. L'auteur y décrit un chien « long comme un jour de négociation » et détaille avec malice un repas "à la margarine" en présence d'un ancien responsable du parti communiste. « Les relations familiales tournaient autour de l’usine (…) Quand on sortait de l’usine, on était encore à l’usine », dit un ancien ouvrier.

On expose les outils de la peine, pas ceux de la révolte 

 

L’épilogue est triste à pleurer, lorsque l’auteur du documentaire décrit l’utilisation des primes de licenciement : « Le plus malin reprit un PMU et réussit sa reconversion en pompant la prime de ses anciens camarades à coup de demis et de tickets de la Française des jeux (..) Pour tous les autres, le chômage et la débrouille remplacèrent le salariat». Mais sa conclusion sonne juste : «Même débarrassée de la crasse et de la fatigue de ses ouvriers, L’Ardoise ne sera jamais semblable aux villages vignerons environnants, tirés au cordeau, avec leur lavoir restauré et leur socle de charrue repeint. On expose volontiers les vieux outils de la peine, surtout s’ils ne sont pas aussi ceux de la révolte ».

(*) La mémoire ouvrière est néanmoins toujours présente, comme dans ce site internet fait par un ancien de l'usine. EN 2012, le syndicat CGT de l'entreprise a par ailleurs remis toutes ses archives à l'institut d'histoire sociale de la CGT du Gard.

Les déshérités, une émission de la série Expérience, sur France Culture, 58 minutes. 

► A écouter en complément : notre podcast avec le témoignage de Jean-Louis Malys sur la restructuration de la sidérurgie dans l'Est de la France

Bernard Domergue
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