Laurent Berger quittera en juin le secrétariat général de la CFDT
19.04.2023
Représentants du personnel

Laurent Berger a annoncé hier lors du bureau national de la CFDT sa décision de quitter en juin prochain son mandat de secrétaire général de la confédération. Il souhaite que lui succède Marylise Léon, actuelle n°2 de la confédération. Cela créerait une situation inédite dans le syndicalisme français avec deux femmes à la tête des deux premières organisations.
Il aurait souhaité passer le flambeau plus tôt, dès 2022, mais les circonstances, avec notamment la crise de la Covid, l'avaient conduit à rempiler, et le deal avait été acté lors du congrès de la CFDT de juin 2022 à Lyon : Laurent Berger était reconduit à la tête de la CFDT mais il n'accomplirait pas tout son mandat. De là à penser qu'il rendrait le tablier dès 2023 en pleine crise sociale....Pourtant, Laurent Berger a annoncé hier au bureau national de la CFDT sa décision de quitter son mandat de secrétaire général dès le 21 juin prochain, ce qui coïncidera avec la fin de son mandat de président de la Confédération européenne des syndicats. "Ce n'est pas bien qu'une organisation s'incarne trop dans une seule personne (..) La période que nous vivons n'a pas pesé sur mon choix", affirme-t-il dans une interview vidéo diffusée sur le site de la CFDT.
Salarié d'une association d'insertion à Saint-Nazaire, Laurent Berger y avait créé une section syndicale, avant de rejoindre en 1996 la CDFT locale comme permanent, un parcours qui le conduira en 2003 au bureau national de la CFDT puis à la commission exécutive en 2009. Chargé de l'emploi et de la sécurisation des parcours professionnels, il devient secrétaire général adjoint en mars 2012 et succède à François Chérèque comme secrétaire général en novembre 2012.

"Il s'agit d'une décision mûrement réfléchie, arrêtée dès la fin 2021 avec mes collègues de la commission exécutive. Ce n'est ni un coup de tête ni un choix dicté par l'actualité. Je souhaite tout simplement respecter des règles collectives et une forme d'éthique personnelle, liées au fonctionnement démocratique de la CFDT (...) J'occupe ce poste depuis dix ans et demi, soit une durée proche de celle des mandats de mes prédécesseurs, François Chérèque et Nicole Notat", a-t-il confié au Monde.
Le syndicaliste âgé de 54 ans souhaite consacrer plus de temps à sa famille et ses amis et répète qu'il ne sera pas candidat à la présidentielle en 2027 ni ne s'engagera en politique, contrairement aux rumeurs qu'ont fait courir les macronistes. Il assure n'avoir "aucun point d'atterrissage professionnel ou militant" et indique qu'il choisira une activité qui ne gênera pas son successeur ni la CFDT. A ce propos, il souhaite que lui succède Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la confédération depuis 2018.
La CFDT revendique avoir engrangé 31 000 adhérents supplémentaires depuis le début de l'année. La crise des retraites a donné une nouvelle dimension au syndicat qui a dépassé, en 2017, l'audience de la CGT dans les entreprises privées, grâce notamment à une plus grande implantation dans les entreprises (*). Cette crise majeure a vu la CFDT rejoindre l'intersyndicale (aux côtés de la CGT, FO, CFE-CGC, SUD, CFTC, UNSA, etc.) et assumer une opposition frontale au report de l'âge de départ à la retraite (une position demandée par les militants lors du congrès de 2022), alors que la confédération avait vu d'un oeil favorable (avant que l'idée d'un âge pivot...à 64 ans ne modifie la donne) la précédente réforme systémique des retraites.
Ce faisant, la CFDT a fait un peu oublier à la fois les crises internes précédentes lors de certains appuis aux réformes (l'appui in extremis de François Chérèque à la réforme Fillon-Raffarin des retraites en échange de la reconnaissance des carrières longues) mais surtout les tensions passées avec les autres syndicats, notamment au moment de la loi travail de 2016, FO et CGT critiquant la logique d'inversion de la hiérarchie des normes, au contraire d'une CFDT pariant sur la négociation au niveau de l'entreprise. On peut estimer aussi qu'avec le mouvement des retraites, qui devrait culminer lors d'une manifestation unitaire du 1er mai, la CFDT prend une forme de revanche à l'égard d'un exécutif contre lequel elle n'a pas réellement pesé lors du premier quinquennat, le gouvernement d'Edouard Philippe prenant les syndicats de vitesse pour imposer à marche forcée une fusion des instances représentatives du personnel.
Dans notre podcast Le Micro Social, Jean-Claude Mailly, l'ancien secrétaire général de FO, avait d'ailleurs raconté les coulisses des tentatives de négociations menées de concert avec Laurent Berger pour tenter d'adoucir la potion des ordonnances (**). Reste que ce sujet n'est pas clos : les multiples évaluations et études sur les conséquences des ordonnances sur les IRP soulignent leurs effets négatifs. La relance du mouvement syndical et social a permis à Laurent Berger de réclamer une nouvelle fois à l'exécutif une modification des ordonnances travail de 2017 (voir les revendications exprimées lors du congrès de 2022).
Sous la houlette de Laurent Berger, la CFDT a également mené plusieurs enquêtes de grande échelle pour montrer les préoccupations des salariés (comme Parlons travail en 2017) et tenter ainsi de peser sur le débat public. Ces efforts ont abouti au lancement, en décembre dernier par le ministère du travail, des Assises du travail, mais ces échanges en vue d'une éventuelle loi travail ont été pour le moins "pollués" et relegués au second plan par le projet sur les retraites.
La tâche qui va échoir à Marylise Léon si les instances de la CFDT confirment ce choix, sera lourde. Il ne lui sera sûrement pas facile de succéder à un syndicaliste qui maîtrisait ses dossiers et qui était devenu un communicant redoutable : il a réussi à imposer la CFDT au centre du jeu social à la française (mais Laurent Berger lui-même succédait à un François Chérèque qui n'était pas maladroit dans l'exercice) tout en inaugurant une forme d'entente cordiale au sommet avec la CGT et en s'ouvrant à la société civile via le Pacte du pouvoir de vivre.
Elle devra également poursuivre ce développement syndical encore inachevé aux yeux de Laurent Berger : "On a un problème de syndicalisation dans notre pays. On a essayé de faire des efforts, mais ça n'a pas toujours payé", dit-il dans son interview au Monde, comme en écho aux derniers chiffres de la Dares montrant que la France compte moins de 8% de salariés syndiqués dans le privé.
Il faudra aussi que Marylise Léon trouve une porte de sortie à la crise sociale liée au conflit des retraites. Cette crise a vu s'accumuler les mots pas très doux entre le président de la République et Laurent Berger, comme si le premier voyait ou feignait de voir un concurrent dans le deuxième, et comme si le deuxième s'agaçait de voir les multiples mains tendues à l'exécutif par la CFDT n'être jamais payées en retour. De fait, Emmanuel Macron, en dépit de son élection face au Rassemblement national et malgré la faiblesse de sa majorité relative, n'a pas dévié de ses choix initiaux, comme on a pu encore le voir récemment au sujet de l'assurance chômage et de l'abandon de poste.
Titulaire d'un DESS chimie, Marylise Léon a travaillé dans plusieurs entreprises comme responsable hygiène sécurité avant d'entrer à la CFDT en 2003 comme salariée de la fédération chimie. Elle a alors formé de nombreux délégués syndicaux avant de rejoindre, en 2014, la commission exécutive de la confédération, et de devenir la n°2 en 2018, menant pour son syndicat plusieurs négociations dont celles sur les institutions représentatives du personnel en 2015 et plus tard l'assurance chômage (lire son portrait).
Elle devrait donc continuer à pousser en faveur d'un rééquilibrage des ordonnances au bénéfice des élus du personnel et d'une meilleure prise en compte de l'objectif d'amélioration des conditions de travail par l'exécutif. Le "chantier" du travail, pour reprendre les mots du président de la République, pourra-t-il lui en donner l'occasion, au risque de mettre en péril l'unité syndicale qui a été préservée après 12 manifestations ? Début de réponse après le 1er mai...
Soulignons pour finir que le renouveau syndical inauguré avec les retraites pourrait donc se traduire par une féminisation et un rajeunissement sans doute inédit dans l'histoire sociale française : après la surprise fin mars de l'élection de Sophie Binet, 41 ans, à la CGT, l'élection de Marylise Léon, 46 ans, à la CFDT signifierait que deux femmes de moins de 50 ans président aux destinées des deux premières organisations syndicales françaises.
(*) A l'issue du dernier cycle de mesure de l'audience syndicale (2017-2020), la CFDT représente 26,77% des suffrages, devant la CGT (22,96%), FO (15,24%), la CFE-CGC (11,42%) et la CFTC (9,5%) (voir notre article et infographie).
(**) Les deux dirigeants syndicaux estimaient, après la victoire d'Emmanuel Macron à l'Elysée et son écrasante majorité à l'Assemblée, n'être pas en mesure de s'opposer par la mobilisation aux ordonnances Travail.
Pour l'anecdote...
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En décembre 2022, pour offrir un clin d'oeil à nos lecteurs, nous avions demandé aux responsables des cinq premiers syndicats français ce qu'ils attendaient...du père Noël. La réponse que nous avait faite Laurent Berger était déjà éloquente et annonçait ce qui allait suivre. Il se montrait de plus en plus agacé quant à l'attitude de l'exécutif vis à vis des syndicats : "Ce que je demanderais au père Noël ? D'abord, un peu plus de considération pour les représentants des travailleurs et de la société civile. Là, nous sommes dans un moment où nos responsables ne savent pas faire de compromis et tentent d'imposer des réformes injustes comme pour les retraites. Notre démocratie sociale est malmenée. Le courage qu'on nous demande parfois ou qu'on nous reproche de ne pas avoir, eh bien, le courage ce n'est pas de suivre l'opinion des autres ou le mouvement, c'est de suivre ses convictions". En août 2019, nous avions également demandé à Laurent Berger un conseil de lecture estivale. Sa réponse : Léon l'Africain, d'Amin Maalouf. Son commentaire : "C'est à mon sens le meilleur livre d'Amin Maalouf, dont j'aime aussi beaucoup "Les croisades vues par les Arabes" (*). Dans ce dernier livre, on voit que l'histoire, ce n'est pas les gentils contre les méchants. Amin Maalouf est à la fois libanais et français, il porte une vision aiguisée et en même temps apaisée des différents visages du monde. Ses livres invitent à la tolérance, à l'écoute de l'autre, à la prise en compte des identités différentes". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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