Laurent Degousée, co-délégué de SUD Commerces : "Si tout va bien, on pourra m'appeler Maître en 2023"

Laurent Degousée, co-délégué de SUD Commerces : "Si tout va bien, on pourra m'appeler Maître en 2023"

09.11.2021

Représentants du personnel

Après plus de quinze ans de bons et loyaux services syndicaux, le co-délégué de SUD Commerces a décidé de mettre en sourdine sa vie syndicale pour se consacrer à sa reconversion. Laurent Degousée veut creuser le sillon du droit et passer un master 2 "Droit du travail et de la protection sociale". Voire pourquoi pas, enfiler la robe d'avocat. Il revient pour nous sur son parcours syndical émaillé de rencontres et de moments forts. Entretien.

Racontez-nous votre parcours…

Pendant plus de vingt ans, j'ai été libraire dans une grande enseigne culturelle désormais disparue, Virgin Megastore. C'est là que j'ai commencé mon action syndicale avec la CGT puis la section SUD que j'ai fondée en 2006 avec quelques collègues au moment de la contestation sur la représentativité (1). J'ai quitté l'entreprise au bout de douze ans, à la suite d'un contentieux. Fort de mes bons états de services syndicaux, j'ai obtenu un DEUG et passé le concours de contrôleur du travail. C'était à l'époque où la loi du 20 août 2008 a facilité le développement de syndicats comme SUD ou l'UNSA, et je suis alors devenu permanent.

Depuis 2010, j'étais chargé de relancer SUD Commerces et services Ile-de-France. En 2013 on a créé une fédération que j'animais il y a encore peu de temps. Et nos effectifs ont explosé. Depuis cette même année, je suis salarié de Solidaires et co-délégué de la fédération SUD Commerces.

Quelle formation avez-vous suivie ?

J'ai fait des études littéraires et artistiques.

J'ai appris le droit du travail sur le tas

Concernant l'action syndicale je suis un autodidacte ! J'ai appris le droit du travail sur le tas. Puis en 2019 j'ai obtenu ma licence en droit grâce à une VAE (validation des acquis de l'expérience). Je pouvais donc endosser le titre de juriste et j'étais en plus animateur chez SUD Commerces.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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En quoi consiste votre reconversion actuelle ?

Je vais une semaine par mois à l'Université de Rennes suivre le master 2 "Droit du travail et de la protection sociale". J'avais une certaine facilité à passer les examens lorsque j'étais à l'université de Reims, j'ai donc envie de continuer. Et j'utiliserai peut-être la passerelle de la loi de 1991. Ce texte permet de devenir avocat en justifiant de huit années de pratique juridique. C'est une sorte de "méga-VAE", il va falloir faire la danse de l'ours auprès des avocats mais je connais d'anciens syndicalistes de SUD qui y sont parvenus ! L'examen est principalement centré sur la déontologie, les us et coutumes du métier. Donc, si tout va bien, si je valide mes diplômes et que je plais à mes pairs, on pourra m'appeler Maître en 2023 !

Pourquoi choisissez-vous cette voie ?

J'ai envie de faire du contentieux. J'ai aussi un peu fait le tour de la vie syndicale. J'ai eu mon heure de gloire avec Amazon (lire notre article), un contentieux dont j'ai été la cheville ouvrière pendant la première vague de Covid, mais cela n'aurait pas eu lieu sans les délégués du personnel et la formidable poussée qui venait de la base.

Je me suis dit que je pouvais y arriver aussi 

Moi je recevais toutes les pièces du puzzle, j'en discutais avec Judith Krivine, l'avocate qui défendait les salariés d'Amazon. Je la voyais mettre tous ces éléments à la sauce juridique, et c'est là que je me suis dit que je pouvais y arriver aussi.

L'action syndicale ne va pas vous manquer ?

Bien sûr, la vie syndicale c'est de l'adrénaline ! Mais cette reconversion consiste aussi à me recentrer. J'ai une vie familiale, des enfants, et je viens d'avoir cinquante ans, je n'ai plus la même pêche !

Vous voulez dire que la vie syndicale est usante ?

Oui, tout à fait, ce n'est pas une sinécure. Evidemment, ce n'est pas difficile quand tout va bien…

Allez-vous quitter vos fonctions chez SUD Commerces ?

Non, je poursuis mes fonctions trois semaines par mois, et je reste salarié de Solidaires. Mais pour être moins chargé, je n'exercerai plus de responsabilités. Je ne veux plus m'occuper de l'aspect politique des choses. Je reste bien sûr au service des adhérents, et je suis défenseur syndical depuis 2008.

Que vous ont apporté vos fonctions syndicales ?

Je dois tout aux adhérents et aux gens que j'ai rencontré dans le cadre de mes fonctions syndicales. J'aime beaucoup cette citation d'Aldous Huxley : "L'expérience, ce n'est pas ce qui arrive à un homme, c'est ce qu'un homme fait de ce qui lui arrive". Il faut donc tirer les leçons de ce qu'on vit. Après, j'ai aussi plein de souvenirs, aussi bien des personnes que des situations, comme le contentieux des Vélib avec la mairie de Paris et la passation avec Smovengo. Les occupations d'entreprises comme La Boîte à Tacos. Amazon bien sûr, en pleine crise Covid. Bref, j'ai bien roulé ma bosse…

Que va changer dans votre vie le fait de devenir avocat ?

Ah, je vois déjà l'irruption de la charge de travail ! Mais la vie syndicale m'a permis de l'anticiper. Etre avocat, c'est une autre forme de responsabilité. Et bien sûr j'espère être mieux payé ! Mais je resterai guidé par le même principe : dire ce que je fais, et faire ce que je dis.

Avec la reprise de l'épidémie de Covid en France, craignez-vous de nouvelles tensions sociales dans les entreprises ?

Il y a déjà des tensions et elles sont liées tout d'abord aux licenciements, car la reprise économique dont se vantent les ministres n'en est pas vraiment une. C'est une reprise molle, de 6 % certes, mais on a tout juste sorti la tête de l'eau pour respirer après avoir connu une baisse de 8 %. Les aides de l'État s'étiolent dans le temps donc les licenciements pointent le bout de leur nez.  Regardez chez TUI France !

 Je vois beaucoup de foyers de colère de la société

Et le revers de la médaille de cette fausse reprise, c'est que se pose la question des salaires. Je pense qu'avec l'échéance présidentielle en plus, l'année ne va pas être un long fleuve tranquille. Je vois beaucoup de foyers de colère dans la société, cela peut péter à tout moment, et les gilets jaunes à côté passeront pour un aimable pique-nique. Nous n'avons pas encore pris la pleine mesure de la situation. Le deuxième type de tensions est lié au pouvoir d'achat. Beaucoup de gens sont encore en activité partielle et doivent se serrer la ceinture. De l'autre côté, la Bourse ne s'est jamais aussi bien portée…

D'après vous, comment remettre les sujets de travail dans la campagne présidentielle ?

Il faudrait revenir aux sujets de fond, d'un point de vue qualitatif et pas quantitatif. En ce moment, c'est la course à la nouille, à qui aura le chiffre le plus impressionnant. Il faudrait par exemple revenir à la question : Est-ce à l'Etat de payer les salaires ou aux entreprises de le faire ?

Pensez-vous qu'on se dirige vers une multiplication des conflits sociaux ?

Oui, regardez le conflit Bergams, cette entreprise qui fabrique des sandwichs notamment pour la SNCF. Les syndicats majoritaires ont refusé de signer l'accord d'activité partielle de longue durée et l'accord de performance collective. La direction a organisé un référendum, et c'est passé ! Tout juste, mais c'est passé. Sauf que les salariés sont à 80 % des femmes immigrées à très faibles salaires, tellement faibles qu'elles paient presque pour pouvoir travailler. Résultat, à la rentrée, ça a pété. 88 % des salariés se sont mis en grève et l'entreprise va finalement être liquidée. Elle est aujourd'hui occupée par le personnel.

Nous allons vers des moments de violence importants dans les entreprises 

Ce genre de situations risque de se multiplier. Ce sera autant de points de tensions. Nous allons vers des moments de violence importants dans les entreprises. Il suffit de voir ce qui s'est passé chez Goodyear, ou à la fonderie MBF où les salariés ont menacé de faire sauter des bouteilles de gaz. C'est devenu la croix et la bannière de contester un plan de sauvegarde de l'emploi, les amortissements sociaux tombent les uns derrière les autres.

Vous ne voyez donc aucun signe positif ?

Si, bien sûr. Avec le Covid on a vu la capacité des gens à s'auto-organiser. Ils ont continué à travailler malgré le virus. Et ça, c'est très positif pour l'avenir. Je vois aussi la jeunesse s'organiser autour des questions d'environnement et de climat. Et puis il y a l'irruption de nouvelles formes de mobilisations par les réseaux sociaux.

 

(1) Après une longue période de désaccord des syndicats, la CFDT et la CGT adoptent le 4 décembre 2006 une position commune pour une représentativité syndicale fondée sur des élections et la validation majoritaire des accords collectifs. Ces éléments seront en grande partie repris par la loi du 8 août 2008 qui réforme la représentativité et s'applique encore aujourd'hui. Vous pouvez visualiser notre infographie, régulièrement mise à jour des derniers arrêtés de représentativité.

Marie-Aude Grimont
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