Le CSE de la Mutualité française dénonce un plan social "brutal, injuste et violent"

15.03.2023

Représentants du personnel

La Mutualité française est secouée par un projet de plan social visant la suppression de 85 des 250 emplois de la fédération qui travaillent au service des mutuelles adhérentes. Les trois syndicats et le CSE, dont la secrétaire est Françoise Troublé Uchôa, sont vent debout et contestent la réalité d'une urgence économique.

La Mutualité française, qui affiche régulièrement son attachement aux valeurs mutualistes et humaines en sensibilisant travailleurs et entreprises à l'enjeu de la santé au travail ou encore à l'égalité salariale entre femmes et hommes, est confrontée à une forme de conflit social inédit. Ses trois syndicats (la CFDT, Sud Mutualité et la CFE-CGC) et le CSE de l'unité économique et sociale (UES) Mutualité française contestent en effet le projet de plan social annoncé le 14 février dernier, lors d'un CSE extraordinaire, par la direction de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF). 

 Des salariés habillés en rouge pour protester contre le plan social

 

 

La première réunion du CSE concernant le PSE a eu lieu le 6 mars, avec l'échange sur les documents transmis le 14 février. Cette réunion a donné lieu à une mobilisation symbolique des salariés. Ce jour-là, ils sont venus habillés de rouge, "rouge comme la colère et la couleur mutualiste", et ils sont même allés à la rencontre du président afin que ce dernier s'exprime sur le PSE. La négociation entre l'employeur et les syndicats a été ouverte le 13 mars.

Dans le monde mutualiste, c'est un séisme 

 

 

"Dans le monde mutualiste, ce projet de plan social, c'est un séisme", confie un représentant du personnel. Un autre ironise sur les dépenses de représentation et les voyages d'études, visiblement pas soumises à la même austérité. "Les salariés ne comprennent pas cette décision, ils ont beaucoup de mal à travailler", renchérit Françoise Troublé Uchôa, qui coordonne le fonds de développement des services de soins et d’accompagnement mutualistes et qui est surtout la secrétaire (élue CFDT) du CSE. Un comité social et économique particulièrement affûté puisqu'y siègent des bons connaisseurs des comptes et des enjeux de santé, sécurité et conditions de travail, la Mutualité éditant notamment la revue Santé et travail (*).

250 salariés à la fédération nationale

Il faut dire que la Mutualité, comme on dit souvent, ce n'est pas rien dans le paysage social. Sa fédération nationale, qui compte environ 250 salariés, assure à la fois une fonction de représentation auprès des pouvoirs publics de ce monde particulier (**) et elle fournit des services aux mutuelles adhérentes. Ces dernières proposent des mutuelles santé mais pas seulement : la Mutualité regroupe aussi des établissements de santé, des Ehpad, des crèches, etc. La fédération fonctionne sur les cotisations versées par les mutuelles, cotisations qui étaient orientées à la baisse ces dernières années à la demande des adhérents, même si le conseil d'administration de la fédération a décidé, en décembre dernier, de faire une pause dans la poursuite de cette baisse.

Sur 250 postes au départ, 85 seraient supprimés et 25 créés 

 

 

Selon sa direction, c'est la situation de déficit de la fédération qui nécessite, comme son conseil d'administration l'a décidé en décembre, un retour à l'équilibre pour 2027. Cet objectif est donc à l'origine du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), un projet "précipité" et "injustifié" pour les représentants du personnel. La Mutualité envisage de supprimer 85 emplois sur les 250 de la fédération, sachant que 15 postes sont actuellement vacants, et que 25 nouveaux postes seraient créés. "Nous savons que nous aurons d'ici 2027 une quarantaine de départs en retraite de salariés. Ce sont des départs naturels. Pourquoi accélérer les choses, pourquoi en vouloir plus ?" interroge Françoise Troublé-Uchôa.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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63% des élus verraient leur poste supprimé

Ces suppressions toucheraient l'activité support (comptabilité, logistique, etc.), des postes d'assistants et de journalistes, car la Mutualité édite de nombreux supports sur la prévention et la santé. "Si les postes d'assistants sont supprimés, les salariés restants vont voir leur charge de travail s'alourdir", ajoute la secrétaire du CSE qui observe qu'aucun des nombreux postes de direction n'est supprimé.

La direction soutient que c'est une coïncidence, mais le CSE souligne que 63% des élus seraient concernés par ces suppressions de postes. En outre, les femmes seraient les plus touchées par le plan (77% des postes CDI supprimés sont occupés par des femmes, qui ne représentent que 67% des salariés) qui affecterait aussi particulièrement les seniors. 

Les représentants du personnel ne sont pas convaincus par l'urgence d'un redressement de la situation comptable, les difficultés actuelles n'étant à leurs yeux que passagères et l'objectif fixé à 2027 d'un retour à l'équilibre permettant de se donner le temps d'un plan progressif.

Difficultés structurelles ou conjoncturelles ?

Ils estiment que la situation de la fédération est grevée par la location de bureaux, rendue nécessaire par les travaux conduits au siège jusqu'en 2024 (***), par la stagnation de la cotisation des mutuelles adhérentes, qui devrait bientôt évoluer au rythme de l'inflation, et qu'en outre la fédération dispose de réserves (100 millions d'euros). "Ces difficultés sont conjoncturelles, pas structurelles", insiste la secrétaire du CSE. D'autres connaisseurs du secteur vont même jusqu'à s'interroger : ces difficultés ne sont-elles pas, en quelque sorte, organisées par quelques grandes structures ayant intérêt à un affaiblissement de l'organisation fédérale ? 

Quoi qu'il en soit, les élus du CSE et les délégués syndicaux contestent la réalité du motif économique invoqué. Alors qu'un PSE, même avec une expertise, est encadré par un délai très contraint (3 mois vu la disposition conventionnelle), ils souhaitent négocier un accord de méthode afin de desserrer l'étau du calendrier. Dans quel but ? "Nous souhaitons travailler avec notre cabinet d'expertise-comptable, Éthix, à un contre-projet pour éviter la casse sociale d'une part et d'autre part permettre à des salariés qui le souhaiteraient de partir dans de bonnes conditions", nous explique la secrétaire du comité. 

Syndicats et CSE en appellent aux adhérents

Interrogée par l'Argus de l'assurance sur ce mouvement de protestation, la directrice générale de la Mutualité française, Séverine Salgado, a expliqué être tenue à "une obligation de confidentialité" sur le projet "de transformation de la fédération, de procédure de départs volontaires et de sauvegarde de l’emploi", en assurant que "tout sera mis en œuvre pour accompagner aux mieux les salariés de la fédération". 

Pour l'instant, chaque partie campe sur ses positions. Aussi le CSE et les syndicats en appellent-ils aux mutuelles adhérentes de la fédération pour les informer de la situation en leur demandant de réagir au regard "des valeurs mutualistes". 

 

(*) La revue Santé au travail est éditée par l’Union de groupe mutualiste (UGM), qui réunit la Mutualité française (FNMF), le groupe Aesio, le groupe VYV, Mutex Union et la Fédération des Mutuelles de France. Les salariés sont employés par la Mutualité française.

(**) Wikipedia définit le mutualisme comme "un modèle socioéconomique fondé sur la mutualité, action de prévoyance collective par laquelle des personnes se regroupent pour s'assurer mutuellement contre des risques sociaux (maladie, accident du travail, chômage, décès…)". 

(***) Sous la houlette du prestigieux architecte Rudy RIcciotti, qui a réalisé le MuCem à Marseille.

 

Bernard Domergue
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