Le décès d'un secrétaire de CSE, militant CGT, sème l'émoi en Limousin

Le décès d'un secrétaire de CSE, militant CGT, sème l'émoi en Limousin

17.06.2020

Représentants du personnel

Figure du refus des ouvriers de GM&S de voir fermer leur usine de la Creuse, Yann Augras, secrétaire du CSE et militant CGT, a trouvé la mort dans un accident de la route. L'émotion est forte en Limousin où un hommage lui est rendu aujourd'hui.

"Le port du masque est obligatoire. Les drapeaux sont bienvenus. On lâche rien". Ce message des représentants des salariés de l'entreprise LSI (ex-GM&S Industry), à la Souterraine, dans la Creuse, invite toutes celles et ceux qui ont côtoyé Yann Augras à un ultime hommage ce mercredi 17 juin. "Il va y avoir beaucoup de monde, et Philippe Martinez devrait être présent", se félicite, la voix nouée par l'émotion, Patrick Brun, délégué syndicat CGT de LSI/GMS et ami depuis 30 ans de Yann Augras.

 Sacré Yann, il aura bloqué la 2x2 voies une dernière fois !

 

 

Secrétaire du CSE de GM&S (désormais LSI depuis sa reprise), où il avait 26 ans d'ancienneté, militant CGT depuis 2004 seulement ("C'est le temps qu'il m'a fallu pour comprendre que gueuler tout seul, ça ne servait pas à grand chose", dit-il dans le portrait que lui a consacré Libération), Yann Augras était "préparateur gros tonnage et presse automatique" dans cette usine, l'un des plus gros employeurs privés du département.

A 47 ans, laissant une fille de 20 ans, il a trouvé la mort dans un accident de voiture jeudi 11 juin. "Sacré Yann ! Il a bloqué pour la dernière fois la nationale 145 entre Montluçon et Guéret". L'épitaphe, frappée d'humour noir, est signée Jean-Louis Borie, l'avocat des GM&S, cette centaine d'ouvriers d'un sous-traitant automobile de la Creuse qui ont multiplié mobilisations et coups d'éclat depuis 3 ans pour ne pas voir leur usine fermer.

Derrière les coups de gueule, c'était la gentillesse personnifiée

 

 

 

Si des blocages de route il y a eu, si les ouvriers sont allés jusqu'à menacer en 2017 de faire sauter le site s'il n'était pas sauvé, il ne faut pas, pour Jean-Louis Borie, s'y laisser prendre : "Yann était capable de coups de gueule, mais Yann, c'était la gentillesse personnifiée. On le voit sur les images quand des policiers le déplacent de force pour libérer un barrage, il leur dit : "Attention de pas vous faire mal, je suis un peu lourd". Et vous savez, lorsqu'ils ont menacé de faire sauter l'usine, le dispositif de mise à feu n'existait pas, et les machines qu'ils ont cassé, de toutes façons, étaient inutilisables depuis un moment". Un portrait auquel adhère Patrick Brun, DS CGT : "Yann, c'était un colosse avec un coeur gros comme ça. Dans son village et à l'usine, il aidait tout le monde".

Il faisait résonner la partie humaine des gens auxquels il s'adressait

 

 

 

Pour l'avocat Jean-Louis Borie, qui parle des ouvriers de GM&S non pas comme de "clients" mais comme "d'amis", Yann Augras s'est inscrit dans un collectif, au centre d'une équipe choc : le bon, la brute et le méchant. Le bon, c'est Vincent Labrousse, ex-DS CGT dont Yann disait qu'il était "son cerveau"; la brute, c'était Yann lui-même, et le méchant, Patrick Brun. "Il m'avait surnommé P'tit Lu et depuis tout le monde m'appelle comme ça", témoigne ce dernier. "Ça m'énervait qu'il m'appelle "son cerveau". Car sous ses dehors patauds, Yann était quelqu'un de très intelligent, de très cultivé et de très fin. Il faisait résonner la partie humaine des gens auxquels il parlait", nous confie Vincent Labrousse.

"Il parlait à tout le monde de la même manière"

Le rôle de Yann Augras, qui n'était pas versé dans la paperasse ou le droit, c'était plutôt l'action collective, la mobilisation, la résistance. "Il savait galvaniser les troupes. Quand nous plaidions au tribunal, lui restait à l'extérieur pour mobiliser", rapporte l'avocat. "J'ai l'impression qu'une partie de l'usine vient de tomber. Yann, c'était un pilier. Il savait parler aux autres, sortir des blagues, redonner le sourire, regonfler le moral. Sans lui, il aurait été impossible de mener ce combat. On ne pourra pas le remplacer", renchérit Patrick Brun.

Les journalistes qui l'ont fréquemment rencontré témoignent de cette activité inlassable de défense de l'emploi, comme Céline Autin, de France Bleu Creuse : "Ce délégué CGT s'est battu corps et âme pour préserver l'emploi des 283 salariés de l'usine, puis pour faire respecter les engagements pris par les grands constructeurs. Patron, députés, élus, salariés ou journalistes, il s'adressait à tout le monde de la même manière, sans agressivité, mais surtout sans détours. Téléphone en main, c'est aussi lui qui rameute les journalistes de la France entière". Une personnalité à la parole franche et directe, où perce l'émotion, comme on l'entend sur cet extrait posté en hommage sur twitter :

 

Patrick Brun se souvient de rencontres âpres, sans concession, avec les présidents Hollande et Macron, auxquels Yann Augras "avait sorti leurs quatre vérités, mais sans injures ni grossièretés", prenant soin d'émailler ses propos assassins de blagues et de confidences sur...la cuisson des saucisses au barbecue. Ce représentant du personnel était également attaché à sa terre, la Creuse. A l'instar de ces ouvriers de PSA ou de Renault qui étaient jadis aussi paysans, il savait faire du bois et s'occuper de ses bêtes, comme le rappelle, dans les colonnes de l'Humanité, l'écrivain Arno Bertina.

Des valeurs héritées

Ce dernier voit en lui une forme d'héritier de valeurs historiquement enracinées en terre limousine : "La force de Yann venait d’une histoire où toutes les générations se retrouvaient. Quoique né en 1972, Yann Augras était le dépositaire d’une histoire ancienne dont il a toujours voulu se montrer digne. Il m’a décrit de mille manières son attachement à la Creuse ; comment l’un de ses grands-pères bûcheron lui a raconté la résistance, le maquis, et comment ces récits le firent grandir dans l’idée qu’il y avait là un territoire à défendre. Mais Yann n’a jamais traduit bêtement la situation de 1940 dans les termes d’aujourd’hui, où d’aucuns sont persuadés que la France est envahie. Pour Yann et les GM&S, maquisards modernes, défendre la Creuse aura signifié se battre contre les logiques financières capables de dépecer n’importe quel site (pour aller faire plus d’argent ailleurs)". 

Une victoire au Conseil d'Etat

En janvier dernier, les GM&S ont obtenu du Conseil d'Etat l'annulation du PSE au motif que ce plan de sauvegarde de l'emploi ne respectait pas les critères de licenciement (lire notre article). Décrochée de haute lutte, cette décision ouvre la voie à de meilleures indemnités pour les salariés licenciés. Mais le sort de l'usine, lâchée par ses clients PSA et Renault et placée en redressement fin 2016 alors qu'elle comptait 280 salariés puis reprise par Alain Martineau pour devenir LSI (120 salariés aujourd'hui), reste incertaine. C'était d'ailleurs l'inquiétude du secrétaire du CSE de voir le site emporté par la crise qui frappe l'automobile. "Le Covid-19 n'est qu'un prétexte, le manque d'activité était là avant. En ce moment, nous n'avons qu'une équipe qui travaille, l'autre est en chômage partiel", se désole Patrick Brun.

Une proposition de loi sur les donneurs d'ordres

Le combat social et économique des ouvriers de la Souterraine se prolonge désormais sur le plan politique. Vincent Labrousse, l'ancien délégué CGT de GM&S, et Laurence Pache, une philosophe et militante insoumise, trop émue hier pour nous parler, ont notamment planché avec Yann Augras sur une proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des donneurs d'ordre vis à vis des sous traitants. Le texte propose d'intégrer les sous-traitants dans les comités de groupe des donneurs d'ordre de façon à ce qu'ils reçoivent "une information complète, identique et simultanée sur les implications et les conséquences socio-économiques de leurs choix", indique l'exposé des motifs.

 Il faut influencer en amont la politique d'achats des grands groupes

 

 

La proposition entend aussi renforcer la responsabilité environnementale des donneurs d'ordre, en leur imposant la prise en charge de la réhabilitation des friches industrielles provoquées par les fermetures d'entreprise. "L'idée est d'intégrer tous les coûts, sociaux et environnementaux, d'une relation avec un sous-traitant afin d'influencer en amont la politique d'achat des grands groupes donneurs d'ordres. Il faut aussi élargir le périmètre des comités de groupe pour intégrer les sous-traitants", nous explique Vincent Labrousse, l'ancien DS CGT de GM&S.

Reste à savoir si cette proposition, déposée par des députés communistes et insoumis en mai dernier à l'Assemblée (voir le texte ici), sera discutée et adoptée. Récemment, le débat parlementaire sur la proposition de loi de François Ruffin sur les femmes de ménage a tourné court...

 

► Le réalisateur Lech Kowalski a consacré en 2019 un film au combat des salariés de la Souterraine, "On va tout péter".

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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