Abrités dans les locaux de la direction générale du travail au sein d'un incubateur de startup d'Etat, juristes et informaticiens s'attèlent à un projet ambitieux : apporter dans le cadre d'un code du travail numérique des outils pratiques et une réponse gratuite à toutes les questions juridiques que se posent salariés et employeurs. Explications.
Créé il y a 18 mois, l'incubateur des startup d'Etat des ministères sociaux apparaît comme un îlot "agile" au sein des locaux plus conventionnels de la direction générale du travail (DGT), tour Mirabeau à Paris. Dans un open-space spécialement aménagé, agrémenté de nombreux post-it, cinq juristes et sept informaticiens travaillent sur sept projets visant notamment à améliorer l'intelligibilité du droit du travail. Ils nous ont présenté jeudi dernier leurs premiers résultats, mais aussi les nombreux chantiers qui restent devant eux.
Un moteur de recherche qui s'adapte aux non juristes
Au premier rang de ces projets mêlant droit et informatique figure le "code du travail numérique", dont le lancement officiel aura lieu le 1er janvier 2020. Prévu par l'article 1er de
l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ce site a pour objet de "rendre le droit du travail accessible à tous, gratuitement, et au regard de votre situation particulière", résume Jean-René Duscher, inspecteur du travail. Concrètement, face à une question d'un employeur ou d'un salarié sur sa situation juridique, le code du travail numérique devra indiquer les dispositions législatives, réglementaires et les stipulations conventionnelles applicables. Autant dire que la barre est haute. "Pour les usagers du site, on privilégie l'entrée dans le contenu à travers le moteur de recherche, explique Jean-René Duscher. Il tolère déjà l'existence de fautes d'orthographes, mais il doit aussi donner une réponse adéquate à une question qui ne sera pas nécessairement posée dans des termes juridiques. À cette fin, notre moteur de recherche intègre la capacité de s'enrichir au fil des recherches (machine learning), que nous alimentons d'ores et déjà à travers
une version "beta" du site, c'est-à-dire en construction. Nous travaillons également sur une table de concordance entre les termes juridiques, et la façon dont ils sont exprimés par les non juristes". "On travaille également avec des "Data scientists" (experts en données), complète Julien Bouquillon, responsable de la DSI des ministères sociaux et de l’incubateur. Cela nous permet d'ajouter une dose d'intelligence artificielle et d'aider le moteur de recherche à qualifier juridiquement la question".

Toute personne peut d'ailleurs devenir testeur de cette version "beta" en laissant son adresse email dans l'onglet en bas à droite de la page d'accueil du site. Pour les salariés et employeurs qui ne souhaiteront pas passer par le moteur de recherche, le site propose aussi des briques sur les principales thématiques du droit du travail.
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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Au 1er janvier, 2 500 questions/réponses pour 50 branches
S'agissant du fond documentaire, le site intégrera d'abord le contenu des fiches synthèses déjà disponibles sur
le site du ministère du Travail. Surtout, la direction générale du travail a demandé aux équipes juridiques de ses différentes Direccte de rédiger, pour les 50 principales branches professionnelles, les réponses aux 50 questions les plus fréquemment posées par les usagers sur l'embauche et la rupture du contrat de travail. "Ce fond de 2 500 questions/réponses sera livré au plus tard le 1er janvier 2020 et donnera une forte valeur au code du travail numérique", assure Jean-René Duscher. Et ce dernier d'entrer "HCR préavis démission" dans le moteur de recherche pour en faire la démonstration :

"Le moteur de recherche a d'abord reconnu que je souhaite connaître la durée du préavis pour la branche professionnelle des hôtels cafés restaurants, se félicite l'inspecteur du travail. Surtout, nous apportons de manière synthétique l'information propre aux règles dans le secteur d'activité". À charge pour les équipes en région de mettre à jour ces contenus au gré des négociations de branche. "Nous souhaitons également intégrer
la nouvelle articulation des accords collectifs, ajoute Virginie Lastisneres, juriste et expert métier. Pour établir le périmètre de chacun des trois blocs, nous partons d'une note de la DGT, explique-t-elle. L'idée c'est de donner une réponse très pédagogique à l'usager et de l’orienter vers la branche professionnelle". Mais le code du travail numérique n'ira pas, pour les matières relevant des blocs 1 et 2, jusqu'à se risquer à statuer sur l'existence de "garanties au moins équivalentes" apportées par l'accord d'entreprise : "L'analyse juridique exigée serait bien trop complexe, reconnaît Virginie Lastisneres. Le code du travail numérique indiquera juste la marche à suivre, et orientera vers l'accord d’entreprise à rechercher en exploitant la base publique d'accords d'entreprise disponible sur
le site légifrance.gouv.fr".
Un outil gratuit pour calculer ses indemnités de rupture
Le code du travail numérique aura enfin une partie "outils". "Nous allons proposer de nombreux modèles de courriers, un annuaire des services de l'administration du travail, un simulateur de salaire d'embauche (qui est un projet porté par les Urssaf) et une calculatrice de calcul du salaire brut vers le salaire net, avance Jean-René Duscher. Il y a également un module qui me permet, en rentrant le SIRET de mon entreprise, de savoir immédiatement quelle est la branche professionnelle dont je relève".
"S'agissant des développements, nous mettons actuellement la priorité sur le calculateur d'indemnités de rupture, détaille Julien Bouquillon. Cet outil intègre les dispositions conventionnelles de branche et les comparent aux règles légales. Il nous apparaît important que n'importe quel salarié ou employeur puisse savoir facilement, et gratuitement, le montant de l'indemnité due en cas de rupture de la relation de travail", insiste le responsable informatique.
Un contenu opposable en justice ?
Mais cette volonté de l'administration de rendre le droit du travail plus accessible ne va pas sans rencontrer des difficultés techniques ou juridiques. La jurisprudence de la Cour de cassation, souvent incontournable pour les praticiens du droit, ne sera d'abord intégrée au site qu'à la marge : "Quand la jurisprudence est essentielle, elle sera intégrée, concède la juriste Virginie Lastisneres. Principalement au sein des fiches synthèses du ministère du Travail". Surtout, les ordonnances Travail prévoient que "l'employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du "code du travail numérique" est, en cas de litige, présumé de bonne foi". Qu'en est-il alors de l'opposabilité devant le juge du contenu présenté sur le site ? "La question est effectivement en discussion en interne, répond Virginie Lastisneres. Jusqu'où devons-nous aller pour composer avec cette présomption de bonne foi ?" "Il est difficile de prévoir que le contenu du site sera directement opposable au juge", confirme Julien Bouquillon. Et ce, d'autant plus que le contenu affiché sur le site pourra avoir évolué entre la date qui a servi au justiciable à prendre sa décision et le début du procès. "Toutes les versions du site seront enregistrées et disponibles pour permettre d'acter la bonne foi, est-il garanti. Se pose en revanche la question du traitement des requêtes individuelles pour confirmer l'existence de tel contenu sur le site à une date particulière..."
Mais cette équipe, qui réunit compétences juridiques et informatiques, se montre confiante : "Le produit se développe sur le marché, avec les retours utilisateurs, rappelle Virginie Lastisneres. En application de la méthode agile, nous avons un fonctionnement par "sprint" de deux semaines pour livrer progressivement de nouvelles fonctionnalités". Et Julien Bouquillon de conclure : "Sur la partie technologie nous avons un degré d'ambition très élevé, tout ce que nous développons est en Open Source et Open data, c'est-à-dire accessible à tous. Cela va participer à nous faire remonter les erreurs. Et ce produit qu'est le code du travail numérique a vocation à continuer de s’améliorer bien au-delà du 1er janvier 2020".