Depuis le coeur de l'été, l'Etat cherche à faire avancer son projet de fusion des missions locales et de Pôle emploi via, dans un premier temps, des expérimentations. Les missions locales sont vent debout contre cette perspective qui mettrait à mal l'accompagnement global proposé aux jeunes et l'ancrage territorial. Un véritable bras de fer a commencé.
"Des gens pensent à Pôle emploi et à Bercy que le plus simple serait de confier l'ensemble des missions d'insertion à Pôle emploi. Mais ce serait une négation de ce qu'on est". Jean-Patrick Gille, le président de l'Union nationale des missions locales (UNML) ne cache pas sa colère devant le nouveau projet du pouvoir central. "Les missions locales apportent une vraie plus-value avec l'accompagnement global qu'elles proposent et l'approche territoriale. Tout cela est menacé", avertit l'ancien député.
"Transformer en profondeur"
Officiellement, tout a commencé le 18 juillet dernier. Ce jour-là, le Premier ministre annonce, au sortir d'une réunion d'un atelier Action publique 2022, qu'il souhaite renforcer la coordination entre les différents acteurs du service public de l'emploi "grâce à une meilleur articulation entre Pôle emploi, les missions locales et les Cap emploi". S'agit-il d'un rapprochement des acteurs via des formes de collaboration qui existent déjà, notamment, entre les missions locales et Pôle emploi ? Que nenni ! Dans une note de septembre dernier signée par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et Pôle emploi, il est précisé que "l'idée n'est pas de procéder à des ajustements à la marge des relations entre Pôle emploi et les missions locales, mais d'essayer de transformer en profondeur, là où les élus le souhaitent, l'articulation entre Pôle emploi et les missions locales."
Prudence dans les éléments de langage
S'agit-il d'aller vers des fusions, c'est-à-dire des absorptions des missions locales par Pôle emploi ? La note est pour le moins ambiguë : "Les expérimentations qui pourront avoir lieu sur l'ensemble du territoire, ne consisteront pas nécessairement en des fusions avec les agences Pôle emploi, sans toutefois écarter cette possibilité." Plus loin, dans un chapitre intitulé (maladroitement) "Eléments de langage vis-à-vis des élus locaux", il est écrit : "L'idée n'est pas de contraindre qui que ce soit." On y trouve aussi cette phrase : "C'est pour offrir de vraies marges de manoeuvre aux acteurs locaux que les expérimentations ne sont pas encadrées par un cahier des charges."
Des postes menacés
Cette prudence convainc-t-elle les élus et les salariés ? Pour le syndicat CFDT (majoritaire), cette démarche répond à une logique ultime : "faire des économies". Le devenir des salariés inquiète le syndicat : les 5 000 postes administratif et de support seraient clairement menacés. Par ailleurs, il n'est pas sûr, selon la CFDT, que les 8 000 postes de conseillers des missions locales seraient repris par Pôle emploi alors que cet organisme doit supprimer 4 000 postes.
Pressions financières
L'autre syndicat, la CGT, dénonce des choix guidés par le libéralisme. "Fusionner Pôle emploi et les missions locales, c'est tout simplement supprimer les missions locales, mais aussi l'accompagnement global des jeunes (plus d'un million de jeunes chaque année)", estime le syndicat. Son responsable Jean-Philippe Revel raconte que sur le terrain, des rencontres commencent à avoir lieu à l'initiative de Pôle emploi. Il estime que l'Etat a les moyens, via des menaces sur les financements, d'obliger les administrateurs des missions locales à se mettre autour de la table. Des pressions financières ont déjà été observées pour contraindre les missions locales à fusionner entre elles. Afin de sécuriser cette mission d'accompagnement global, la CGT préconise la création d'une agence nationale pour l'accompagnement et l'insertion des jeunes.
Opposition des maires
Du côté des élus, les "éléments de langage" de la note n'ont pas rassuré. La puissante Association des maires de France (AMF) a exprimé son opposition à toute expérimentation de fusion. L'UNML entend défendre bec et ongle l'acquis des missions locales. D'autant que l'engagement du président de la République de prévoir 100 000 garanties jeunes par an, dans le cadre de la stratégie anti-pauvreté, apparaît comme une reconnaissance du travail des missions locales. Reste maintenant à convaincre la technocratie française qu'une gouvernance associative et une approche globale de l'accompagnement sont toujours pertinents, trente six ans après l'invention des missions locales par Bertrand Schwartz.