Le projet de loi d'habilitation dresse le cadre d'une vaste réforme du droit du travail

Le projet de loi d'habilitation dresse le cadre d'une vaste réforme du droit du travail

23.06.2017

Représentants du personnel

Le champ du droit du travail que le gouvernement devrait être habilité à réformer par ordonnances sera très large. Revue de détails des mesures envisagées pour les IRP (instance unique et nombre limité de mandats successifs), les accords d'entreprise et de branche, le licenciement, etc.

Consacré au thème de l'articulation des niveaux de négociation, le premier cycle de rencontres bilatérales entre les partenaires sociaux et le ministère du Travail au sujet des futures ordonnances réformant le code du travail s'achève aujourd'hui. A partir du lundi 26 juin et jusqu'au vendredi 7 juillet commence la concertation au sujet des instances représentatives du personnel, que le gouvernement veut fusionner. Il y aura ensuite une série d'échanges sur le thème de la sécurisation de l'emploi du 10 au 21 juillet. Un dernier tour de concertation aura lieu dans la deuxième quinzaine du mois d'août, "cette fois peut-être enfin sur la base des projets de textes des ordonnances" espère un interlocuteur syndical, le gouvernement ayant prévu d'envoyer le texte des ordonnances au Conseil d'Etat fin août pour pouvoir saisir les instances consultatives (CNNC, COC et CSP) du 4 au 8 septembre. Comme prévu, le gouvernement n'a pas attendu la fin de tous les cycles de concertation pour envoyer au Conseil d'Etat son projet de loi l'habilitant à réformer le droit du travail par ordonnances, un texte dont le Monde a donné le contenu.

Très dense, ce document comporte 6 pages et 9 articles (lire notre document joint). Il s'intitule "Projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour la rénovation sociale". Le domaine sur lequel le gouvernement serait autorisé à réformer par ordonnances serait vaste. Reste à savoir si le gouvernement souhaite se ménager toute possibilité, quitte à infléchir son projet devant les réactions des partenaires sociaux, ou si les pistes dessinées correspondent déjà à un projet bien défini sur lequel l'Exéctif ne reviendra pas. Gilles Lécuelle, de la CFE-CGC, parle lui d'une "liste de courses maximaliste" dont le contenu est à négocier, le gouvernement ne pouvant pas ensuite ajouter des items une fois la loi d'habilitation votée...

  • Sur l'articulation entre les niveaux de négociation, la primauté que le gouvernement envisage de donner à la négociation d'entreprise semble ici très large.

Premier thème évoqué par le projet de loi : l'articulation des niveaux de négociation. Devront être fixés par ordonnance les domaines dans lesquels l'accord d'entreprise ne peut pas déroger aux accords de branche et les domaines pour lesquels les branches peuvent s'opposer expressément à toute dérogation. Mais l'ordonnance devra aussi définir "les conditions dans lesquelles un accord collectif d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, y compris dans certains domaines réservés à la branche par la loi, par la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel". Sachant que seront aussi définies les conditions d'application, "dans des domaines limités", d'un accord de branche dans les plus petites entreprises.

L'accord d'entreprise sera présumé conforme à la loi (notamment "les accords qui autorisent le travail de nuit") et les délais de recours seront revus. Le calendrier et les modalités de généralisation de l'accord majoritaire prévus par la loi Travail seront également modifiés. Les modalités de refondation du code du travail (avec le travail préalable d'une commission) envisagées par la loi El Khomri seront supprimées.

L'accord de branche pourrait modifier les cas de recours aux CDD et de travail temporaire ainsi que le recours au CDI de chantier, à moins que le gouvernement ne décide une expérimentation sur ce dernier thème.

Le texte précise en outre que devront être unifiés les régimes juridiques de la rupture du contrat de travail "en cas de refus par le salarié des modifications issues d'un accord d'entreprise". Sont ici visés les accords de préservation et de développement de l'emploi (L. 2254-2), les accords de maintien de l'emploi (L.5125-1) et les accords de mobilité géographique (L..2242-18 et L.2242-19). Pourront aussi, "le cas échéant", être unifiées les modalités d'accompagnement du salarié licencié. Signalons enfin que les modalités de la publicité des accord collectifs prévus par la loi Travail seront retouchées.

  • Sur les instances représentatives du personnel et le dialogue social, le champ des modifications est également large.

L'ordonnance pourra redéfinir le contenu et les modalités de fonctionnement de la BDES, la base de données économiques et sociales, qui pourra aussi être adaptée par accord collectif. La périodicité et le contenu des consultations et des négociations collectives devraient aussi être plus librement déterminés par accord par les partenaires sociaux.

L'ordonnance devrait faciliter le recours au référendum pour valider un accord négocié, en l'absence de délégués syndicaux, par le délégué du personnel ou le CE ou la DUP (art. L.2232-21).

Les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail seront fusionnés en une seule instance. L'ordonnance définira "les attributions et le fonctionnement" de cette instance unique : délais d'information-consultation, moyens, nombre maximal de mandats électifs successifs (autrement dit une durée limitée d'exercice d'une représentation par un élu du personnel) ainsi que les conditions et modalités de recours à une expertise. En outre, le texte devra dire dans quelles conditions l'instance unique peut aussi se voir confiée la négociation des accords d'entreprise, soit la tâche dévolue jusqu'à présent aux délégués syndicaux.

L'ordonnance pourrait aussi, dans les petites entreprises, prévoir que les frais de fonctionnement de l'instance fusionnée soient défalqués de la contribution due par l'entreprise au fonds paritaire de financement des organisations syndicales et patronales (art. L. 2135-9). Selon un interlocuteur syndical, cette disposition pourrait viser à faciliter la présence syndicale dans les PME, le dialogue social ne représentant plus un coût supplémentaire.

Le gouvernement pourrait améliorer la représentation et la participation des salariés ou de leurs représentants dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises, en précisant "les conditions dans lesquelles les représentants des salariés (..) peuvent être mieux associés aux décisions de l'employeur dans certaines matières". Il s'agit là d'une demande forte des organisations syndicales, notamment de la CFDT et de la CFE-CGE.

  • Sur le dialogue social, les modifications envisagées sont aussi importantes.

Le gouvernement prévoit :

- de "favoriser le droit d'expression des salariés";

- de modifier les conditions de mise en place des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI);

- de donner la possibilité "pour le salarié d'apporter des ressources financées en tout ou partie par l'employeur au syndicat de son choix" (chèque syndical);

- de renforcer la formation des représentants des salariés et la promotion de la reconversion professionnelle des salariés exerçant un mandat syndical ou représentatif;

- d'encourager à l'évolution des conditions d'exercice de l'engagement syndical et la reconnaissance de celui-ci dans le déroulement de carrière et les compétences acquises en raison de cet engagement, ainsi que l'amélioration des outils de lutte contre les discriminations syndicales.

  • La relation de travail et le licenciement seraient largement réformés

L'article 3 du projet de loi donne un cadre très large à une évolution de la "relation de travail" et du droit de licenciement et ses conséquences, l'objectif étant de sécuriser le licenciement pour les entreprises. Les conditions et conséquences de la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail (une pratique reconnue et développée par la jurisprudence) seraient définies dans la loi. Planchers et plafonds seraient instaurés pour les dommages et intérêts décidés par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les obligations de l'employeur en matière de reclassement pour inaptitude seraient modifiées "pour sécuriser les modalités de contestation de l'avis d'inaptitude". Au sujet des PSE, le périmètre d'appréciation des difficultés justifiant les licenciements serait revu, peut-être pour limiter ce périmètre au niveau national, sachant qu'une disposition viserait à dissuader les groupes de créer artificiellement des difficultés dans une filiale afin de justifier un PSE. La définition des catégories socioprofessionnelles - un objet débattu dans les contentieux sur les PSE- serait "sécurisée". Enfin, seront simplifiées les obligations de déclaration des expositions à la pénibilité, les conditions d'exposition devant être redéfinies à compter du 1er janvier 2018. Seraient, en outre, favorisées les conditions d'accès au télétravail.

Le projet de loi d'habilitation présenté le 28 juin en conseil des ministres

Le conseil des ministres doit adopter ce projet dès le mercredi 28 juin, ce qui pourrait donner lieu à une déclaration publique de la ministre du Travail, le Parlement devant le voter d'ici le 28 juillet afin que le travail d'écriture des textes se fasse au mois d'août à la direction générale du travail, dont les agents étaient appelés à la grève le 20 juin par les syndicats du ministère.

Ces éléments confirment nos inquiétudes

Les partenaires sociaux n'ont pas été informés de ce texte d'habilitation et en ont donc pris connaissance par la presse, ce qui ne manque pas de les irriter, une nouvelle fois, sur la méthode. Car même si ce texte ne dresse pas précisément ce que seront les ordonnances, il en fixe le cadre et comporte des points non encore abordés avec les partenaires sociaux, comme l'idée d'étendre le CDI de projet, de simplifier le compte pénibilité, de réduire les délais de recours contentieux après la rupture du contrat (le salarié aurait moins de temps pour saisir les prud'hommes), etc.

"Nous sommes consultés sur le contenu des ordonnances, pas sur le projet d'habilitation, nous a-t-on confirmé", déplore Fabrice Angeï, de la CGT. Ce dernier estime que les éléments du projet de loi d'habilitation confirme les inquiétudes de son syndicat : "Il est bien question d'assouplir le licenciement. Le gouvernement veut réduire le périmètre d'appréciation des difficultés au niveau national et non plus au niveau du groupe (Ndlr : ce qui avait été un temps envisagé lors de la loi Travail) mais il veut aussi simplifier vers le bas les dispositifs d'accompagnement du salarié licencié parce que n'acceptant pas une modification de son contrat de travail imposé par un accord collectif. On nous dit qu'il n'est pas question de toucher au contrat du travail mais cela revient au même si le salarié ne peut plus s'opposer à des modifications décidées par accord collectif. Nous retrouvons enfin dans ce texte la place grandissante des accords d'entreprise".

Une concertation, ça veut dire écouter mais aussi entendre. Si on a une autre loi Travail "grands patrons", ce sera une autre affaire

A propos du projet de loi d'habilitation qui a fuité dans le Monde, la réaction de Jean-Claude Mailly, qui s'est exprimé hier au conseil économique et social lors d'un colloque organisé par FO, est à l'avenant. "Nous allons attendre de disposer d’un document officiel mais si le texte qui est sorti dans ce quotidien du soir est le bon, on a un vrai problème, a dit le secrétaire général de FO. Cela veut dire que l'on n'a discuté dans le cadre des concertations que d'un tiers des sujets prévus pour la réforme du droit du travail. On nous sort le CDI de chantier : cela veut dire une précarisation croissante des salariés et une attaque contre le CDI de droit commun. On voit aussi ressurgir ce qui a été supprimé à deux reprises : la fameuse réduction à la France du périmètre à prendre en compte pour l'appréciation des difficultés économiques justifiant des suppressions d'emploi. Ce sont pour nous des lignes rouges. La responsabilité finale appartiendra à Emmanuel Macron et aux équipes de l'Elysée. Soit il considère qu'il y a une vraie concertation, ce qui ne veut pas seulement dire écouter mais aussi entendre, soit les lignes rouges ne sont pas respectées et à ce moment on aura une loi Travail "grands patrons", et là ce sera une autre affaire ".

La CFE-CGC sort également du premier cycle de concertation avec le sentiment d'un projet gouvernemental très "déséquilibré". "Le gouvernement, à ce stade, semble toujours convaincu que l'amélioration de la situation de l'emploi passe par une modification à la baisse des conditions du dialogue social, regrette la confédération dans un communiqué. La rigidité des règles actuelles concernant la négociation collective, le manque de souplesse du fonctionnement des IRP seraient les seuls freins identifiés à la restauration d'une économie saine qui permettrait la création d'emploi de qualité. Continuer dans cette voie relève de l'aveuglement". Le syndicat appelle au contraire le gouvernement à saisir "l'occasion de retrouver un équilibre" en modifiant en profondeur la gouvernance des entreprises car "le projet d'accentuer la décentralisation vers l'entreprise exige de reconstruire un partenariat salariés, entreprise, société et territoire profitable à tous".

La CFDT s'opposera à tout accroissement du pouvoir unilatéral de l'employeur

La CFDT elle-même a pris date hier en semblant mettre le gouvernement au défi de répondre à ses demandes. Dans une déclaration de son bureau national adoptée à l'unanimité, la confédération indique qu'elle n'a pas demandé "qu'une nouvelle réforme du marché du travail intervienne si peu de temps après celles de 2013, 2014, 2015 et 2016" et estime qu'il aurait été préférable de laisser le temps à ces réformes de se mettre en place pour pouvoir les évaluer. Pour autant, le syndicat dit vouloir participer activement à la concertation et "soutiendra tout ce qui renforcera la place du dialogue social, gage de performance économique et sociale dans le pays et les entreprises". Le syndicat dit revendiquer "un renforcement des droits et moyens des représentants du personnel et une pleine reconnaissance du syndicalisme dans les entreprises, pour peser plus efficacement sur leurs stratégies", et prévient qu'il s'opposera "à tout accroissement du pouvoir unilatéral de l'employeur".

 

Il n'y aurait plus de PSE en deçà de 30 salariés licenciés

Aujourd'hui, une entreprise d'au moins 50 salariés doit procéder à un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) si elle envisage de licencier plus de 10 salariés sur une période de 30 jours. Selon le journal Alternatives économiques, le gouvernement envisagerait de relever le seuil de déclenchement du PSE de 10 à 30 salariés licenciés, toujours sur une période de 30 jours, la question du seuil d'effectif de l'entreprise pour l'application de cette règle étant aussi sur la table. Toujours selon ce magazine, les ordonnances pourraient prévoir de limiter l'appréciation des difficultés d'une entreprise au seul périmètre français, et, en contrepartie, "d'interdire explicitement les licenciements économiques abusifs", afin d'éviter de voir des groupes organiser artificiellement les difficultés d'une filial pour mieux justifier des licenciements.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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