Avocate associée au sein du cabinet Lepany & associés depuis près de vingt ans, Aline Chanu assiste et conseille les CSE, les représentants du personnel, les syndicats et les salariés. En cette rentrée, elle observe une hausse des réorganisations et des PSE. Elle témoigne aussi de la difficulté des élus à mener de front leurs multiples prérogatives. Elle leur suggère de cibler leur action sur les projets les plus déterminants pour les salariés afin de tenter de peser sur l'entreprise. Interview.
Quel regard portez-vous sur cette rentrée politique et sociale très particulière ?
J'avoue avoir été sidérée par la dissolution de l'Assemblée, par la menace de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir, mais aussi par ce qui s'est passé ensuite, et je sais que c'est aussi le cas de nombreuses équipes d'élus engagés. C'est une période très anxiogène. Le nouveau gouvernement ? Je suis atterrée, mais on ne peut pas faire pire que les précédents gouvernements d'Emmanuel Macron en matière de mépris des partenaires sociaux ! J'observe surtout que cela fait maintenant des années qu'on nous dit au somment de l'Etat qu'il faut sécuriser les entreprises, qu'il faut leur éviter les aléas juridiques, d'où le barème imposant des plafonds d'indemnités prud'homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, etc.

Mais que voit-on s'agissant des salariés ? Une nouvelle réforme de l'assurance chômage devait être mise en place le 1er décembre, mais ce décret a été suspendu par Gabriel Attal, et personne ne savait au juste ce qui va se passer, même si ce nouveau durcissement du régime semble abandonné. Après tout, le gouvernement pourrait très bien agréer l'accord des partenaires sociaux de fin 2023. En attendant, quelle est l'incidence pour les salariés de ces incertitudes ? Des personnes épuisées, qui n'en peuvent plus dans leur travail, viennent me voir pour tenter de négocier leur départ, et elles veulent savoir quels seront leurs droits à indemnisation après la rupture de leur contrat, combien de temps elles seront indemnisés. Mais j'étais encore il y a peu dans l'incapacité de leur répondre sur ce qui allait se passer. Comme si les salariés n'avaient pas droit, eux, à la sécurité juridique !


Je suis des CSE depuis des années, et ils me sollicitent sur tous les aspects de leurs prérogatives. Ce qui me frappe, c'est le retour des restructurations lourdes et des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) dans les entreprises, voire des liquidations. Là, je ressens une accélération de ces procédures. Dans l'industrie, par exemple, certaines entreprises ont du mal à rembourser les prêts garantis par l'Etat (PGE). Elles doivent aller chercher des financements auprès de banques auxquelles elles doivent donner des garanties de solvabilité pour l'avenir, et les restructurations s'expliquent aussi pour cela.
Les contestations de PSE, ça existe, mais il y en a assez peu. En réalité, tout se joue en amont de la décision de l'administration d'homologuer ou de valider un PSE, et c'est important pour un CSE de bien se faire accompagner dès le départ, avec un expert et un avocat. Comme avocate, mon rôle consiste à accompagner les équipes des représentants du personnel dès la procédure d'information consultation du CSE.

Il s'agit de créer un rapport de forces avec l'employeur pendant cette information consultation pour obtenir une réduction du nombre de licenciements, et de meilleures mesures d'accompagnement pour les salariés. En quelque sorte, c'est un jeu à trois entre l'entreprise, les représentants du personnel et l'administration. Lorsque les élus rencontrent l'administration pour évoquer le projet de PSE, je les accompagne pour souligner ce qui ne va pas.
Avant cette rencontre, nous avons analysé le plan de sauvegarde de l'emploi présenté par l'entreprise au regard des critères d'homologation de la direction régionale du travail (Dreets). Il s'agit pour nous de présenter à l'administration des éléments qui la conduiront à adresser à l'employeur une lettre d'observation sur le projet de PSE. Dans cette lettre, la Dreets va dire à l'employeur qu'il n'a pas donné aux élus tel ou tel élément d'information indispensable à la compréhension du projet.

Ce peut être des documents justifiant le motif économique, ou des éléments du diagnostic socio-professionnel permettant de comprendre comment l'entreprise a construit les catégories socio-professionnelles dans lesquelles vont s'appliquer les critères d'ordre (Ndlr : charges de famille, ancienneté, âge, handicap, compétences, etc.), ce qui déterminera quels salariés seront licenciés. Une mauvaise information ou une information insuffisante de la part de l'employeur peut donc nous servir de levier pour faire pression sur l'entreprise. Nous pouvons aussi nous appuyer sur le fait que l'administration vérifie davantage qu'auparavant que la direction de l'entreprise a bien établi un plan d'évaluation des risques liés à la réorganisation et aux suppressions d'emplois, avec un plan de prévention comportant des mesures sérieuses, notamment pour éviter les risques psychosociaux (RPS).
Bien sûr ! Nous allons nous appuyer sur la lettre d'observation de l'administration pour réclamer une amélioration de l'information donnée aux élus ou de meilleures mesures. Et il y a aussi la procédure d'injonction. Nous pouvons demander à l'administration d'enjoindre l'employeur de communiquer au CSE tel ou tel document. L'administration devra au final se prononcer sur le PSE, donc c'est aussi son intérêt d'alerter la direction de l'entreprise sur les points qui pourraient n'être pas conformes.
Pas vraiment ! Nous avons toujours le plan social de l'été, présenté en juillet, et le plan social de Noël, c'est toujours très charmant pour les salariés le choix de ces périodes ! Je pense notamment à un grand groupe qui a mené de front, en même temps, des PSE massifs dans plusieurs usines, et en plein mois de juillet. En revanche, ce qui a évolué, c'est l'exigence de prise en compte de l'impact, sur les salariés, de la réorganisation en ce qui concerne la santé au travail et les risques psychosociaux.

Ces RPS et leur prévention doivent être intégrés dès la présentation du plan de sauvegarde de l'emploi. C'est un élément qui nous donne un certain levier. C'est assez difficile à appréhender par les directions, mais elles ne peuvent plus ignorer ces sujets de santé et de sécurité au travail. Ils ont très fortement émergé ces dernières années, c'est une tendance de fond. La prise en compte des effets sur la santé d'une réorganisation est exigée par les élus, mais aussi par l'administration et par les juges. Ce peut être un outil très puissant pour les équipes syndicales et les équipes d'élus.
Oui, je vais vous citer un exemple. Une entreprise, dont j'assiste le CSE depuis longtemps, présente un projet de refonte du processus d'évaluation des salariés. C'est un projet très structurant, avec la mise en place de critères comportementaux de type savoir-être. Ces critères n'évaluent pas un salarié sur la base d'objectifs quantitatifs de travail. Ils portent, par exemple, sur l'esprit d'équipe du salarié, son adhésion aux valeurs de l'entreprise, etc. En fait, c'est une évaluation de la personne du salarié, pas de son travail. C'est très anxiogène pour les salariés car ces critères laissent place à une grande subjectivité de la part de l'évaluateur.

Le nouveau processus prévoyait aussi un nouvel entretien de mi-année, une évaluation type 360 degrés par les collègues du salarié, etc. Donc, durant l'information consultation, le CSE reproche à l'employeur de n'avoir pas évalué l'impact de ces changements sur les conditions de travail, tant pour les salariés que pour les managers. Le CSE dit clairement qu'il n'y ni évaluation de l'impact de ces processus, ni plan de prévention sérieux. L'entreprise passe tout de même en force. Mais nous saisissons, avec le CSE et les organisations syndicales, le tribunal judiciaire en demandant que le juge interdise la mise en oeuvre du nouveau dispositif tant que l'entreprise n'aura pas évalué les risques psychosociaux. Le tribunal nous a donné raison et l'entreprise a finalement renoncé à une grande partie de ce dispositif. Donc, que ce soit pour l'introduction d'un nouvel outil d'évaluation, une réorganisation de service, un plan de licenciements de moins de 10 personnes ou un PSE, les élus doivent demander l'évaluation de ces projets sur le plan des risques psychosociaux.
Cela commence à prendre forme dans les équipes que j'assiste. Le CSE doit en tout cas s'emparer de ces questions de prévention de la santé des salariés.
Ils ne vont pas très bien en effet, les choses sont dures pour eux. C'est l'effet de la fusion des instances : mener de front des sujets très complexes et aussi différents que les questions économiques et celles liées aux conditions de travail, ça reste compliqué ! Il y a aussi dans certaines équipes le sentiment de ne pas toujours servir à quelque chose, de ne pas parvenir à peser sur les décisions. A ces équipes, je conseille d'ailleurs, pour ne pas s'épuiser, de ne pas chercher à tout traiter.

Le CSE a intérêt à cibler son action sur les projets structurants pour l'entreprise. Et, sur ces dossiers-là, qui sont importants pour les salariés et leur avenir, il faut chercher à aller jusqu'au bout, en exigeant très vite d'être bien informés pour comprendre le projet et ses enjeux et pour pouvoir en discuter avec la direction. Face à une direction qui n'a souvent pas ou pas bien évalué les risques d'un projet et qui rechigne donc à donner des éléments précis, les élus, s'ils réagissent en amont, peuvent voter un mandat prévoyant la saisine du juge, avec la procédure accélérée au fond, pour obtenir l'information manquante.

Comme le juge peut décider de proroger la durée de consultation s'il estime que le CSE manque d'informations importantes pour rendre un avis éclairé, cela représente un risque pour l'entreprise de ne pas pouvoir mettre en place son projet rapidement. Or ce qui compte pour l'entreprise, c'est le calendrier, et cela peut redonner du pouvoir aux équipes des représentants du personnel. Il arrive que la menace de saisir le juge conduise l'entreprise à discuter avec les élus pour adapter son projet.
Oui, quand l'arrêt de la Cour de cassation est tombé, c'était un peu panique à bord ! Aujourd'hui, tous les CSE que je suis sont en train de se mettre en conformité. L'Urssaf leur a donné une année pour le faire, mais je leur ai suggéré de ne pas attendre 2025. Car cette tolérance de la part des Urssaf ne signifie nullement que les salariés ne pourraient pas demander sans attendre l'application de cette jurisprudence, et donc de se voir attribués des activités sociales et culturelles sans condition d'ancienneté.

J'ai aussi suggéré aux CSE qui devaient adapter leur budget de demander d'abord une rallonge à leur employeur, car j'observe depuis des années que les entreprises "vendent" aux entretiens d'embauche les prestations du CSE. Après, les comités qui n'ont pas de gros budget ont dû faire des arbitrages financiers entre ASC, ou donner un petit peu moins. Certains ont aussi choisi de conditionner une ASC liée à un événement et donc à un moment de l'année à la présence du salarié à cette date ou cette période, comme à Noël par exemple. Quant à l'instauration d'une condition de revenus, type quotient familial, c'est déjà pratiqué par les gros CSE. Mais cela reste très lourd pour les CSE modestes qui n'ont pas forcément ni le temps ni l'énergie pour le faire. De plus, cette solution suppose de bien gérer le traitement de données personnelles sensibles comme l'avis d'imposition.
(*) La gentrification désigne, selon Le Robert, le processus par lequel la population d'un quartier populaire fait place à une couche sociale plus aisée. Voir les travaux d'Evelyne Serverin sur l'effet des réformes sur les saisines des prud'hommes et notre article sur l'étude de Camille Signoretto et Raphaël Dalmasso sur l'évolution de l'indemnisation depuis la mise en place du barème Macron.
(**) Il ressort d'un arrêt du de la Cour de cassation que le salarié, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, a droit au bénéfice des activités sociales et culturelles proposées par le CSE. Voir notre article sur cette jurisprudence, notre enquête et notre vidéo
Retrouvez les précédents articles
de notre série "Le regard sur la rentrée de..."
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► Elisa Oudinot et Alexandra Jean, DTR Conseil : "La CSSCT ne contribue pas à mettre en place une politique de prévention des risques suffisante dans les entreprises" ► Virginie Marques, Cezam : "Les CSE peuvent redonner du sens à leur action en impliquant davantage les salariés" ► Françoise Bruna-Rosso et Laëtitia Léon, Secafi : "Les entreprises cherchent aujourd'hui à faire respecter les règles du télétravail" ► Anne Quintin, Apex-Isast : "Nous sommes davantage sollicités par les CSE pour des expertises sur des projets de réorganisation" |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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